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1873, Oct. 13. Minot Fund.

A

L'ENCYCLOPÉDIE

MODERNE,

OU

DICTIONNAIRE ABRÉGÉ

DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES ARTS.

LÉGISLATIVE (Histoire de France). Les Assemblées électives, chargées de discuter et de porter les lois, ont fourni déjà la matière d'un article, où il a été traité, d'une manière générale, de leur nature, de leurs droits, de leurs devoirs (1). Mais deux fois, dans notre histoire moderne, la représentation nationale a joué, sous le nom d'Assemblée législative, un rôle qui réclame une mention particulière. La première des deux assemblées spécialement qualifiées de législatives, siégea un peu moins d'un an, du 1er octobre 1791 au 21 septembre 1792, et disparut dans la tempête du 10 août, qui emporta le trône constitutionnel. Elle fut une transition entre la Constituante et la Convention; mais elle prépara l'œuvre de la seconde bien plus qu'elle ne continua celle de la première. Inférieure à la Constituante dans l'œuvre de réforme et de fondation, elle n'eut pas non plus au même degré que la Convention la puissance d'action et la constance. Toutefois elle occupe, et à juste titre, une illustre place entre ces deux grandes Assemblées, dont l'une régénéra la France, et dont l'autre fut le bouclier impénétrable dont la Révolution se couvrit contre les coups de la vieille Europe monarchique et féodale, et l'épée vengeresse dont elle frappa ses ennemis, en frappant aussi, hélas! beaucoup de ses amis. L'Assemblée législa

(1) Voy., au t. IV de l'Encyclopédie Moderne, col. 592 et suiv., l'article ASSEMBLÉES ReprésentaTIVES, par Benjamin Constant; et aussi, l'article ÉLECTIONS, au t. XIII, col. 602 et suiv.

L

SUPPL. ENCYCL. MOD. T. VIII.

tive eut cela de commun avec la Constituante et la Convention, qu'elle fut animée du plus ardent amour de la Patrie et qu'elle se dévoua sans partage à la cause de la Révolution. C'est pourquoi il y aura toujours pour elle, malgré ses erreurs, un souvenir affectueux et reconnaissant au cœur de quiconque demeurera fidèle à cette belle cause.

La seconde Assemblée nationale, qui a marqué dans l'histoire de nos soixante-dix dernières années, sous le nom de Législative, siégea tumultueusement pendant deux ans et demi, du 28 mai 1849 au 2 décembre 1851. Elle succéda, comme son aînée, à une Constituante; avec elle aussi, périt une Constitution libérale; ce sont des ressemblances. L'acte qui mit fin avant le temps à son exis. tence ne fut point un autre 10 août; elle ne fut point remplacée par une seconde Convention; ce sont des différences. Nous ne serions guère à l'aise, s'il nous fallait raconter les derniers jours de cette Assemblée. Que le lecteur nous permette donc de nous sous traire à cette tâche ardue et de ne parler ici que de la première Législative.

I. Lorsque, le 1er octobre 1791, les élus de la Nation se réunirent à Paris pour tenir leurs séances, deux questions irritantes et pleines de difficultés dominaient toutes les autres : la question de l'Émigration et celle du Clergé ; autrement dit, la guerre étrangère et la guerre civile. Si le Roi eût pu exécuter jusqu'au bout son plan d'évasion; s'il eût réussi à passer la

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juin, établi dans cette dernière ville, sur un domaine de l'Électeur de Trèves. Monsieur, qui, après avoir trompé tout le monde, amis et ennemis, avait eu l'adresse de s'évader, était venu l'y rejoindre un peu plus tard, menant avec lui sa femme et une dame qui passait pour sa maîtresse et qui aurait bien voulu l'être réellement. Le prince de Condé se tenait à Worms, sur le territoire de l'Électeur de Mayence. Des agents de ces traîtres étaient acerédités auprès du Roi de Prusse, Frédéric-Guillaume II (un épais Louis XV allemand, à qui son obésité a valu le surnom de l'ENFLÉ, der Dicke), qui leur faisait le plus gracieux accueil (1). Catherine de Russie, qui avait renvoyé, sans l'ouvrir, la lettre par laquelle Louis XVI annonçait aux puissances qu'il acceptait la Constitution, avait daigné, dans le même temps, accréditer auprès de la petite Cour de Coblentz un des plus grands personnages de son Empire, le feld-maréchal comte de Romanzoff (octobre 1791).

