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conventuels apportassent un état écrit du temporel de leurs maisons 1

Un chapitre général des abbés bénédictins de Normandie s'était réuni en 1285. Le prieur et les religieux du Bec, craignant que ce chapitre restreignît ou abolit quelques-unes des coutumes particulières de leur ordre, adressèrent, tant en leur nom qu'en celui des prieurés dépendant du Bec, une requête aux présidents pour leur faire remarquer qu'ils tenaient leurs statuts particuliers d'Herluin, de Lanfranc, de saint Anselme et de Thibaut, leur cinquième abbé; que plusieurs papes, entre autres Lucius III, avaient approuvé et confirmé leurs usages et privilèges, avec défense de les restreindre ou de les violer à l'avenir. Ils remontraient respectueusement que si le chapitre des abbés imposait à tous les monastères normands un coutumier commun, ce serait énerver et détruire les usages et privilèges à eux accordés par les souverains pontifes; qu'en outre, de graves inconvénients surgiraient d'une semblable mesure. L'Ordre du Bec possédait en Angleterre et au pays de Galles un certain. nombre de prieurés soumis, dès leur origine, à la règle du Bec qui avait été approuvée par l'archevêque de Cantorbéry par d'autres évêques. Si l'abbaye faisait des modifications à son coutumier, il était à présumer que les prieurés anglais ne les adopteraient pas, d'où il résulterait une divergence fâcheuse entre le chef et les membres. La requête se terminait par un appel à la bienveillance du chapitre des abbés, lesquels, par esprit de soumission à l'autorité des souverainspontifes, par déférence à l'égard des premiers abbés du Bec, par dilection et charité envers les religieux, ne voudraient et ne permettraient certainement pas que leurs us et coutumes fussent changés, mais tiendraient à ce qu'ils fussent observés à l'avenir comme ils l'avaient été jusque-là 2.

et

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Chronique du Bec, p. 131. La Chronique ajoute : « Item, ordinavit quod succentor qui multo ecclesiae labores die noctuque portat, perciperet quolibet anno, super officium cantoris, quinquaginta solidos turonensium, et quod justiciarius solvat quolibet anno custodi cartarum sexaginta solidos turonensium. » Id., P. 134.

2 Bibl. nat., lat. 12884, fo 415 vo à 417.

Nous ignorons quel accueil le chapitre des abbés fit à cette requête. Toutefois, rien ne paraît avoir été changé par eux dans le coutumier du Bec; et si de nouveaux règlements furent promulgués, ce fut dans les chapitres annuels de l'Ordre dont il nous reste à parler.

L'an 1301, après les Cendres, l'abbé Ymer écrivit aux prieurs de Saint-Néot, de Stoke, de Goldcliff, de Cowick, de Steventone et de Willesford. Après leur avoir rappelé que depuis longtemps ils ne s'étaient pas rendus au chapitre général du Bec, et qu'ils n'avaient pas été conséquemment visités, il les convoquait pour le prochain chapitre de la veille de saint Jean-Baptiste. S'ils ne pouvaient comparaître en personne, ils devaient au moins envoyer un procureur avec l'état de leurs revenus scellé du sceau du prieuré. S'ils ne se soumettaient pas à ces règles de leur ordre, il était à craindre que les abbés d'Angleterre n'entreprissent indûment de procéder à la visite de leurs prieurés, au détriment des droits de l'abbaye1. Le chapitre de 1301 n'a pas laissé de traces dans les annales du monastère.

On se souvient que dans les années 1282 et suivantes, l'abbé Ymer s'était fait remettre par les prieurés anglais des sommes importantes qu'il employait aux dépenses énormes nécessitées par la reconstruction de son église. En 1301, pour continuer à se procurer de nouvelles ressources, il répartit sur tous les officiers claustraux et les prieurs français une taxe annuelle de 419 livres qui devait être levée jusqu'à l'achèvement des travaux. La taxe primitive était moitié plus considérable. L'abbé était taxé à 150 livres, la communauté à 50 livres, qui devaient être prélevées sur les pitances; le jardinier à 20 livres; le sous-célerier, l'infirmier, le justicier, l'hôtelier chacun à 100 sols; les prieurs du Pré, d'Envermeu et de Beaumont-le-Roger à 10 livres; les prieurs de Canchy, de Beausault, de Bréval, de Saint-Martin de la Garenne, de Meulan, de Pontoise, du Lay, de Conflans, de Saint-Ymer et de Saint-Philbert à 100 sols; le prieur de Saint-Martin au Bosc à 40 sols, et celui de Saint

'Bibl. nat., lat. 12884, f° 428, et 13905, f. 32.

