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créer un nouvel ordre de choses qui puisse mettre l'intrigue à la place de la probité, un peu d'esprit à la place du bon sens, et l'intérêt particulier et toujours actif à la place de l'intérêt général et stable de la société! (Vifs applaudissemens.)

» Si je voulais appuyer par des exemples la proposition que je viens d'énoncer je n'irais certainement pas les chercher fort loin; je demanderais aux membres de cette Assemblée qui ont soutenu l'opinion contraire: ceux des membres des corps électoraux qui vous sont connus, qui sont tout près de nous, ceux qui ne paient pas trente ou quarante journées de travail sont-ils des ouvriers? Non. Sont-ils des cultivateurs? Non. Sont-ils des libellistes, sont-ils des journalistes? Oui! (Nombreux applaudissemens.)

» Dès que le gouvernement est déterminé, dès que par uné Constitution établie les droits de chacun sont réglés et garantis (c'est le moment auquel j'espère que nous allons toucher), alors il n'y a plus qu'un même intérêt pour les hommes qui vivent de leurs propriétés et pour ceux qui vivent d'un travail honnête; alors il n'y a plus dans la société que deux intérêts opposés, l'intérêt de ceux qui veulent conserver l'état de choses existant parce qu'ils y voient le bien-être avec la propriété, l'existence avec le travail, et l'intérêt de ceux qui veulent changer l'état de choses existant parce qu'il n'y a de ressources pour eux que dans une alternative de révolution, parce qu'ils sont des êtres qui grossissent et grandissent pour ainsi dire dans les troubles comme les insectes dans la corruption !.... (Vifs applaudissemens.)

» Or s'il est vrai que dans une Constitution établie tout ce qui est honnête, tout ce qui veut le bien et la paix a essentiellement le même intérêt, tout consiste à mettre l'intérêt commun dans la main de ceux qui présentent les garanties nécessaires pour donner à tous la certitude de voir cet intérêt commun bien conservé, bien défendu. Je veux donc que les électeurs soient pris dans cette classe générale d'hommes honnêtes et laborieux, mais que dans cette même classe on choisisse ceux qui ont, qui promettent

quelques lumières, qui ne sont pas facilement trompés; ceux qui, dans cet intérêt commun qu'ils ont avec tous, y trouvent assez d'avantages et ont une existence à conserver assez importante pour ne pas la sacrifier aux avantages personnels de ceux qui mettraient en opposition contre cet intérêt commun l'intérêt particulier de la corruption; car il faut que celui qui élit pour la société soit attaché à l'intérêt social par sa propriété, de manière qu'il ne soit pas facile de lui présenter par corruption un intérêt plus grand que celui qui l'attache à la chose commune et générale. Tant que vous vous éloignerez de là vous tomberez dans le seul abus du gouvernement représentatif; vos élections seront corrompues.

» Se flatte-t-on de voir toujours prévaloir ce zèle ardent et pur pour la liberté qui anime dans un temps de révolution les citoyens les moins aisés? Ne sait-on pas que dans les temps paisibles il se forme toujours une alliance entre la classe la plus pauvre et le gouvernement, ou l'opulence qui la fait exister? La pauvreté, l'extrême pauvreté dans le corps électoral n'aura d'autre effet que de mettre la fortune, l'extrême fortune ou la corruption dans le corps législatif; et vous verrez arriver en France ce qui se passe journellement en Angleterre pour les élections des bourgs, où les électeurs sont en général très pauvres; il arrivera que l'élection ne sera pas même achetée avec de l'argent, ce qui du moins, aurait plus rarement lieu à raison du plus haut prix, mais qu'elle sera achetée avec des pots de bierre, comme se font en Angleterre les élections d'un très grand nombre de membres du parlement.

» Revenons donc au point principal, qui est de ne rechercher la représentation dans aucune des deux classes extrê mes, ni dans l'homme extrêmement riche ni dans l'homme extrêmement pauvre, mais dans la classe moyenne, et voyons si c'est là que le comité l'a placée.

» Il résulte des calculs qui vous ont été faits que pour être électeur il faudrait payer quarante journées de travail, c'est à dire, suivant les estimations locales, qu'il faudrait avoir depuis 120 livres jusqu'à 240 livres de revenu, soit en propriété, soit en industrie. Or je ne pense pas que