frontière, pour aller coucher le 21 juin à l'abbaye d'Orval, située hors du Royaume et sur la terre d'Autriche, comme il en avait le dessein, comme il l'avait annoncé à Valory (1), la guerre civile aurait éclaté dès le milieu de l'été et aurait été suivie presque aussitôt de la guerre étrangère. L'avortement de cette entreprise qui, pour être du meilleur des Rois, n'était guère paternelle, avait donné à la France quelques mois de répit. Mais le mouvement de l'émigration, bien loin de se ralentir, avait acquis la fougue impétueuse d'un torrent. Les administrateurs et fonctionnaires publics abandonnaient leur poste, les officiers de terre et de mer désertaient en masse. Le cri d'armes des gardes du corps, réunis à Coblentz au grand complet, était UN ROI OU LA MORT, et cette légende menaçante était gravée sur leurs boutons. Le Roi constitutionnel n'était pas un Roi; il leur fallait le Roi d'avant 89. La fureur des ecclésiastiques massés à Coblentz était plus impatiente encore et allait jusqu'à la rage. Les journaux ultra-royalistes, tels que la Gazette de Paris et l'Ami du Roi, étaient remplis de rétractations adressées par des officiers qui avaient prêté le serment exigé des troupes lors de l'événement de Varennes. Ces mêmes journaux eurent l'audace d'insérer une adresse des émigrés à l'Impératrice de Russie, el une réponse transmise au nom de cette femme cruelle par le comte de Romanzoff, réponse dont les termes étaient aussi bienveillants pour la France extérieure (ce mot insolent est de Monsieur, le prince libéral et le mauvais frère) que menaçants pour la France révolutionnaire (2). Les émigrés affluaient à Bruxelles, et surtout à Worms et à Coblentz. Le comte d'Artois était, depuis le mois de

(1) Affaire de Varennes, p. 257. (Collection Baudouin.) Michelet, V, 6; Plus bas, col. 29.

(2) Au mois d'octobre 1789, Catherine avait dit au comte de Ségur qui prenait congé d'elle : « Votre penchant pour la nouvelle philosophie et pour la liberté vous portera probablement à soutenir la cause populaire; j'en serai fâchée; car moi je resterai aristocrate, c'est mon métier. Memoires ou Souvenirs et Anecdotes par M. le comte de Ségur; Ille édition, t. III, p. 454; t. II, p. 178. Didot.)

L'empereur Joseph II avait dit de même, lors de son voyage en France (fin de 1777): Mon métier de souverain m'empêchera toujours de me ranger parmi les adeptes de la philosophie. (Mémoires de Madame Campan, ch. VIII, p. 149, Didot.) Il avait conscillé à la Reine, sa sœur, de ne pas permettre que Voltaire lui fût présenté. Lui-même, passant près de Ferney, se fit un point d'honneur d'affecter de ne s'y pas arrêter. Mais il avait eu le bon goût d'aller à Lucienne pour y rendre ses hommages à la Du Barry, qui n'était pourtant plus sur le trône. La courtisane qui avait tout fait pour les plaisirs de S. M. Louis XV lui était plus que Voltaire. Pressé par une dame de manifester son opinion sur l'insurrection américaine, il dit ce mot si connu: Eh! mais, Madame, mon métier, à moi, est d'être royaliste. (Lacretelle, t. V, p. 188.) Au moms ces deue-là étaient francs. Voy., plus bas, col. 8, note.