Lambert-de-Malassis à 20 sols. Ces sommes étaient payables au Bec par moitié, le jour de la Purification et la veille de saint Jean-Baptiste1.

Si le démon de la chicane tourmentait parfois plus que de raison les moines du Bec, il leur arrivait aussi de payer fort cher leur goût pour la procédure. L'abbaye de Saint-Laumer de Blois jouissait de la terre des Hautes-Rives sise dans la paroisse de Penlatte. Celle du Bec, qui possédait depuis le x siècle la seigneurie et l'église, et avait reçu de Geoffroy Brunel tous les droits qu'il prétendait sur les hommes et les granges de Penlatte 3, voyait avec quelque regret, au milieu de son domaine, la petite enclave de ses confrères

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« Ymerius, permissione divina humilis abbas monasterii Beatae Mariae de Becco Helluini, totusque ejusdem loci conventus, dilectis in Christo filiis universis prioribus dicto monasterio Beccensi subjectis in regno Franciae constitutis, salutem in Domino Jesu Christo et fraternam dilectionem. Nostrae matris ecclesiae Beccensis arca cujus fabricam, quae periculose minabatur ruinam, in Domino confidentes, et in vestro auxilio spem habentes, cepimus operari; pensatis attentius utilitate et honore quandam contributionem pro ejusdem reparatione super nos et vos a nobis dudum taxatam, ne nobis et vobis esset onerosa, usque ad dimidiam partem rescindentes seu minuentes; unanimi assensu volumus, statuimus et ordinamus quod ad ejusdem monasterii reparationem, quo usque decenter perficiatur, abbas nostri monasterii, qui est et pro tempore fuerit, apponet seu contribuet annuatim centum et quinquaginta libras ; prior Becci decem libras..... Quae pecunia praedicta reddenda est apud Beccum annuatim in parvis turonensibus, vel in valore parvorum turonensium, duobus terminis anni, videlicet dimidia pars in festo Purificationis B. Mariae Virginis, et altera dimidia pars in vigilia Nativitatis B. Johannis Baptistae. Et ut praedicta ordinatio nostra, tam ex parte nostra quam ex parte vestra, quo usque praefatum monasterium nostrum sit peractum, firmiter teneatur, nos abbas et conventus praedicti praesentibus litteris sigilla nostra duximus apponenda, mandantes vobis prioribus praedictis quatenus in signum et testimonium quod vos praedictae ordinationi consentitis, et quod eam laudatis et approbatis, quilibet vestrum sigillum suum praesentibus litteris nobis remittendis gratis et benigne apponere non omittatis. Valete in Domino. Datum anno Domini MCCC primo, die mercurii post festum S. Romani archiepiscopi. » Bibl. nat., lat. 12884, fo 428.

Saint-Laumer-le-Moutier de Blois, abbaye bénédictine fondée vers la fin du 1x siècle. Ce monastère faisait partie du diocèse de Chartres avant l'érection du siège de Blois en 1697.

