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CHAPITRE XVI

Dominique de Vic, 41o abbé. La réforme de la Congrégation de Saint-Maur. Son introduction au Bec et à Bonne-Nouvelle en 1626. Difficultés entre les réformés et les anciens religieux. La commende du prieuré de Beaumont-le-Roger. Construction du grand portail de l'église et du cloître. Mazarin et la commende du Bec. Partage des revenus entre l'abbé et les religieux. La seigneurie de Mailloc. Mort de Dominique de Vic. Succession onéreuse. Disette de 1662.

Émeric de Vic avait dû renoncer à usurper les revenus du Bec. Comme il n'avait pas d'enfants qui en pussent bénéficier1, il obtint du roi que l'abbaye serait donnée à son neveu, Dominique de Vic, alors âgé de neuf ans. Il était né à Paris en 1588, et était l'aîné des nombreux enfants d'Émeric de Vic, seigneur d'Ermenonville, comte de Fiennes, garde des sceaux, conseiller du roi en son conseil d'État et privé, président en sa cour de Parlement de Toulouse, et de Marie Hourdineau. Le petit Dominique obtint ses bulles le 13 septembre 1597. Il y était dit que l'abbaye vaquait par la mort de Claude de Lorraine, sans aucune mention de Charles d'Orléans ni d'Émeric de Vic3.

'Emeric ou Dominique de Vic, parfois appelé du nom de sa mère. le capitaine Sarred, gouverneur de Saint-Denis, puis d'Amiens, mourut le 14 août 1610, sans laisser d'enfants de sa femme Jeanne de Morainvilliers, dame de Mareuil, veuve d'Oudard de Joigny, baron de Bellebrune. Il était frère puîné d'Emeric de Vic, garde des sceaux, et fils de Raymond de Vic, seigneur de Camarde et de Tavers, et de sa seconde femme, la comtesse de Sarred. veuve de Pierre Sarred, secrétaire du roi Henri III. (Moréri, Dict. hist., t. VI, p. 78, in finem.)

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3 Bibl. nat., lat. 13905. fo 99 v°; Gallia christ., XI, col. 238.

L'une des premières mesures du nouvel abbé, ou plutôt du conseil qui l'assistait, fut de procéder, dès la fin de l'année 1597, au partage des revenus; c'était la grande affaire. Les religieux reçurent environ 7 500 livres pour leur nourriture et leur entretien ; les autres charges (compris les pensions des religieux) qui s'élevaient à 16 350 livres, plus environ 300 boisseaux de blé pour les aumônes, devaient être supportées par l'abbé1. Au nombre de ces charges, se trouvait la réparation des bâtiments claustraux et de l'église abbatiale. La nef s'était écroulée en 1591; un devis dressé en 1598 monta à la somme de 39 916 livres 2. Cette dépense aurait dù, en temps ordinaire, être supportée pour partie par la succession du précédent abbé qui avait négligé de faire toutes ces réparations en temps opportun. Devant l'impossibilité d'un recours régulier, on prit le parti de raser la nef, à l'exception des deux travées les plus rapprochées du transept.

Par lettres datées de Lyon, le 4 mars 1598, l'abbé de Vic constitua pour son grand-vicaire au spirituel et au temporel, un religieux profès du Bec, D. Jean Duval, qui reçut encore, le 18 mai de la même année, la procuration de l'abbé de Vic, qui demeurait à Lyon avec son père, pour aliéner la seigneurie du Mesnil-Joscelin, afin de solder la taxe de 1588. qui n'était pas encore entièrement acquittée. D. Duval exerçait encore les fonctions de grand-vicaire de l'abbé du Bec le 25 octobre 1626 3.

Bibl. nat., lat. 13905, fo 102. Dans une Requéte servant de Factum pour les religieux, prieur et couvent de l'abbaye du Bec, défendeurs, contre Messire Roger de La Rochefoucault, abbé commendataire de ladite abbaye, demandeur, adressée au roi, il est dit (p. 3): « Il est constant que le sieur de Vic, qui prit possession de l'abbaye dès l'année 1597, possédoit tous les biens et ne payoit aux anciens religieux prêtres que 300 livres, aux non prêtres 200 livres, ne remplissoit pas les places monachalles, ne faisoit pas les réparations, les aumônes, etc. » Recueil de Mémoires, t. II, Bibl. de l'Evêché d'Evreux.