A cette époque, il y avait à l'étranger vingt et un mille Français en état d'émigration, c'est-à-dire en état de guerre ouverte contre les lois et contre la Patrie, sur lesquels douze mille nobles, et, ce qui se conçoit moins, neuf mille bourgeois. Heureusement pour nous, les chefs de cette armée de rebelles étaient désunis et se haïssaient mutuellement, comme il arrive d'ordinaire entre princes. Les gens avisés qui entouraient Monsieur se moquaient ouvertement de l'i. neptie du comte d'Artois; à leur tour, les paladins brillants et vides qui paradaient près de celui-ci n'épargnaient pas Monsieur, ne tarissaient pas en paroles amères contre l'hypocrisie avérée et le cruel égoïsme de ce louche et astucieux personnage. Les familiers du prince de Condé ne se gênaient pas pour ricaner en parlant de la bravoure des deux augustes frères et pour parier que, si l'occasion de combattre était offerte aux émigrés, Monsieur allèguerait quelque indis position subite, qui ne serait, au vrai, qu'une défaillance de cœur, et que le comte d'Artois, le beau Galaor des ruelles, prendrait peur et s'arrangerait pour être absent, ou se ferait prier de ne pas exposer ses précieux jours. D'ailleurs les coryphées des trois coteries, insensibles, légers ou impertinents comme les trois princes dont elles relevaient, riaient à leur aise des embarras du Roi et

(1) Ce gros homme sensuel était alors en la puissance de la comtesse de Dönhoff, qui avait achevé de supplanter l'ancienne favorite, la comtesse de Lichtenau. Voyez le très-instructif ouvrage publié à Hambourg en 1851, par le Dr Édouard Vehse, sous le titre de Geschichte des Preussischen Hofs und Adels, und der Preussischen Diplomatie, t. V, p. 36 et suiv.

de la Reine; ils poussaient l'irrévérence jusqu'à plaisanter du voyage de Varennes, si maladroitement conduit, mais si fatal à ces deux infortunés, jusqu'à chansonner le cocher Fersen et son inutile dévouement à sa royale amie.

Les trois coteries, divisées sur tous les points, s'entendaient sur un seul : elles maudissaient la Constitution, et voulaient l'anéantir. Les deux frères du Roi, Monsieur, le futur auteur de la Charte, tout aussi bien que le comte d'Artois, le futur auteur des Ordonnances de juillet, et avec eux le prince de Condé, les ducs de Bourbon et d'Enghien (celui-ci âgé de dix-neuf ans) avaient publié une protestation contre l'acceptation de l'acte constitutionnel. Dans ce manifeste de rébellion, ils disaient, ces grands princes:

Qu'est-ce que la Constitution qu'on prétend nous donner, sinon un monstre destructeur des lois divines et humaines; une œuvre de délire et d'iniquité, nulle par les prin. cipes qu'elle établit, puisqu'ils renversent le trône et l'autel, et tendent à replonger les peuples dans la barbarie. Le Roi n'était pas libre; donc sa sanction est nulle; et, dans ce cas, désobéir à des actes illusoires, c'est donner de son obéissance et de sa fidélité la preuve la plus forte et la plus courageuse; c'est servir le véritable monarque, c'est servir son Dieu et sa Patrie. Et d'ailleurs, quand même le Roi eût joui de toute sa liberté, il n'aurait pas eu le droit de sanctionner des lois contraires aux lois fondamentales de l'empire (1). » Cette protestation fut répandue dans Paris et dans les départements, et les émissaires des Princes ne se firent pas faute d'insinuer qu'elle était approuvée tacitement par le Roi, et, par ces insinuations, où il y avait du vrai, ils levèrent les scrupules de ceux qui avaient pris au sérieux le serment du Roi. L'Émigration en fut raffermie et fortifiée. « On déclara aux nobles qu'il fallait émigrer et se rassembler sur les frontières; qu'ils y trouveraient de nombreuses armées d'Autrichiens, de Prussiens, d'Espagnols, à la tête desquelles ils reviendraient triomphants dans leur patrie. Les nobles quittèrent en foule leurs châteaux, abandonnant leurs femmes, leurs enfants, leurs propriétés à la merci de leurs ennemis, m'emportant pas même leur argent, leurs bijoux, leurs armes; da plupart avec un seul frabit et quelques chemises, croyant que cet exil volontaire, qui devait durer la vie de

(1) Protestation des princes de la maison de Bourbon contre l'acceptation de la constitution française, dénoncée à l'Assemblée nationale. Elle a été publiée in-extenso à la suite du t. III des Mémoires du marquis de Ferrières, p. 381-386. (Partie inédite, 1821.)

tous, n'était qu'un voyage de plaisir de cinq ou six semaines. Les femmes, encore plus humiliées de leurs pertes, plus jalouses de leurs droits, étaient les plus ardentes à hâter l'émigration. Elles tourmentaient, par des sarcasmes et par un ton affecté de mépris, ceux qui refusaient de partir, ou même qui balançaient un moment. L'honneur, disaientelles, a parlé, il n'y a plus à hésiter. On envoyait des quemouilles aux traîneurs; on les menaçait de tout le courroux de la Noblesse victorieuse; ceux qui s'obstineraient à rester seraient dégradés, relégués parmi la bourgeoisie, tandis que les Nobles émigrés posséderaient les places, les honneurs, les dignités. On insinuait aux bourgeois que c'était un moyen assuré d'acquérir la noblesse (1).

