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intérêts du prieuré de Beaumont-le-Roger, « ad procurandum quandam causam intentatam per quendam cardinalem », il obtint la licence en 1434, et fut envoyé comme prieur à Conflans, le 4 septembre 14381. Reçu docteur en décrets après avoir professé pendant plusieurs années à l'Université de Paris, il fut pourvu de la commende du prieuré des OEufs, « de Ovis », en Thiérache, au diocèse de Térouanne, qui dépendait de l'abbaye de Marmoutier 2.

Ce fut le 4 septembre 1446 que le chapitre général élut, par voie d'inspiration, «< per viam Spiritus sancti », Jean de la Motte abbé du Bec 3.

Dans une bulle datée de Rome, le 2 décembre (?) 1446, et adressée au nouvel élu, Eugène IV déclara que, du vivant du dernier abbé du Bec, il s'était réservé la collation de l'abbaye, afin de ne la donner qu'à quelqu'un qui fùt digne de la gouverner; que l'élection faite par la communauté était nulle et qu'il la cassait; mais, croyant que Jean de Rouen n'avait accepté que par ignorance de la réserve, qu'il était d'ailleurs docteur en décrets et possédait les qualités requises, il lui conférait l'abbaye; en même temps, il l'autorisait à se faire bénir par tel évêque qu'il voudrait, et à prêter entre ses mains le serment de fidélité au Saint-Siège. Cette confirmation en cour de Rome de l'élection de Jean de Rouen coûta de fortes sommes, et pour se les procurer, l'abbaye dut engager plusieurs terres.

Jean de la Motte rendit obéissance à l'église de Rouen et reçut la bénédiction des mains de Raoul Roussel, dans la chapelle du palais archiepiscopal, le 1er mai 1447. Il fit serment de fidélité à Charles VII le 31 octobre 1449.

Le chroniqueur du Bec qui écrivait la notice sur Jean de la Motte d'après des témoins de sa vie, nous a conservé quelques traits de son caractère. Ferme et sévère à l'égard

'Bibl. nat., lat. 13905, f 106.

Chron. du Bec, p. 99 et 100.

Pol (Pas-de-Calais).

OEuf-en-Ternois, canton de Saint

3 Chron. du Bec, p. 100; Bibl. nat., lat. 13905, fo 61 vo.

Bibl. nat., lat. 13905, fo 44, 95 et 50.

Chron. du Bec, p. 100; Gallia christ., XI, col. 236.

des religieux dyscoles, il était doux envers les moines pieux. et fervents. Il se préoccupait fort peu de sa propre personne et se montrait affable envers chacun, surtout à l'égard de ses inférieurs. Sa modestie était admirable. Loin de se prévaloir d'une dignité qu'il sut, d'ailleurs, toujours faire respecter, il s'attachait affectueusement à ses frères, et partageait leur vie pénitente comme s'il eût été le moindre d'entre eux. « Je tiens, ajoute l'annaliste, de ceux qui l'ont connu, que du jour où il fut élevé à la dignité abbatiale, on ne vit plus sur son visage la douce gaieté qui s'y peignait auparavant. Sans doute il se souvenait, comme le pape saint Grégoire, de ce qu'il avait perdu en revêtant cette dignité, et sans cesse il songeait au modèle parfait qu'il devait offrir à tous dans sa propre personne, et au compte sévère qui lui serait un jour demandé des œuvres de sa vie1». Pour ce qui est du temporel, Jean de la Motte eut à s'occuper des réparations et de l'entretien du monastère et de ses dépendances, et à acquitter les dettes de son prédécesseur, « quae maxima erant, occasione guerrae quae tempore suo vigueral 2 ».

L'heure approchait où la Normandie, peu à peu reconquise par Dunois, le connétable de Richemont, Robert de Floques, le duc d'Alençon et nombre d'autres chevaliers, allait, comme le reste de la France miraculeusement sauvée par Jeanne d'Arc, échapper pour toujours à la domination anglaise. Somerset, qui gouvernait la Normandie, assisté du vieux Talbot, s'était vainement adressé au conseil d'Angleterre pour obtenir des renforts. Ne se sentant point soutenu, il ne jugea pas prudent de tenir la campagne, et alla s'enfermer dans le château de Rouen. Dunois s'était présenté devant la capitale normande, espérant qu'à son approche, on lui ouvrirait les portes de la ville: elles étaient demeurées closes. Toutefois, en présence de l'agitation croissante et de l'attitude menaçante de la population rouennaise qui se déclarait pour le roi de France, Somerset fut contraint

Chron. du Bec, p. 100.
Chron. du Bec, p. 101.

de capituler. Il dut s'engager à remettre les villes d'Arques, de Caudebec, de Montivilliers, de Lillebonne, de Tancarville et d'Honfleur, et à payer une rançon de 50 000 écus d'or; Talbot et d'autres chevaliers furent laissés en otages jusqu'à l'entière exécution du traité. Somerset se retira à Caen.

Le 10 novembre 1449, Charles VII, entouré de son armée et des seigneurs de sa cour, fit son entrée solennelle à Rouen. « Le roy de France estoit monté, tout armé à blanc, sur ung coursier couvert jusques aux piez de velour de azur semé de fleurs de liz d'or de brodure, en sa teste un capel de velour vermeil où avoit au bout une houpe de fil d'or1». L'abbé du Bec fut l'un des prélats choisis pour porter au roi les félicitations et les vœux de la province2. L'enthousiasme était à son comble dans cette population qui avait gémi si longtemps sous le joug odieux de l'étranger. Les cloches sonnaient à toute volée, et « par où le roy passoit les rues étoient couvertes à ciel et tendues moult richement, toutes pleines de peuples criant Noël ! » La victoire de Formigny, 15 avril 1450, allait marquer la date de l'expulsion définitive des Anglais.

