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DE

L'ABBAYE DU BEC

CHAPITRE PREMIER

Ymer de Saint-Ymer, 18° abbé. Son voyage en Angleterre. Il poursuit activement la reconstruction de l'église abbatiale. Hommages faits à Ymer par les vassaux de l'abbaye. Transactions et arbitrages. Amortissements. Chapitres généraux de l'Ordre du Bec. Statuts disciplinaires. Taxes pour la reconstruction de l'église. Les privilèges du Bec. Chapitre général de 1304. Mort de l'abbé Ymer.

Le jour même des funérailles de Pierre de la Cambe, le prieur claustral, Robert de Leone 1 et les religieux adressèrent une requête à Philippe le Hardi pour obtenir l'autorisation d'élire un nouvel abbé. Les deux moines chargés de porter le message étaient Henri de Pont-Audemer et Gautier d'Envermeu 2. L'élection fut fixée au 26 novembre 1281, et les suffrages se portèrent à l'unanimité sur Ymer, prieur de Saint

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Demay décrit ainsi le sceau prioral de Robert de Leone, à l'année 1285, conservé aux Archives de la Seine-Inférieure: «< Sceau ogival de 48 millimètres. Sur une plate-forme flanquée de deux tours, la Vierge assise, tenant l'enfant Jésus. Au-dessous, un priant: Sigillum fratris Roberti de Leone prioris Becci Herluini. » Inventaire des sceaux de la Normandie, n° 2935.

* Orig. scellé au Trésor des Chartes, Elections, no 65, carton J. 345. (Cité par L. Delisle, Cartul. norm., no 977.) Le prieur Robert de Leone mourut en 1285; il eut pour successeur Guillaume de Saint-Cloud, prieur de Saint-Pierre de Pontoise. Le tombeau de ce dernier se voyait dans la salle capitulaire avec cette inscription: «Hic jacet Fr. Guillermus de Sancto Clodoaldo, quondam prior Becci Helluini. Anima ejus requiescat in pace. » Recueil de D. Jouvelin, Bibl. nat., lat. 13905, fo 106.

Ymer, et originaire du même lieu. C'était, dit la Chronique, « un homme capable, sobre, chaste, avisé dans le maniement des affaires spirituelles et temporelles ». Le nouvel élu fut confirmé par l'archevêque de Rouen, le 2 décembre, dans l'église du prieuré de Saint-Pierre de Pontoise, et le lendemain présenté au roi, à Paris. Le 7 du même mois, il recevait la bénédiction dans la chapelle de Fresne-l'Archevêque1; le 8, il faisait la profession d'obéissance dans l'église cathédrale de Rouen, et le 10, son entrée solennelle dans l'abbaye du Bec 3.

Dès les premiers mois de son abbatiat, Ymer parait s'être vivement préoccupé de la situation des prieurés d'Angleterre, dont quelques-uns s'efforçaient de relâcher les liens qui les rattachaient à l'abbaye mère1. Il passa le détroit en 1282, fit

Fresne-l'Archevêque, canton des Andelys. Les archevêques de Rouen acquirent le domaine de Fresne en même temps qu'Andely, avant le XIe siècle. Lorsque Richard Coeur-de-Lion échangea, le 16 octobre 1196, Dieppe, Bouteilles, Louviers, la forêt d'Alihermont et les moulins de Rouen contre Andely et son territoire, l'archevêque se réserva le manoir de Fresne avec ses dépendances.

A l'occasion de cette profession d'obéissance les nouveaux abbés du Bec payaient au doyen et au chapitre de Rouen une somme de 100 sols tournois. En 1291, le chapitre, sans renoncer à son droit pour l'avenir, fit remise à Ymer « centum solidos turonensium quos ab eisdem religiosis petebamus ex bona et antiqua consuetudine nostrae Rothomagensis ecclesiae supradictae, ratione professionis quam abbas praedicti monasterii Beccensis, qui pro tempore fuerit, quando noviter creatus est in abbatem dicti loci, facit et facere tenetur in ecclesia nostra supra dicta. » De leur côté, les religieux abandonnèrent au chapitre « triginta duos solidos annui et perpetui redditus quos eisdem religiosis reddebamus, et tenebamus reddere annuatim de quodam tenemento quod habebamus, sito Rothomagi, in vico S. Romani, quod fuit quondam Benedicti canonici Rothomagensis... Actum anno Domini MCCXC, die veneris ante cathedram S. Petri. » (Bibl. nat., lat. 13905, f° 89 v°; et 12884, fo 421 v°.) C'est sans doute de ce tènement qu'il est question dans le passage suivant de l'Inventaire des titres du Bec, p. 1259. Confirmation de Rotrou, archevêque de Rouen, de l'acquisition faite par l'abbaye du Bec de toute la terre de Robert de Clérambaut scise près le chemin de Saint-Romain à Rouen, avec l'acquisition y attachée. »

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Chronique du Bec, p. 46 et 47. La Chronique (p. 127) donne la formule du serment que prêta l'abbé Ymer lors de sa prise de possession.