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II. Quels étaient les sentiments du Roi, de la Reine, de madame Élisabeth à l'égard de l'Émigration? Ils étaient très-différents. Madame Élisabeth était de cœur avec l'Émigration; elle en avait toutes les passions, toutes les illusions: « Je regarde la guerre civile, avaitelle écrit depuis longtemps, comme nécessaire. L'anarchie ne pourra jamais finir sans cela; plus on retardera, plus il y aura de sang répandu. Voilà mon principe; si j'étais roi, il serait mon guide (2). » Le lendemain de la mort de Mirabeau, dont elle eut une grande joie, la regardant comme un trait de la Providence sur le Royaume, elle écrivait : « Je ne crois pas que ce soit par des gens sans principes et sans mœurs que Dieu veuille nous sauver. Je garde pour moi cette opinion, parce qu'elle n'est pas politique (3). » Son frère le comte d'Artois, à qui elle prêtait une énergie et une capacité dont il était absolument dépourvu, lui apparaissait comme le restaurateur du trône et le vengeur de la Royauté outragée. Son rêve était la contre-révolution par ce frère chéri, conduisant les émigrés à la victoire. Elle lui savait bon gré d'écrire à la Reine: « J'employerai tous les moyens qui sont en mon pouvoir pour décider enfin nos alliés à nous secourir avec des forces assez imposantes pour attérer nos ennemis. Je combinerai les ressources de l'intérieur avec

(1) Mémoires du Marquis de Ferrières, livre XI; t. I, p. 18 et 19 (partie inédite; 1821).

(2) Lettre à madame de Bombelles (dans l'Éloge historique de madame Élisabeth, par Ferrand; Paris, 1814).

C'était aussi l'opinion bien arrêtée de Mirabeau, que la guerre civile était une nécessité, et que la Royauté devait l'affronter et même la provoquer, puisque, aussi bien, elle était inévitable. (Correspondance de Mirabeau et de La Marck, t. Jer, p. 126, 182, 199, 244-) Voy, plus bas, col. 572, note (2). (3) Lettre à madame de Raigecourt, datée du 3 avril 1791 (dans Ferrand).

les appuis du dehors, et mes efforts et mes soins se porteront également d'un bout du royaume à l'autre, et je préparerai toutes les provinces suivant leurs moyens à seconder une explosion générale. J'arresterai, je contiendrai tout éclat factice, mais je seconderai avec autant d'ardeur que de dévouement les entreprises qui me paraîtront assez solides pour en imposer à nos ennemis et pour me donner la juste espérance d'un vrai succès (1). »

Les sentiments de la Reine sur l'Émigration différaient essentiellement, à cette époque, de ceux de sa belle-sœur. Jamais elle n'avait eu d'illusion sur les desseins de Monsieur; elle avait appris par une cruelle expérience qu'elle n'avait pas d'ennemi plus dangereux, plus implacable que ce perfide; elle avait acquis la triste conviction que personne ne l'avait diffamée plus outrageusement que lui. Elle n'avait jamais non plus fait grand fond sur les fanfaronnades du comte d'Artois, le sachant étourdi, vaniteux et de peu de courage; elle voyait avec inquiétude qu'il se livråt, nul comme il était, à M. de Calonne, dont elle avait éprouvé la haine acharnée (2). Après Varennes, pendant la Révision, solitaire et délaissée (3), elle fut frappée plus qu'elle ne l'avait été jusque-là des dangers que l'Emigration attirait sur elle et les siens, elle prit définitivement un parti sur cette redoutable question, se prononça de plus en plus fortement contre les manœuvres de ses beaux-frères, et plaça désormais tout son espoir dans les Puissances étrangères. Elle a elle-même, dans une lettre toute confidentielle, adressée au comte de Mercy-Argenteau, qui était pour elle un ambassadeur de famille, révélé ses pensées les plus intimes: « Si les Puissances ne viennent pas dans le moment à notre secours, ne nous reste

(1) Extrait d'une lettre autographe, signée de la Reine et adressée à madame Élisabeth (dans l'Histoire de Marie-Antoinette, par MM. Edmond et Jules de Goncourt, p. 291; 1re édition, 1858). Cette lettre du comte d'Artois paraît être du mois d'avril 1791.

