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qui, contraints par batures et soubstractions de vivres, s'enfuient et vont se réfugier à l'abbaye du Bec. En vain frère Jean d'Epaignes a crié haro sur l'intrus, sur les gens de guerre, mesmes sur les bulles; vainement plusieurs sentences ont enjoint à Maunoury et à ses archers de vider le prieuré; ils y demeurent. Frère Jean d'Epaignes a «< plusieurs fois, mais en vain, requis au lieutenant de la viconté d'Auge qu'il se voulaist transporter au prieuré, accompaigné de tant de gens qu'il peust estre le plus fort. >> Ce lieutenant, favorable à Maunoury, est sourd aux instances du prieur légitime. Enfin le jour de la justice arrive; ces violences sont dénoncées à l'Echiquier; un arrêt est rendu qui adjuge à Jean d'Epaignes la possession du prieuré; et Maunoury, se voit contraint de déguerpir avec ses archers. L'usurpation avait duré trois années!» Les deux parties transigèrent, le 28 novembre 1475; Maunoury renonça à son prétendu droit; de son côté, le prieur de Saint-Ymer fit remise des dépens auxquels le protonotaire avait été condamné, et promit de ne le point inquiéter au sujet des revenus du prieuré dont il avait joui en partie.

Les sept dernières années de Geoffroy d'Epaignes furent attristées, dit la Chronique, non seulement pas des infirmités persistantes, mais aussi par les intrigues de ceux qui voulaient lui faire résigner son abbaye en leur faveur. Ces ambitieux ne reculaient devant aucuns moyens ; tantôt ils se présentaient munis de lettres de recommandation signées par des princes ou des grands du royaume ; tantôt ils envoyaient des émissaires de haut lignage pour plaider habilement leur cause, et faire au vieil abbé les offres d'une pension considérable. Mais tout fut inutile ; Geoffroy sut résister aux menaces aussi bien qu'aux flatteries et aux promesses, et il garda jusqu'à la fin le gouvernement de son abbaye 3.

Floquet, Hist. du Parlement de Normandie, I, 185.

Bibl. nat., lat. 13905, fo 68 et 68 vo.

3 « Finaliter. in infirmitate quam fere per septennium, Deum laudando, sustinuit, habuit plures aemulos graves viros contra suam vocationem, ambientes dignitatem abbatialem, obtinentes litteras commen

Le 14 mai 1476, après avoir reçu les saints sacrements de l'Eglise, Geoffroy d'Epaignes « déposa le fardeau de son corps », et son âme, après tant d'années de labeur, put enfin jouir d'un repos bien mérité. Il fut inhumé dans le choeur de l'église abbatiale, sous la pierre qu'il avait fait placer de son vivant, auprès de celle de son prédécesseur1.

datitias principum et magnatum regni, mittentes magnos legatos nobiles, prudentes et maximos rhetores ad sibi persuadendum ut dignitati cederet, offerentes sibi daturos magnam pensionem. Sed semper fuit constans et in responsis cautus, quia minis, blandimentis, nec promissionibus ullis concuti potuit nec converti, sed rexit dictum coenobium continue a die suae electionis usque ad diem quartam decimam mensis maii anni Domini MCCCCLXXVI. » Chron. du Bec, p. 110.

1

« Qua die, sacramentis ecclesiasticis munitus, carnis sarcinam deposuit. Anima ejus requiescat in pace. Amen. Sepultusque fuit in choro dicti coenobii, sub tumba quam ipse, vita ejus comite, cum tumba sui praedecessoris fieri fecit. Sequitur epitaphium ejus :

Gaufridus Hispanus, cognomen habens Benedicti,

Abbas Beccensis, fratribus univocis

Electus, rectam morum viteque beate

Servari normam temporibus studuit :

Cursum complevit; vite precluditur usus;

Spiritus alta petit, corpus humusque tenet. »

Chron. du Bec, p. 111.

CHAPITRE XI

Lettre de Louis XI aux religieux du Bec. Jean Boucart, 31o abbé. Il obtient le privilège de deux foires pour le Bec. Ses dons à l'abbaye. Le prieur Jean d'Aptot. Robert d'Évreux, 32° abbé. Procès de préséance avec l'abbé de Sainte-Catherine de Rouen. Construction de la grande porte de l'abbaye. La prison du Bec. Robert d'Évreux résigne son abbaye. Guillaume Guérin, 33o abbé. Ses dons à l'église. Les archiprieurs. Transaction avec le seigneur de Tillières. Fondations pieuses de Guillaume Guérin. Sa mort. Le poème funèbre de Pierre Constance d'Ecaquelon. Statistique des professions religieuses au XIV et au xve siècle.

La mort de Geoffroy d'Épaignes avait ouvert la porte à des compétitions qu'on n'avait guère vues jusque-là. On n'était plus au temps où les religieux, inaccessibles aux préoccupations politiques ou mondaines, choisissaient eux-mêmes leur abbé, «< è gremio capituli », c'est-à-dire quelque prieur, ou même un simple moine de l'Ordre, que sa religion et son énergie désignaient à leurs suffrages. Louis XI régnait; il aimait à combler ses créatures de dons qui ne lui coûtaient guère, et les riches bénéfices ecclésiastiques fournissaient une trop facile ressource à ses largesses intéressées pour qu'il n'en usat pas. Ne pouvant ôter directement aux religieux du Bec leur droit d'élection, il imagina la candidature officielle, et leur écrivit le 22 mai 1476, c'est-à-dire huit jours après la mort de l'abbé Geoffroy, la lettre suivante qui est un chef-d'œuvre d'hypocrisie.