En 1280, les prieurs de Saint-Néot, de Stoke et de Cowick signérent une charte par laquelle ils reconnaissaient l'autorité et la direction de l'abbé du Bec; mais d'autres prieurs s'étaient abstenus. (Bibl. nat., lat. 13905, fo 46.)

les visites canoniques, et rentra au Bec le 24 avril 12831. Nul doute que l'affermissement de la discipline monastique n'ait été le principal motif de son voyage; cependant, les documents du temps ne parlent guère que d'une rentrée plus exacte des redevances payées par les prieurés anglais. En quittant l'Angleterre, l'abbé Ymer emportait avec lui 100 marcs. Au terme de saint Jean-Baptiste 1283, on lui envoya 300 marcs; à la fête de la Purification 1284, il en reçut 300 autres. Dans les années qui suivirent, la contribution s'éleva jusqu'à 1 000 et même 2000 livres tournois 3.

Ces taxes étaient destinées à la reconstruction de l'église abbatiale. On a vu que Pierre de la Cambe avait adopté un

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« Receptae Domini Ymerii abbatis Becci de bonis Angliae, tempore fratris R. de Leone quondam procuratoris abbatis et conventus Becci in Anglia. Anno Domini 1282, quando praedictus dominus abbas rediit de Anglia mense martii, tulit secum centum marcas. Item, eodem anno ad sequens festum S. Michaelis, recepit idem abbas per manum Kanoti centum marcas. In eodem anno ad sequens festum Purificationis B. M. Virginis, recepit idem abbas per manum Kanoti trecentas marcas. Item, anno Domini 1283, in festo Nativitatis B. Johannis Baptistae, recepit idem abbas per manum P. Anglici trecentas marcas, computatis sexies viginti marcis quas dictus procurator reddidit in Anglia Roberto le Balancher, civi Rothomagensi, quam pecuniam idem civis tradiderat mutuo domino abbati, quam idem abbas tradidit mutuo domino G. Crispino. Item, eodem anno, die veneris post Purificationem B. Mariae virginis, recepit idem abbas per manum Kanoti trecentas marcas. Anno Domini 1284 100 lib. sterlingorum.

1285 100 marcas; 400 marcas.

1286 200 marcas.

1287 250 marcas.

1288 .....

1289 350 marcas.

1290 550 marcas.

1291 600 marcas sterlingorum.

1292 300 marcas sterlingorum,

1293 600 marcas sterlingorum.

1297 1000 lib. turonensium parvorum.

1298 1000 lib. turonensium nigrorum.
1299 1000 lib. turonensium parvorum.

1300 600 lib. turonensium parvorum.

1301 600 lib. turonensium.

1303 2000 lib. turonensium. »>

Bibl. nat., lat. 13905, fo 45.

plan gigantesque qui donnait à la nouvelle basilique les proportions d'une vaste cathédrale. Pour pouvoir continuer cette œuvre, Ymer recueillit de grosses sommes d'argent et confia la direction des travaux à un maître maçon normand, Robert de la Fontaine, qui éleva les murailles du chœur jusqu'à la hauteur du toit. Robert de la Fontaine n'est connu que par la mention qu'en fait la Chronique du Bec; nous pensons qu'il était originaire de Pont-Autou1.

Le monument funéraire élevé dans le choeur pour abriter les ossements de l'impératrice Mathilde, avait disparu sous les décombres de l'incendie de 1263; ce fut au cours des travaux entrepris par l'abbé Ymer quell'on retrouva, en 1282, le corps de l'impératrice cousu dans un cuir de bœuf 2. C'était un usage fort répandu, au xir° siècle, de saler les corps et de les enfermer dans une peau de cerf ou de bœuf 3.

« Hic in tempore suo, cum studio, diligentia et sagacitate institit operi et aedificationi fabricae novae ecclesiae, quae post ruinam incaepta fue rat tempore Petri abbatis, praedecessoris sui, et locavit praedictum opus cuidam latomo magistro, Roberto de Fonte nomine, ad construendum praedictum opus usque ad tecturam, ut patet per litteras ipsius latomi. » Chronique du Bec, page 132. On trouve dans l'Inventaire des titres du Bec, page 473, une mention qui doit se rapporter à ce maçon, probablement originaire de Pont-Autou. « Vente faite à l'abbaye du Bec par Robert de la Fontaine Lathommel (sic) d'une pièce de terre et bois avec le fonds, scize au Pont-Autou, 1295. Cotté 17. » Les innombrables méprises du rédacteur de l'Inventaire autorisent à penser qu'il aura traduit Robertus de Fonte latomus, par ces mots bizarres Robert de la Fontaine Lathommel, pour Robert de la Fontaine,

maçon.

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<< Eodem anno (1282), quaestio facta est apud Beccum, post tantum incendium et ruinam, ubi corpus piae memoriae dominae Matildis imperatricis jacebat; et inventum fuit ante sedem majoris altaris interclusum in quodam corio bovino. » Chronique du Bec, p. 129.

Cette coutume fut pratiquée pour Henri Ier en 1135 (Henri de Iluntingdon, édit. Migne, col. 955-957); pour Henri Court-Mantel, mort le 10 juin 1183 (Benoit de Péterborough dans le Recueil des historiens de France, t. XVII, p. 455); pour Richard Coeur-de-Lion, mort en 1199 (Deville, Tombeaux de la cathédrale de Rouen, p. 156 et 164). Vers 1826, M. Deville, visitant deux fosses maçonnées du XIII° siècle dans l'église abbatiale de Saint-Georges de Boscherville, rencontra, avec les cercueils, « des lambeaux considérables de cuir tanné; les cuirs offraient la trace d'une large couture ». Nul doute que les corps n'y aient été enveloppés. (Deville, Essai historique et descriptif de l'abbaye de Saint-Georges, p. 18 et 19).

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