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(2) Elle avait acquis la preuve que ce ministre était devenu son plus cruel ennemi, et qu'il se servait pour noircir son earactère des moyens les plus vils et les plus criminels. Je puis attester que j'ai vu dans les mains de la Reine un manuscrit des Mémoires infâmes de la femme Lamotte, qu'on lui avait apporté de Londres, et qui était corrigé de la main même de M. de Calonne dans tous les endroits où l'ignorance totale des usages de la Cour avait fait commettre à cette misérable de trop grossières erreurs. » (Mémoires de Mme Campan, chap. XVI, p. 270, Didot.) Comparez la lettre de la Reine au comte de Mercy-Argenteau (16 août 1791), dans la Revue retrospective, Ile série; 1835, t. Ier, p. 458-466.

(3) « Nous n'avons pas un ami, tout le monde nous trahit, les uns par haine, les autres par faiblesse ou ambition.» (Lettre de la Reine au comte de MercyArgenteau; 16 août 1791.)

donc que le parti des princes et des émigrants; mais combien peut-il nuire! parce que seuls ils ne pourront faire qu'une chose partielle ; et, si même (ce qui n'est pas à présumer) ils ont un avantage réel, nous retomberions sous leurs agents dans un esclavage nouveau et pis que le premier, puisque ayant l'air de leur devoir quelque chose, nous ne pourrions pas nous en retirer; ils nous le prouvent déjà en refusant de s'entendre avec les personnes qui ont notre confiance, sous le prétexte qu'ils n'ont pas la leur, tandis qu'ils veulent nous forcer de nous livrer à M. de Calonne, qui, sous tous les rapports, ne peut nous convenir, et qui, je crains bien, ne suit en tout ceci que son ambition, ses haines particulières et sa légèreté ordinaire, en croyant toujours possible et fait tout ce qu'il désire... Il est essentiel que les Français, mais surtout les frères du Roi, restent en arrière et que les Puissances réunies agissent seules. Aucune prière, aucun raisonnement de notre part ne l'obtiendra d'eux; il faut que l'Empereur l'exige, c'est la seule manière dont il puisse et surtout moi me rendre service. Vous connaissez par vous-mêmes les mauvais propos et les mauvaises intentions des émigrants; les lâches, après nous avoir abandonnés, veulent exiger que seuls nous nous exposions et seuls nous servions tous leurs intérêts. Les frères du Roi sont entourés et menés par des ambitieux qui les perdront, après nous avoir perdus les premiers.... Nous n'avons plus de ressource que dans les Puissances étrangères; il faut à tout prix qu'elles viennent à notre secours; mais c'est à l'Empereur à se mettre à la tête de tous et à régler tout. Il est essentiel que les frères du Roi et tous les Français, mais surtout les premiers, restent en arrière et ne se montrent pas. » Vous voyez mon âme tout entière dans cette lettre, dit la Reine au vieux diplomate, ami de sa maison. La sincérité y éclate, en effet, à chaque mot, et l'on y trouve l'expression réfléchie de sa plus secrète pensée (1). Dans un Mémoire qu'elle adressa quelques jours après (3 septembre 1791) à l'empereur Léopold, son frère, elle exposait avec la même énergie et la même précision ses vues sur l'Émigration et le suppliait d'en contenir les dangereux mouvements. « Les Princes, disaitelle, entrant en France, tout est perdu, car ils y entrent avec la soif d'une autre vengeance que celle des lois, et il serait impos

(1) Cette longue lettre, qui est d'une importance capitale, est la réunion de trois morceaux écrits à quelques jours d'intervalle (16, 21 et 26 août 1791). Publiée pour la première fois par la Revue rétrospective (1835, 2e série), elle a été reproduite en entier dans la Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de La Marck (1851), t. Ier, p. 314 et suiv.

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