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aussi un corps de représentans électifs chargés du pouvoir législatif; ainsi, tant que le roi serait dans la Constitution, il ne serait pas à craindre qu'il se servît de la qualité de représentant qui lui est donnée pour prétendre qu'il est représentant général, universel, illimité, et envahir le pouvoir législatif.

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» Mais, si le roi se plaçait hors de la Constitution, ce n'est que dans cette hypothèse qu'on pourrait concevoir la crainte qu'il envahît les pouvoirs. Ce n'est pas parce qu'il sera dit représentant de la nation qu'il aura les moyens de se mettre hors de la Constitution, de vaincre la Constitution; s'il se met hors de la Constitution sans être plus fort que la nation, il ne fait rien contre elle, il ne fait que contre lui; mais s'il acquiert des moyens assez forts pour être hors de la Constitution, s'il est plus fort que la Constitution et que la nation, alors les dispositions qui sont dans la Constitution deviennent absolument inutiles. (Murmures mélés d'applaudissemens.) Quant à l'inconvénient qui se trouve dans cette sorte de contradiction que le roi soit représentant et que cependant il soit héréditaire, il ne serait pas moins contradictoire en pureté de principes que le roi fût un fonctionnaire public héréditaire, surtout après avoir décrété qu'il n'y a ni vénalité ni hérédité dans les offices publics. La royauté sort donc nécessairement de l'ordre commun; c'est une composition. artificielle qui, étant regardée comme utile à la nation qui l'adopte, doit être admise de la manière la plus propre à être utile à la nation. Ainsi un roi qualifié fonctionnaire public, mais fonctionnaire public héréditaire, dans une Constitution qui n'admet pas de fonction publique héréditaire, n'est pas plus extraordinaire que de le voir représentant. héréditaire dans les cas où la Constitution lui attribue la représentation; et l'on ne peut disconvenir que la Constitution lui attribue la représentation, comme je l'ai déjà dit, et dans son velo suspensif et dans les traités avec les puissances étrangères. On ne peut pas sortir de là avec le roi dès qu'il est constitué roi héréditaire. Je crois donc, messieurs, que sans entrer à présent dans ce qui concerne l'administration, ce qui fait une partie à part, il est question de

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décider uniquement si vous ne trouvez pas convenable et avantageux de constituer dans votre organisation politique représentative la royauté avec le même caractère de représentation, et s'il est vrai que vous y trouviez les inconvéniens qui vous ont été exposés, et auxquels je crois avoir suffisamment répondu. » (Voyez plus haut, page 37, l'opinion de M. Ræderer.)

M. Rewbel s'élève le premier contre les définitions données par M. Thouret, et les signale comme inconstitutionnelles M. Dandré réplique dans le sens des comités. M. Roederer cherche à reproduire ses objections; il ne peut obtenir la parole, et se borne à insister pour la suppression du mot représentant; amendement que plusieurs membres appuient, que d'autres veulent écarter par la question préalable. Ce partage d'opinions entraîne quelques momens d'agitation et de bruit; on se presse à la tribune; M. Barnave, membre des comités, parvient seul à se faire entendre.

M. Barnave. « Je demande la parole pour une motion d'ordre qui tend à fixer nettement l'état de la question, parce qu'il est évident que M. Roederer l'a déplacée en disant que reconnaître le roi pour représentant de la nation c'était aliéner la souveraineté nationale. Il est nécessaire, pour délibérer avec connaissance de cause sur cette question, de se déterminer d'une manière fixe sur ce qu'est la représentation constitutionnelle.

» La véritable représentation souveraine, générale, indéfinie, qui est une aliénation momentanée de la souveraineté, cette représentation-là n'existe et ne peut exister que dans le corps constituant: ce n'est donc pas de celle-là qu'il s'agit dans la Constitution, et ce n'est pas celle-là qui est déléguée au roi concurremment avec le corps législatif. La représentation constitutionnelle consiste à représenter la nation; or, dans l'ordre et dans les limites des fonctions constitutionnelles, ce qui distingue le représentant de celui qui n'est que simple fonctionnaire public c'est qu'il est chargé dans certains cas, de vouloir pour la nation, tandis

que le simple fonctionnaire public n'est jamais chargé que d'agir pour elle.

» Le corps législatif est le représentant de la nation parce qu'il veut pour elle i en faisant ses lois; 2° en ralifiant les traités avec les puissances étrangères lorsqu'ils ont été 'commencés et convenus par le roi : le roi est réprésentant constitutionnel de la nation" 1o en ce qu'il consent et veut pour elle que les nouvelles lois du corps législatif soient immédiatement exécutées ou qu'elles soient sujettes à une suspension; 2o en ce qu'il stipule pour la nation, en ce qu'il prépare et fait en son nom les traités avec les nations étrangères, qui sont de véritables actes de volonté, qui sont de véritables lois, qui lient réciproquement une autre nation avec nous, tandis que les lois intérieures, les lois qui nous sont propres émanent du corps législatif.