sérieusement on puisse dire que c'est prendre trop haut la classe de ceux qui doivent élire pour la société : ceux qui nomment, je l'ai déjà dit, doivent élire dans un autre lieu que dans celui de leur habitation, puisque l'élection se fait en France par départemens; par conséquent ils se trouveront dans ces deux alternatives, ou de manquer à l'assemblée électorale par la nécessité du travail et l'impossibilité de subvenir aux dépenses, ou de chercher un secours malhonnête. Si vous voulez que votre liberté subsiste asseyons-la sur des bases fondées sur la raison, sur un calcul que personne ne puisse contester, et ne nous arrêtons pas aux petits motifs, à la crainte de mécontenter un moment quelques individus qui reconnaîtront eux-mêmes la pureté de nos principes et l'avantage de nos résultats du monent qu'ils les auront examinés. Comme on vous l'a dit, ce n'est pas dans Je moment actuel que le décret que nous vous proposons doit être exécuté; deux ans s'écouleront dans cet intervalle : le nouveau système d'imposition, en augmentant la masse d'impôts directs pour chaque particulier, contribuera beaucoup à lever les inconvéniens; le passage de l'une à l'autre contribution et les deux années qui s'écouleront calmerout les esprits, ramèneront au goût et à l'habitude du travail; ceux qui ont besoin de s'en occuper avant tout feront tellement germer dans toutes les classes les véritables notions du gouvernement, et ce qui fait la solidité de la Constitution, vous n'auriez pas même à craindre leur mécontentement quand même vous ne leur offririez pas par le même décret un équivalent honorable et plus honorable que celui que vous leur enlevez, je veux dire la perspective de la représentation nationale; car, messieurs, on convient presque universellement (et c'est sur cela qu'on fonde l'objection à notre opinion), on convient presque universellement que les citoyens qui ne paient pas quarante journées de contribution ne sont presque jamais nommés électeurs, mais qu'ils sont honorés, qu'ils sont satisfaits d'être dans la possibilité de l'être; que c'est moins dans la jouissance effective du droit que dans la possession du droit qu'existe leur satisfaction or s'il s'agit d'honneur, s'il s'agit de possibilité

que

d'arriver à un grade honorable, je demande si celui que vons leur présentez, si la carrière que vous ouvrez devant eux en supprimant le marc d'argent, en rendant par là possible pour tous l'accès à la législature, ne leur imprime pas un caractère plus grand, ne les mettra pas mieux au niveau de leurs concitoyens, ne tend pas plus que tout autre à effacer en France cette distinction de classe qu'on nous reproche, n'est pas bien réellement dans le principe de l'égalité, puisque dans sa condition chacun devient capable de représenter la nation entière; et puisque l'on convient que ce n'est pas dans la réalité, mais dans l'opinion que sont les inconvéniens, je demande si la disposition que nous établissons ne fait pas beaucoup plus pour l'opinion que la disposition que nous changeons ne peut lui enlever.

» Il est évident, messieurs, que ce n'est pas en: vous déterminant par des motifs légers aux yeux du législateur, par des motifs capables peut-être d'obtenir la popularité d'un jour, mais que la nation vous reprocherait éternellement, que vous devez agir au moment où vous allez déterminer définitivement votre Constitution; et moi aussi je désire qu'elle ne change pas, et moi aussi je désire qu'elle soit éternelle; et c'est pour cela que je vous invite à ne pas y introduire des dispositions imprudentes dont les mauvais effets feraient bientôt connaître à la nation entière la nécessité d'une nouvelle convention nationale.

Pour que la Constitution soit durable il faut avant tout qu'elle soit bonne vos comités ont dû vous présenter nettement leur opinion sur ce point; ils l'ont fait dans sa totalité par le travail qu'ils ont mis sous vos yeux. Il ne faut pas leur chercher des projets ultérieurs quand vous voyez avec quelle franchise ils vous ont présenté leur opinion; ils ne vous proposeront pas des dispositions ultérieures à celles qu'ils vous ont présentées; mais je vous déclare que celle qu'on vous propose est, de l'avis de tous les membres, la seule garantie réelle et directe de la conservation de la liberté, de l'état paisible et de la prospérité de la France. » (Applaudissemens.)

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Le discours de M. Barnave avait fait beaucoup d'impres⚫sion sur une partie de l'Assemblée; on ferme la discussion. La proposition des comités, mise aux voix, est bientôt ...détruite par une foule d'amendemens ou repoussée par la question préalable; après une longue agitation l'Assemblée rejette tous les amendemens, et décide qu'il y a lieu à délibé>rer sur la proposition des comités. Le tumulte recommence ; ...MM. Lanjuinais, Grégoire, Laville-aux-Bois, Robespierre et autres accusent les comités de chercher à détruire les bases de la Constitution; les membres des comités assiégent la tribune ; on'se plaint de n'entendre qu'eux; du reste aucun discoursi suivi de da part des opposans. Au milieu de <ce trouble MM. Dauchy, Anson et Fréteau obtiennent seuls quelques momens de silence pour présenter des considérations qui sont reçues avec faveur.

par

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M. Dauchy. « Il est inexact de dire que le taux proposé le comité est fixé sur toutes les fortunes possibles. Dans les pays de grande culture, où les dix-neuf vingtièmes du appartiennent à des non domiciliés, celui qui aura le labour de quatre à cinq charrues et qui aura besoin pour les faire valoir d'un capital de 30,000 livres ne paiera, par le seul fait de son imposition mobilière, que 30 livres, et ne pourra pas être électeur.» (Agitation.)

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Une voix. « En ce cas votre système d'imposition est mauvais. »vetur l. s

M. Dauchy, « Je demande que la condition soit de quarante journées de travail dans les villes, mais seulement de trente dans les campagnes. »

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-M. Anson. « Je n'ai que deux mots à dire, et je dois les dire, parce que les observations de M. Dauchy, qui ont fait quelque impression sur l'Assemblée, ne me paraissent pas exac tes. Il est vrai que les côtes de la contribution mobilière seront très modiques dans les campagnes.; mais quand elles seront trop modiques, comme il faudra compléter la contribution du département, elles seront augmentées par des sous addi

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