3

Durant l'occupation, les abbés du Bec avaient souvent été obligés de quitter leur monastère et de résider à Rouen. D'autre part, les voyages, les missions politiques, la présence aux synodes et aux Echiquiers absorbaient une notable partie d'un temps qu'ils auraient dù, en vertu de leur charge pastorale, consacrer au soin de leur troupeau. Ces absences répétées, toutes légitimes qu'elles fussent, n'étaient pas sans inconvénients pour la communauté laissée ainsi à elle-même, et l'autorité restreinte des prieurs claustraux ne pouvait suffire à l'expédition régulière des affaires spirituelles et temporelles d'une abbaye aussi considérable que celle du Bec.

'Cronicques de Normendie, édit. Hellot, p. 133.

Chron. du Bec, p. 101. « Au devant du roy vindrent à cheval aux champs l'archevesque de la cité, accompagné de plusieurs évesques et abbez et autres gens d'église constituez en dignité, lesquels firent la révérence moult humblement, et puis s'en retournèrent. » Cronicques de Norm., édit. Hellot, p. 136.

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Ce furent ces considérations qui décidèrent Jean de la Motte à s'adjoindre un vicaire général auquel il délégua tous ses pouvoirs. Le prieur de l'abbaye, Pasquier de Malleville 1, fut investi de ces fonctions, le 16 août 1449. Jean de la Motte, disent les lettres de provision, avait été obligé de s'éloigner << propter pestem guerrarum undequaque discurrentium ». Cette date de 1449 coïncide précisément avec la reprise par les Français des villes et châteaux qui environnaient l'abbaye: Pont-de-l'Arche est pris le 15 mai 1449, Conches à la fin du même mois, Verneuil le 19 juillet, Pont-Audemer le 12 août, Lisieux le 16, Harcourt le 16 septembre, Chambrais le 18. Nous avons peu de renseignements sur les dernières années de l'abbatiat de Jean de la Motte. Nous savons seule. ment qu'il assista, avec d'autres prélats, à l'assemblée de Bourges en 1452, où il était question d'abroger la Pragmatique-sanction qui fut maintenue malgré les réclamations du pape et de son légat; ce serait là, suivant la Chronique, que Jean de la Motte aurait contracté le germe d'une maladie qui devait l'emporter quelques mois plus tard 3.

S'étant rendu à Rouen pour siéger à l'Échiquier, il tomba malade, et mourut bientôt après, dans son hôtel de la Fontaine, le 17 novembre 1452. Son corps, rapporté à l'abbaye, fut enterré au milieu du chœur, auprès de celui de Guillaume d'Auvillars.

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Pasquier de Malleville était prieur du Bec dès le mois de juin 1439. (Bibl. nat., lat. 13905, f° 106 vo.)

Bibl. nat., lat. 13905, f° 11 vo.

3 Chron. du Bec, p. 101. Sur l'assemblée de Bourges, voir Paul Viollet, Hist. des institutions politiques, etc., t. II, p. 339.

Chron. du Bec, p. 101 et 102; Gallia christ., XI, col. 236. La Chronique donne son épitaphe:

Clarum Rothomagus gaudet genuisse Johannem,

Et tanto Beccus patre carere dolet.

Juris Parisius cathedram per tempora rexit,
Fratres direxit moribus in melius.

Quem Rotho. genere commendat, quem sacra jura,
Quem praclatura, subjacet in cinere.

M.C quater. semi, duplex I. funera signant
Mensis et undeni septima dena dies.

CHAPITRE IX

Les prieurés anglais depuis le XIe siècle jusqu'au milieu du XV. Leur situation après la conquête de la Normandie. Les manoirs de Wrotham] et de Lessingham. Saint- Néot; Cowick; Willesford; Okeburne; Goldcliff. Les biens des prieurés séquestrés pendant la guerre de France. Les prieurés sont soustraits à l'obédience du Bec. Procédure caractéristique relative au prieuré de Sainte-Madeleine de Goldcliff. Un prieur héroïque. Reliques apportées au Bec par les religieux expulsés.

Il serait intéressant de savoir quel fut le modus vivendi des prieurés anglais et de l'abbaye du Bec au moment de la réunion de la Normandie à la couronne de France; malheureusement les documents font défaut, et le point est demeuré obscur. Il y a lieu de croire que leurs rapports furent temporairement suspendus par l'espèce de persécution qu'eut à subir l'Église d'Angleterre lors de la rupture qui éclata entre Jean sans Terre et Innocent III. On sait que le roi ayant refusé de reconnaitre Étienne Langton pour archevêque de Cantorbéry, le pape jeta en 1208 l'interdit sur le royaume d'Angleterre. Jean répondit à cette mesure par la confiscation des biens des évêchés, abbayes et prieurés qu'il donna à des laïques. Le roi fut alors excommunié, et ses

'Matthaei Paris, Historia major, p. 158.

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« Episcopatus insuper, abbatias, prioratus laicorum custodiae deputans, universos ecclesiasticos redditus confiscari praecepit. Sed in hoc caute prospiciebant praelati generaliter omnes totius regni, quod de monasteriis suis exire noluerunt, nisi per violentiam expellerentur. Quod cum a regis ministris fuisset compertum, noluerunt alicui

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