«De par le roy. Chiers et bien aimés, pour ce que de longtemps avons voulu et encore voulons le bien et entretenement de vostre église fondée en lhonneur de Dieu et de sa glorieuse mère, autrefois advertis que icelle vostre dite

église ou vaquoit ou estoit disposée à prourchaine vacation, escripvismes à nostre saint Père le pape en faveur d'icelle, à ce quil y fust pourveu de pasteur selon nostre volenté et intention, et ce par nostre bien chier et féal conseiller et confesseur Jehan, évesque d'Avrenches, a vous bien congneu, et que sçavons certainement qu'il aime et désire fort le bien et entretainement de vostre église. A quoy mon dit saint Pére nous a donné réponse bien favorable par son bref duquel cy dedans nous vous envoyons le double. Et pour ce que depuis nous avons sçu que vostre dite église est vacant ou en prourchaine disposition de vacquer, nous en continuons nostre bon propos, escripvons présentement, bien expressément à nostre dit saint Père pour ceste matière, et pareillement au collège des cardinaux, nostre procureur et autres nos amis à court de Roume, et de ce vous voulons bien advertir, affin que si vostre dite église est vacant, ou quant elle vacquera, vous ne soyez si dépourveuz de sens que vous veuillez procéder à eslection ou postulacion dautre que de nostre dit confesseur, et la mettre en division dont elle na pas mestier, et laquelle chose faire ne povez sans nostre exprès congié et consentement. Toutefois, si vostre dite église est vacant, ou quant elle vaquera, vous voulez ou eslire ou postuler, en vostre dit abbé et pasteur, nostre dit confesseur, nous en sommes et serons bien content, et de ce faire vous donnons congié et licence par les présentes; en quoy fesant, vous ferez chose à nous. bien agréable et très utile à vostre dite église, laquelle bien volentiers aurons tousjours en tous les affaires en bonne recommendacion, ainsi que puis nagaires vous avons fait sçavoir par nos précédentes lettres. Donné à Lyon, le xxn jour de may. (Signé) Loys 1. »

De la part d'un souverain tel que Louis XI, une semblable lettre équivalait à un ordre; les moines du Bec ne s'y méprirent pas; et redoutant pour eux et leur abbaye les disgrâces que le roi leur faisait clairement

votèrent pour le candidat officiel.

'Bibl. nat., lat. 13905, f° 36.

entrevoir, ils

Le 23 mai, le prieur claustral, Jean d'Harcourt, avait adressé des lettres de convocation, aux prieurs de Meulan, de Saint-Martin de la Garenne, de Pontoise, de Conflans, du Lay, de Bréval et de Bouconvilliers, pour le 30 du même mois. Ce jour-là, après la messe du Saint-Esprit et le chant du Veni Creator, les religieux réunis en chapitre élurent par inspiration, « per viam Spiritus sancti seu divinae inspirationis, repente, illico et incontinenti, ab ipso Creatore, ut credimus, inspirati, unanimiter et concorditer, una voce et uno spiritu, nullo discrepante, nullo tractatu interveniente »>, Jean Boucart, évêque d'Avranches, docteur en théologie, confesseur et conseiller du roi. C'est en ces termes étranges, mais qui s'expliquent quand on a lu la lettre de Louis XI, que le prieur et la communauté mandèrent au pape le résultat de l'élection, en le priant de la confirmer 3. Sixte IV envoya ses bulles à Jean Boucart, le 19 juin 1476, et le nouvel abbé fit serment de fidélité entre les mains du roi, le 13 juillet suivant, à Saint-Symphorien-lès-Tours *.

Jean Boucart était né à la Vaucelle, près de Saint-Lô; il avait, en qualité de boursier, fait ses études au collège. d'Harcourt, à Paris. L'obscur écolier prit le grade de docteur en théologie et en décret, et fut, en 1447, recteur de l'Université de Paris; il devint confesseur et aumônier du roi, puis archidiacre d'Avranches, et enfin évêque de ce dio

Jean d'Harcourt, prieur claustral, fit faire profession, le 14 novembre 1475, à six novices par commission de l'abbé Geoffroy d'Epaignes ; le 5 octobre 1479, il reçoit encore à profession quatre novices par commission de Jean Boucart, évêque d'Avranches et abbé du Bec. (Bibl. nat., lat. 13905, fo 108).

Bibl. nat., lat. 13905, fo 109. Les prieurs plus voisins du Bec furent sans doute convoqués quelques jours après.

3

Bibl. nat., lat. 13905, fo 36 v. Cette accumulation d'hyperboles est vraiment une ironie, et sans doute, pour les moines, la pacifique revanche de l'élection qu'on leur avait imposée. Cf. Chron. du Bec, p. 114 et 232.

Bibl. nat., lat. 13905, fo 50 et 12. Dans des lettres données en 1479. << apud Plesseium de Parco, prope Turones, mense aprili post Pascha », Louis XI confirma les libertés et privilèges de l'abbaye du Bec (Id., f' 89).

5 L'Ancien collège d'Harcourt, par II.-L. Bouquet, p. 138 et 139. Paris,

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