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Jean Twyming, qui ne pouvait manquer d'avoir des doutes sur la légitimité de ses droits, prit le parti de les transférer, autant que cela était en son pouvoir, à l'abbé et couvent de Notre-Dame de Tewkesbury.

L'abbé et les religieux s'empressèrent de demander au roi et obtinrent des lettres de provision, et se substituant à Jean Twyming, ils s'introduisirent par force armée dans le prieuré, avec l'aide de Thomas Herbert, de Thomas Porcelam, de Davy Matthieu et de plusieurs autres laïques. Les huit moines blancs de l'ordre du Bec furent brutalemeut expulsés et remplacés par trois moines noirs de Tewkesbury qui s'emparèrent et jouirent des revenus du prieuré.

Laurent de Bonneville, qui soutenait ses droits avec une invincible énergie, eut recours au roi, qui par lettrespatentes ordonna à son chancelier de faire justice au prieur et à ses religieux. Mais quoique le chancelier, de concert avec Henri de Beaufort, cardinal évêque de Winchester, et Thomas, évêque de Norwich, grands justiciers du royaume, eussent rendu une ordonnance favorable à Laurent, Thomas Porcelam et quelques clercs, grâce à de ténébreuses menées, réussirent à faire saisir dans la ville de Landaff le malheureux Laurent et le jetèrent dant les prisons du roi. Là, pendant onze jours, on usa de toutes les ruses pour l'amener à résigner son prieuré de Goldcliff.

Ce fut sur ces entrefaites que Laurent supplia le pape de remédier, en vertu de son autorité apostolique, à la désastreuse situation de son prieuré; car, en raison du pouvoir étrange que possédait le chevalier son persécuteur, il lui était impossible de demeurer en sûreté dans la ville et le diocèse de Landaff, et même aux alentours1.

En réponse à cette supplique, Eugène IV lança, le 9 juin 1445, la bulle dont nous avons tiré l'exposé des faits qui précèdent. Le pape mandait à l'archevêque de Cantorbéry et aux évêques de Worcester et d'Hertford, au cas où les violences, l'incarcération du prieur, l'effraction des portes.

1 Tous les détails de cette affaire sont tirés de la bulle d'Eugène IV, du 9 juin 1445.

et fenêtres du prieuré auraient été dûment constatées, d'excommunier publiquement et sans appel le chevalier Morgan Apphon, Thomas et leurs autres complices', jusqu'à ce qu'ils eussent donné satisfaction suffisante, et fussent venus, munis d'une lettre des prélats, recevoir l'absolution apostolique. Eugène IV chargeait les évêques de réintégrer Laurent de Bonneville dans son prieuré, et d'informer sur toute cette affaire et de la terminer sans appel2.

Quelle compensation Laurent de Bonneville reçut-il pour les odieux sévices au prix desquels il avait soutenu la cause du droit et de la justice? Nous l'ignorons. Fut-il réintégré dans son prieuré comme le voulait Eugène IV? Nous ne le pensons pas. Le prieuré de Goldcliff avait été annexé en 1442 au monastère de Tewkesbury; les moines noirs qui l'occupaient en vertu d'une incorporation ratifiée par le roi et le souverain-pontife, n'auraient jamais accepté pour chef un moine blanc, un moine normand de l'ordre du Bec.

On a vu comment l'abbaye perdit les prieurés de Willesford, d'Okeburne, de Stoke et de Goldcliff; celui de Steventon dans le Berkshire, fut donné par Richard II à l'abbaye de Westminster3. Lessingham, Blackenham et Cottesford furent donnés par Henri VI au collège d'Eton'.

Vers le milieu du xve siècle, on conservait au Bec quatre épines de la couronne de Notre-Seigneur, un fragment de la vraie croix, un os du chef de saint Blaise et plusieurs reliques de saints. « Toutes ces reliques, dit la Chronique, avaient été apportées d'Angleterre par les religieux de l'ordre qui en avaient été chassés". » Un passage interpolé

« Appellatione remota, excommunicatos publice nuncietis et faciatis ab aliis nunciari, et ab omnibus arctius evitari, donec super his satisfecerint competenter, et cum vestrarum testimonio litterarum, ad sedem venerint apostolicam absolvendi. »

« Super aliis vero qui fuerint evocandi, et dicto Laurentio, sicuti justum fuerit, restituto, causam audiatis, et appellatione remota, debito fine decidatis, facientes quod decreveritis per censuram ecclesiasticam firmiter observari. » Bibl. nat., lat. 13905, f 50.

3 Some account of the alien priories, I, 28.

* Some account of the alien priories, II, 145 et 152. Chron. du Bec, p. 105.

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de la même Chronique ferait croire que le fragment du chef de saint Blaise venait de Saint-André de Cowick; c'est une erreur. Les lignes suivantes du Recueil de D. Jouvelin en sont la preuve : « L'abbé Geoffroy, le 22 janvier 1465 (1466), obtint permission de l'official de Rouen, grand vicaire de l'archevêque, d'exposer et mettre en un nouveau reliquaire un os de la teste de saint Blaise apporté du prieuré de Sainte-Madeleine de Goldcliff, diocèse de Landaff, au pays de Galles, par un prêtre qui desservait ce prieuré, alors dans une grande désolation. Cette relique avait été apportée au Bec du temps du prédécesseur immédiat de Geoffroy».

