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>> En terminant cette exposition du plan de notre travail je dirai seulement qu'après de sérieuses méditations, et deux essais faits séparément, sans communication, et rapprochés ensuite, cette ordonnance, cette distribution des matières a paru à vos comités présenter la combinaison la plus favorable pour former de toutes les parties de la Constitution un ensemble imposant, et en classer méthodiquement les détails. Quant au triage des décrets et à la distinction de ceux qui doivent entrer dans l'acte constitutionnel ou qui doivent en être écartés, il est indubitable que si l'on ne portait pas dans ce travail une grande sévérité de jugement on tomberait dans un arbitraire aussi étendu que les différens esprits ont de manières diverses d'envisager la Constitution, et d'être affectés de chacun des accessoires qui s'y rapportent plus ou moins directement.

>>

» Les comités se sont trouvés pressés en sens contraire d'une part par ceux qui, ne voulant admettre dans l'acte constitutionnel que ce qui forme la substance la plus essentielle de la Constitution, croient qu'elle pouvait être pleinement rédigée en quarante ou cinquante articles; d'autre part par ceux qui, voyant la Constitution jusque dans les moyens les plus variables d'en remplir l'esprit et d'en réaliser les données, voudraient rendre permanentes des dispositions dont la modification pourra être commandée par le temps, et exécutée sans altérer l'essence de la Constitution.

» Nous ne nous sommes pas dissimulé tout ce que la première opinion a de réel et d'avantageux : il est très vrai qu'une constitution se compose d'un petit nombre de règles fondamentales; l'exemple de toutes celles qui ont été écrites jusqu'ici le démontre, et il y a un grand intérêt public à prévenir le retour trop prompt ou trop fréquent du pouvoir constituant, en abandonnant à la sagesse des législatures tout ce qui peut varier sans changer la nature du gouvernement : sous ces rapports le défaut du projet que nous vous présentons serait celui d'une trop grande prolixité.

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Nous avons considéré

pas

l'Assemblée ne s'étant que, bornée à poser les bases de la Constitution, il se trouve dans le travail qu'elle a fait des développemens et quelques con

séquences déjà déduites des principes qui méritent par leur importance d'être incorporés à la Constitution. Nous avons encore recueilli celles de ces conséquences immédiates qui sont tellement saines en principe, tellement bonnes dans la pratique, et si clairement susceptibles d'une exécution facile et durable, qu'on ne doit pas craindre que le besoin de les changer se fasse sentir prochainement.

» Mais si, après avoir bien défini, bien divisé les pouvoirs, bien assigné à chacun l'étendue et les limites de son activité, constitué électif tout ce qu'il appartient au peuple de nommer, et temporaire tout ce qui ne doit pas être délégué à vie, nous voulions rendre permanentes d'autres modifications moins essentielles, que nous croyons bonnes, mais qui pourraient ne pas soutenir l'épreuve de l'expérience, ou qui, bonnes momentanément, peuvent cesser de l'être avec le temps, nous passerions le but que la sagesse nous prescrit; nous mettrions la nation dans la nécessité ou de rappeler fréquemment le pouvoir constituant, dont la présence produit inévitablement un état de crise politique, ou d'approuver que les législatures tentées de toucher à la Constitution consommassent cette entreprise subversive.

» Cette considération, la plus impérieuse de toutes, doit dominer sans cesse dans tout le cours de la discussion qui va s'ouvrir. »

Déjà plusieurs membres s'étaient fait inscrire pour parler les uns sur l'ensemble du projet, les autres sur ses différens titres : le rapporteur des comités proposa de délibérer d'abord sur l'ordre et la distribution des matières. M. Malouet paraît à la tribune ; le président l'invite à se renfermer dans cette question, et fait en même temps observer à l'Assemblée que jamais délibération n'avait exigé une plus grande attention, un silence plus profond; cependant M. Malouet, abordant presque aussitôt la censure des décrets constitutionnels au lieu d'en examiner la classification, provoque des murmures qui ne lui permettent pas d'achever son discours: nous le transcrirons en entier avant de mentionner la vive interruption qu'il subit.

Opinion de M. Malouet sur l'ensemble de la Constitution. (Séance du 8 août 1791.)

Statuo esse optimè constitutam rempublicam quâ ex tribus generibus regali optimo populari. CICER. de Rep.

• Si la nation française en cet instant était rassemblée tout entière chaque citoyen aurait le droit de dire, à la présentation de la charte constitutionnelle: je l'approuve, je la rejette, j'en blâme telle disposition.

» Ce que la nation ne peut faire par l'universalité de ses membres, chacun de ses représentans en a le droit et le devoir.

» Nous ne connaissons que partiellement les décrets constitutionnels: quelques-uns ont été rapidement adoptés; une foule de décrets de circonstance, de lois particulières ont séparé les uns des autres les articles constitutionnels : c'est pour la première fois que nous pouvons les juger dans leur ensemble. S'il était permis, s'il était possible de se livrer à une discussion approfondie, je ne craindrais pas de l'entreprendre; mais, outre que le temps nous presse et nous commande, je ne me dissimule pas que l'avis de la majorité est arrêté sur les points principaux, et que c'est offenser l'opinion dominante que de la contredire; cependant je vous dois, et à mes concitoyens, les motifs de mon jugement sur quelques articles fondamentaux. Je serai court.

que

» Je commence par déclarer si la Constitution peut tenir ce qu'elle promet elle n'aura pas de plus zélé partisan que moi; car après la vertu je ne connais rien au-dessus de la liberté et de l'égalité.