Bibl. nat., lat. 13905, fo 99.

3 Bibl. nat., lat. 13905, fo 99 et 103 v°. Les Archives de l'Eure nous fournissent les indications suivantes : Années 1606-1608. Baux à ferme des manoirs, fermes et terres de l'abbé passés par Antoine de Primerany et Vincent de Strozzi receveurs généraux de ladite abbaye. Années 1608-1611. Obligation d'une somme de 203 livres due par Laurent du Bosc et Georges Beauvallet à Madeleine de Rohault, veuve de

Dominique de Vic devint, en 1621, conseiller du roi en son conseil d'État et privé. L'archevêque d'Auch, Léonard de Trapes, l'ayant demandé à Louis XIII pour son coadjuteur, Dominique fut sacré le 25 mai 1625, avec le titre d'archevêque de Corinthe, et quatre ans après, il remplaçait Léonard de Trapes sur le siège archiepiscopal d'Auch.

La communauté du Bec avait alors à sa tête le grandprieur claustral D. François Buissot, profès en 1553, qui avait succédé à D. Georges du Bosc-Regnoult mort le 19 mars 15952. Il eut, en 1612, une singulière altercation avec D. Nicolas Garin, prieur de Canchy, l'un des grands vicaires de Dominique de Vic. Voici comment D. Jouvelin raconte l'affaire : « D. François Buissot, prieur claustral du Bec, irrité de ce que D. Nicolas Garin, prieur de Canchi, cy-devant grand vicaire de M. de Vic avant que cet abbé ne prît le maniement des affaires, luy avoit représenté en plein chapitre qu'il ne noble homme Antoine de Primerany, receveur de l'abbaye du Bec. Serie E, 1008 et 1009; Notaires et tabellions; le Bec. Antoine Primerany, originaire de Florence, s'était fixé à Rouen sur la paroisse Saint-André dans les dernières années du XVIe siècle. Il mourut le 23 août 1606; sa fortune devait être considérable. Il était le beau-père de Vincent Strozzi. Voir Ch. de Beaurepaire, Dernier recueil de notes historiques, Rouen, 1892, p. 24 et 25.

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'Léonard de Trapes, capucin, archevêque d'Auch, mort en odeur de sainteté le 29 octobre 1629.

D. Georges du Bosc Regnoult avait fait profession le 21 septembre 1544. « Sa tombe est dans le chapitre, on y lit autour cette épitaphe :

Hic praeclarus erat meritis et origine, cujus

Vestimenta animae terra lapisque tegunt
Hujus coenobii vixit Prior, auspice Christo,

Divis usque placens, ecclesiae et monachis.
Religio et Charites frustra quid fletis ademptum

In quo aderat claustri totus honosque chori?
Mundus nomen habet; corpus natura sepulchro
Conditit; in cœlum cœlica mens rediit.

D. Georgius du Bosc Renoult obiit anno Domini 1595, 19 martii. »

Bibl. nat., lat. 13905, fo 110. On trouve dans un registre du tabellionnage du Bec, à l'année 1596-1597: Pouvoir de conférer les bénéfices dépendant de l'abbaye donné par les religieux du Bec à François Buyssot, grand-prieur, par suite de la révocation par le roi des économes spirituels. (Archives de l'Eure, série E, 1007, fo 1; Notaires et tabellions; le Bec.)

L'abbé Dominique de Vic eut, dès le mars 1598, D. Jean Duval pour vicaire-général; il ne fut pas seul à exercer ces fonctions; dans

devoit pas procéder à la nomination de plusieurs officiers claustraux sans en communiquer auparavant avec Monsieur l'abbé, entreprit ledit Garin en plein chapitre, lui reprocha d'avoir de concert avec le Père Portugaiet, ou Portugais, de Paris, envoyé à Rome pour impétrer son office de prieur du Bec, et luy ordonna de se transporter au prieuré de Beaumont pour y demeurer en qualité de simple religieux. D. Garin appela de l'ordonnance du prieur du Bec, et le Parlement eut égard à son appel. On ne sçait pourtant la suite de cette affaire qui arriva en 1612, date de l'ordonnance du Parlement qui fit ajourner le prieur (du Bec) pour venir rendre compte de sa conduite1. »

Un événement capital a marqué l'administration de Dominique de Vic: c'est l'introduction dans son monastère de la réforme de la Congrégation de Saint-Maur.