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Charpillon et Caresme. Dictionnaire historique de l'Eure, II, 628; Inventaire des titres du Bec, p. 1311.

de Blois. Ymer, abbé du Bec, avait attaqué le premier; mais David, abbé de Saint-Laumer, se défendait vaillamment; l'affaire ne semblait pas près de finir, car le bon droit était du côté des défendeurs. Enfin, « pour le bien de la paix et de la charité fraternelle, d'après le conseil de juristes prudents, et du consentement unanime des deux communautés », il fut convenu que pour dédommager les moines de Blois des dépenses et procédures faites jusqu'à ce jour, ceux du Bec leur paieraient 200 livres tournois, moyennant quoi on leur remettrait « tous les instruments et lettres de quelque nature et valeur qu'ils puissent être », eux-mêmes s'engageant à ne jamais s'en servir et à renoncer à toute revendication. De leur côté, les religieux de Saint-Laumer promirent de ne jamais intenter de procès à ce sujet à ceux du Bec, et ils conservèrent la jouissance de la dime dont ils avaient été reconnus légitimes possesseurs. Cette transaction fut passée et scellée du sceau des deux couvents, le vendredi 17 août 1302 1.

La même année, un accord intervenait entre l'abbé Ymer et Isabeau, prieure du monastère de Sainte-Marguerite-deVignats, au diocèse de Séez 2. Les religieuses abandonnaient au Bec toutes les dimes qu'elles percevaient dans la paroisse de Réveillon, sur le fief du sire de Montpinchon et sur d'autres fiefs, à la condition que les moines leur feraient à Noël une rente de sept setiers de blé de dime, bladi decimalis, à savoir de froment, d'orge et d'avoine, «< aequaliter et proportionaliter, ad mensuram dictae parochiae de Revillon ». L'acte porte la date du samedi 22 septembre 1302 3. Le 13 août 1304, il fut approuvé et confirmé par Philippe le Boulanger, évêque de Séez '.

La crainte de voir les évêques ou les chapitres généraux

'Bibl. nat., lat. 12884, fo 429.

'Sainte-Marguerite de Vignats, abbaye de femmes, de l'ordre de Saint-Benoit, fondée vers 1150. Elle fut, dès son origine, indistinctement gouvernée par des abbesses et des prieures ; mais depuis 1625, elle eut constamment des abbesses.

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des abbés introduire quelques modifications dans la règle et les usages du Bec; les entreprises du pouvoir civil de jour en jour plus hardies; la difficulté grandissante pour l'abbaye de conserver entière son autorité sur les prieurés anglais tendant à desserrer, sinon à rompre, les liens qui les rattachaient à une province qui leur devenait de plus en plus étrangère, engagèrent l'abbé Ymer à obtenir de la cour de Rome une nouvelle et explicite confirmation des droits et privilèges spirituels et temporels de son abbaye. Il ne s'agissait plus cette fois de la protection générale du monastère qui avait fait déjà l'objet de nombreuses bulles. En 1303, Ymer écrivait à Nicolas du Camp, clerc de Bayeux, procureur des religieux en cour de Rome, et spécifiait lui-même les nombreux droits et coutumes qu'il importait de faire reconnaître et approuver : « Vos, procurator, impetrate, si possitis, pro abbate et conventu de Becco Helluini petitiones quae sequuntur. » Il était demandé : 1o que le pape concède et confirme aux religieux certaines dîmes à leur usage que Robert de Contemoulin leur avait données pour le service des pitances; 2° qu'à l'avenir les religieux jouissent dans les novales faites ou à faire de la même part qu'ils avaient dans les anciennes dimes; 3° que l'abbé puisse présenter aux églises dépendant des prieurés de l'ordre, nonobstant toute opposition de la part des prieurs, et comme il en avait usé jusque-là; 4° qu'aucune prescription ne puisse empêcher l'abbé de jouir de ses privilèges; 5° que l'appel des moines contre leur abbé ne puisse se faire qu'en cour de Rome; 6° que l'abbé puisse corriger ses moines nonobstant tout appel frivole, « appellatione frivola non obstante » ; 7° que l'abbé puisse, selon l'usage de l'abbaye, instituer et révoquer les prieurs tant en France qu'en Angleterre, sans que les évêques diocésains aient à s'en mêler; 8° que les abbės anglais ne puissent pas faire la visite canonique des prieurs et des prieurés d'Angleterre ; 9° que l'abbé puisse employer à l'usage de la communauté les biens des prieurés où il n'y a que deux religieux, en réunissant ceux-ci à leurs frères; 10° que le seigneur pape accorde quelques avantages à l'abbaye du Bec en raison des charges innombrables,

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