Bibl. nat., lat. 13903, fo 35; Chron. du Bec, p. 105.

CHAPITRE X

La Normandie redevenue française. Geoffroy d'Epaignes, 30o abbé. Il restaure son église. Mobilier liturgique. Lettre de Louis XI pour emprunter à l'abbé 600 écus d'or. L'archidiacre de Poissy et le manoir de Rouvres. Transaction avec le seigneur du Neubourg. Geoffroy fait construire l'infirmerie, et réparer les aqueducs. Construction de la tour Saint-Nicolas. La coupe de l'impératrice Mathilde. Un prieur fastueux. Le prieuré de Saint-Ymer envahi militairement par un commendataire. Intrigues autour de Geoffroy pour lui faire résigner son abbaye. Mort de Geoffroy d'Epaignes.

Après la victoire de Formigny, la Basse-Normandie n'avait guère tardé à tomber au pouvoir de Charles VII; dès le mois d'août 1450, les deux dernières garnisons anglaises, celles de Cherbourg et de Falaise avaient été obligées de se rendre. Mais si la Normandie se retrouvait enfin française, elle n'en était pas moins ruinée et épuisée par tant d'exactions et de souffrances. Prélats, seigneurs, simples tenanciers, voyant cette fois la paix assurée, devaient se mettre sans retard à réparer églises, abbayes, châteaux et chaumières. Pareille tâche incomba au successeur de Jean de la Motte, et l'on verra qu'il la remplit avec un zèle et une gênérosité qui permettent de le placer au rang des grands abbés. du Bec, auprès des Roger I, des Richard de Saint-Léger, des Ymer, des Gilbert de Saint-Etienne et des Geoffroy Harenc.

'Le connétable Arthur de Richemont avait, dès le 14 juillet 1452, accordé à l'abbaye du Bec des lettres de sauvegarde pour tous ses biens, fermes, serviteurs, et en général pour tout ce qui lui appartenait. (Bibl. nat., lat. 13905, fo 89.)

Geoffroy Benoit était originaire d'Epaignes, Ispania, Hispania, petit bourg près de Cormeilles, dont il garda le nom suivant l'usage du temps. Il était prieur de Saint-Lambert de Nassandres lorsque le pape Eugène IV lui donna, le 28 septembre 1446, le prieuré du Pré ou de Bonne-Nouvelle 1. Malgré l'énorme diminution des revenus causée par l'invasion anglaise, il sut maintenir dans son prieuré un ordre et une régularité qui édifiaient tous ceux qui venaient le visiter 2.

La communauté et les prieurs de l'ordre réunis en chapitre général, le 20 décembre 1452, élurent Geoffroy d'Epaignes, à l'unanimité et par voie d'inspiration, « per viam Spiritus sancti, nemine contradicente aut se opponente »>. Comme le siège de Rouen était vacant par le décès de Raoul Roussel, Geoffroy fit confirmer son élection par les vicaires capitulaires, mais ne prêta serment au roi que le 16 février 1453 3.

Dès le commencement de son abbatiat, il entreprit de rendre à son église, déshonorée durant les guerres, toute la splendeur des anciens jours. On eût dit qu'il avait pris pour devise cette parole du Psalmiste: «Domine, dilexi decorem domus tuae, et locum habitationis gloriae tuae. » La Chro

« Jean de Rouen, prieur de Bonne-Nouvelle, étant mort « apud Sedem apostolicam », Eugène IV donna ce prieuré à Geoffroy d'Epaignes, alors prieur de Saint-Lambert de Nassandres, qui représenta au roi que le prieuré du Pré ne valait pas plus de 200 livres tournois. Quand Geoffroy eût été élu abbé, il donna le prieuré du Pre à un moine du Bec, nommé Clément de Bernay, le 20 janvier 1453. » Bibl. nat., lat. 13905, fo 60. Au milieu du xI° siècle, le revenu du prieuré du Pré était estimé à 1 500 livres. (Reg. des visites d'Eudes Rigaud, p. 34.)

2 « Dum esset prior de Prato, guerris in Normannia vigentibus, multa passus est, et redditus ecclesiae Prati adeo modici et debiles erant, quod in manu officii domini Rothomagensis consulebantur tradi; quae omnia patienter toleravit, et cunctos visitantes ecclesiam quam regebat ad amorem sui et suae ecclesiae incitavit. » Chron. du Bec, p. 147.

3 Chron. du Bec, p. 102 et 103; Gallia christ., X1, col. 236.

Chron. du Bec. p. 103. A l'abbatiat de Geoffroy d'Epaignes se rattache une lettre de Thomas Basin, évêque de Lisieux, du 1er août 1455, confirmant les indulgences accordées par le cardinal d'Estouteville, archevêque de Rouen, à ceux qui visiteraient l'église du prieuré de Saint-Philbert et la chapelle de Sainte-Radegonde qui en est proche, et qui donneraient quelque chose pour les réparer ou augmenter. (Bibl. nat., lat. 13903, fo 82 v°.

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