Il convient d'examiner dans quelles conditions cette réforme monastique avait pris naissance.

Le premier tiers du xvIIe siècle a été une époque de rénovation religieuse. Un moment séduite par l'attrait des nouveautés dogmatiques, préparée d'ailleurs par de mauvaises mœurs à de mauvaises doctrines, descendue des galanteries de François Ier à la dévotion scandaleuse d'Henri III, la France avait été sur le point de glisser dans le Protestan

un acte notarié du 26 septembre 1609, on voit figurer « Domp Nicollas Garin, prebstre religieux, vicaire général de l'abbaïe du Bec-Hellouin, au nom de M Dominique de Vic, conseiller osmosnier ordinaire du Roy. abbé de ladite abbaïe, etc. » (II. Saint-Denis, Inventaire sommaire des archives du notariat de Bourgtheroulde, Elbeuf, 1893, p. 83.) Charles Hue apparaît les 28 novembre 1611 et 19 juin 1613, comme « procureur et receveur général de Me Dominique de Vic. » (Id., p. 229 et 15.) En 1618 et 1627, « nobie et discrette personne messire Jehan Deshaies, prebstre, prieur du prieuré Sainct-Leu Sainct-Gilles des Chastaigniers. intendant général et procureur spécial de noble et réverentissime personne messire Dominique de Vic. » (Id., p. 55 et 25.)

Bibl. nat., lat. 13905, fo 79. D. François Buissot avait fait profession au Bec en 1553. Il mourut le 5 janvier 1619. « Sa tombe est dans le chapitre avec cette inscription : « Hic jacet nobilis et religiosus Domnus Franciscus Buissot, prior claustralis hujus cænobii, qui obiit anno Domini 1619, die 5a Januarii. Anima ejus requiescat in pace. Amen. » Id.. f° 110 v.) Il fut remplacé par Louis de Piperey, profès le 22 novembre 1579; il avait été sous-prieur de Bonne-Nouvelle, d'où François Buissot l'avait fait venir au Bec. (Id., f° 110 v°.)

tisme. Heureusement elle se réveilla sur le bord de l'abime, et le salut lui vint de la gravité même du mal qui l'avait envahie. Des âmes ardentes, pleines de zèle et de foi, se jetèrent intrépidement dans la mêlée, luttant contre l'hérésie, l'affaiblissement de la foi et le relâchement des mœurs. Le xvi siècle finissait à peine que la France voyait naître les œuvres merveilleuses de saint François de Sales, de saint Vincent de Paul, de saint François Régis, du P. Eudes de Mézeray. Le XVIIe siècle allait venger l'Église des abaissements et des hontes du XVIo.

Les ordres religieux avaient largement apporté leur tribut à la déchéance commune ; qui pourrait s'en étonner? Ébranlés dans leur vocation par les impudentes déclamations de Luther et de ses adeptes, exploités par des commendataires avares, forcés parfois de fuir leurs cloitres saccagés par des bandes de Huguenots et d'aventuriers, les moines s'étaient peu à peu accoutumés à regretter la vie plus commode du siècle, depuis surtout qu'ils avaient expérimenté que la vie religieuse ne leur donnait plus ses garanties de sécurité et de paix. Et s'il subsistait encore quelques rares monastères gardant la ferveur des anciens jours, le plus grand nombre vivait dans le relâchement ou le désordre. Les murs croulants des abbayes, les herbes envahissant le cloître désert, les églises dépouillées de leurs richesses, les chartriers et les bibliothèques dispersées, attestaient combien la désolation était profonde. L'ordre bénédictin, qui avait donné à la chrétienté des papes, des évêques, des docteurs et des saints, était devenu stérile, et il semblait qu'il n'y avait plus qu'un dernier coup de coignée à donner pour jeter à terre cet arbre desséché.

Toutefois le mal, pour grand qu'il fût, n'était pas irrémédiable, et l'heure de la résurrection allait bientôt sonner. La Congrégation de Saint-Vannes, établie en Lorraine dès l'an 1600, était le levain précieux qui devait communiquer a tout l'ordre bénédictin l'énergie et la vitalité.

D. Didier de la Cour, le promoteur de la réforme de SaintVannes, avait été aidé dans son œuvre par un jeune religieux de l'ordre de Cluny, D. Laurent Bénard, ancien élève du

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