» Mais quand j'examine la Déclaration des droits et ce qu'elle a produit j'y vois une source d'erreurs désastreuses pour le commun des hommes, qui ne doit connaître la souveraineté que pour lui obéir, et qui ne peut prétendre à l'égalité que devant la loi; car la nature ne partage pas également tous les hommes, et la société, l'éducation, l'industrie accroissent et multiplient les différences. Je vois donc les

hommes simples et grossiers dangereusement égarés par cette Déclaration, à laquelle vous dérogez immédiatement par votre Constitution, puisque vous avez cru devoir reconnaître et constater des inégalités de droits.

» Forcés à une première exception, je ne pense pas que pour le bonheur commun, la liberté et la sûreté de tous, vous lui ayez donné l'extension qu'elle doit avoir. Nous n'avons aucune garantie dans les annales du monde, aucun exemple du changement que vous opérez par l'égalité des conditions: la différence ineffaçable de celle du riche à celle du pauvre ne semble-t-elle pas devoir être balancée par d'autres modifications? Cette différence avait peut-être, plus que les chimères de la vanité, motivé les anciennes institutions; nous voyons que les législateurs anciens, qui ont presque tous été de vrais sages, ont reconnu la nécessité d'une échelle de subordination morale d'une classe, d'une profession à une autre si cependant, en croyant n'attaquer que les usurpations de l'orgueil et du pouvoir, vous portiez la bache sur les racines de la propriété, de la sociabilité; si ceux auxquels la liberté ne suffit pas s'enivrent de leur indépendance, quelle autorité de répression ne faudra-t-il pas aux magistrats et aux lois pour maintenir l'ordre dans cette multitude immense de nouveaux pairs!

» C'est donc dans les pouvoirs délégués, c'est dans leur distribution, leur force, leur indépendance, leur équilibre, qu'il faut chercher la garantie des droits naturels et civils que vous assurez par le premier titre à tous les citoyens. J'aime à le répéter, ces dispositions fondamentales ne laissent rien à désirer; chacun en les lisant doit se dire : voilà mon vou bien exprimé; comment sera-t-il exaucé?

L'expérience nous prouve qu'un droit reconnu n'est rien s'il n'est pas mis sous la garde d'une protection efficace.

» Une seconde leçon de l'expérience et de la raison c'est que la plus grande extension de la liberté politique est infiniment moins précieuse et moins utile aux hommes que la sûreté et la libre disposition de leurs personnes et de leurs propriétés; c'est là le bien solide, le bonheur de tous les instans et le but principal de toute association.

» Il résulte de ces deux vérités qu'un gouvernement ne peut être considéré comme parfaitement libre, sage et stable qu'autant qu'il est combiné non sur la plus grande liberté politique, mais sur la plus grande sûreté et liberté des personues et des propriétés.

» Or quel a été votre premier objet dans l'organisation et la distribution des pouvoirs? La plus grande extension possible de la liberté politique, sauf à y attacher ce qui est presque inconciliable, la plus grande sûreté possible des personnes et des propriétés.

» Vous avez voulu, par une marche rétrograde de vingt siècles, rapprocher intimement le peuple de la souveraineté, et vous lui en donnez continuellement la tentation sans lui en confier immédiatement l'exercice.

» Je ne crois pas cette vue saine; ce fut la première qui se développa dans l'enfance des institutions politiques et dans les petites démocraties; mais à mesure que les lumières se sont perfectionnées vous avez vu tous les législateurs et les politiques célèbres séparer l'exercice de la souveraineté de son principe, de telle manière que le peuple, qui en produit les élémens, ne les retrouve plus que dans une représentation sensible et imposante qui lui imprime l'obéissance.

» Si donc vous vous borniez à dire que le principe de la souveraineté est dans le peuple, ce serait une idée juste, qu'il faudrait encore se hâter de fixer en déléguant l'exercice de la souveraineté; mais en disant que la souveraineté appartient au peuple, et en ne déléguant que des pouvoirs, l'énonciation du principe est aussi fausse que dangereuse : elle est fausse, car le peuple en corps dans ses assemblées primaires ne peut rien saisir de ce que vous déclarez lui appartenir; vous lui défendez même de délibérer: elle est dangereuse, car il est difficile de tenir dans la condition de sujet celui auquel vous ne cessez de dire: tu es souverain ! Ainsi, dans l'impétuosité de ses passions, il s'emparera toujours du principe en rejetant vos conséquences.

» Tel est donc le premier vice de votre Constitution, d'avoir placé la souveraineté en abstraction; par là vous affaiblissez les pouvoirs suprêmes, qui ne sont efficaces qu'autant qu'ils

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