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» Vous avez décrété que le roi, comme le corps législatif, était inviolable; or il répugne à la raison que celui qui n'est chargé que d'agir et qui est simple fonctionnaire public soit inviolable, attendu que toutes ses actions nécessitent la responsabilité. (Applaudissemens.) Mais il est nécessaire pour la nation que celui qui veut pour elle soit inviolable; car sans cela sa volonté cesserait d'être libre; les intérêts et la liberté du peuple seraient par là même compromis : ainsi l'inviolabilité, que vous avez reconnue, est une conséquence immédiate du caractère de représentation. Mais il y a plus; si en faisant la Constitution vous le donniez au corps législatif sans le donner au roi il en résulteraît que le corps législatif serait seul chargé des pouvoirs de la nation; dès lors il n'aurait plus de limites; dès lors ses volontés ne reconnaîtraient plus de frein; dès lors, par la nature des choses, le corps législatif deviendrait corps constituant. Ainsi donc ou le roi veut pour la nation dans l'ordre de ses fonctions constitutionnelles, ou il cesse d'être roi, et la forme de gouvernement est changée. Que s'il a le droit de vouloir pour le peuple il est donc son représentant ou bien il exerce un droit individuel; son pouvoir cesse d'être légitime, et devient une tyrannie. » (Nombreux applaudissemens.)

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La discussion est fermée. L'Assemblée rejette tous les amendemens, et décrète le second paragraphe de l'article 2 conformément au projet présenté par M. Thouret.

Les articles suivans, jusques et compris l'article 4 de la section II du même titre, sont également décrétés selon le projet, et presque sans discussion. L'article 5 provoque des débats; il est renvoyé aux comités, et la délibération remise au lendemain 11.

Sur les conditions nécessaires pour étre électeur ou éligible.

des débiteurs insolvables.

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Cet article 5, chapitre I, section II du titre III porte:

⚫ Sont exclus de l'exercice des droits de citoyen actif ceux qui sont en état d'accusation; ceux qui, après avoir été constitués en état de faillite ou d'insolvabilité prouvé par pièces authentiques, ne rappor tent pas un acquit général de leurs créanciers.

Avant de passer à la discussion de cet article remontons à celle qui avait eu pour résultat d'en consacrer le principe.

L'Assemblée s'occupait de déterminer les conditions nécessaires pour être citoyen actif lorsque, le 27 octobre 1789, Mirabeau lui soumit la proposition suivante :

Mirabeau. « Avant que vous finissiez l'examen des caractères à exiger pour être électeur ou éligible je vais vous proposer une loi qui, si vous l'adoptez, honorera la nation.... Murmures.) Ši la loi que je vous propose est faite pour relever la morale nationale c'est moi qui aurai raison, et ceux qui murmurent auront eu tort. Je reprends. 毋 » Avant que vous finissiez l'examen des conditions d'éligibilité je vais, messieurs, vous en proposer une qui, si vous l'adoptez, honorera la nation. Tirée des lois d'une petite république non moins recommandable par ses mœurs et par la rigidité de ses principes que florissante par son commerce et par la liberté dont elle jouissait avant que l'injustice de nos ministres la lui eût ravie, elle peut singulièrement s'adapter à un état comme la France, à un état qui, aux avantages immenses de la masse, de l'étendue et de la population, va réunir les avantages plus grands encore de ces divisions et de ces sous-divisions qui le rendront aussi facile à bien gouverner que les républiques mêmes dont le territoire est le plus borné.

» Je veux parler de cette institution de Genève que le pré

sident de Montesquieu appelle avec tant de raison une belle loi, quoiqu'il paraisse ne l'avoir connue qu'en partie; de cette institution qui éloigne de tous les droits polítiques, de tous les conseils, le citoyen qui a fait faillite ou qui vit insolvable, et qui exclut de toutes les magistratures et même de l'entrée dans le grand conseil les enfans de ceux qui sont morts insolvables, à moins qu'ils n'acquittent leur portion virile des dettes de leur père.

» Cette loi, dit Montesquieu, est très bonne; elle a cet » effet qu'elle donne de la confiance pour les magistrats; » elle en donne pour la cité même : la foi particulière y a » encore la force de la foi publique."

» Ce n'est point ici, messieurs, une simple loi de commerce, une foi fiscale, une loi d'argent; c'est une loi politique et fondamentale, une loi morale, une loi qui plus que toute autre a peut-être contribué, je ne dis pas à la réputation, mais à la vraie prospérité de l'Etat qui l'a adoptée, à cette pureté de principes, à cette union dans les familles, à ces sacrifices si communs entre les parens, entre les amis, qui le rendent si recommandable aux yeux de tous ceux qui savent penser.

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» Une institution du même genre, mais plus sévère (1), établie dans la principauté de Neufchâtel en Suisse, a créé les bourgs les plus rians et les plus peuplés sur des montagnes arides et couvertes de neiges durant près de six mois; elle y développe des ressources incroyables pour le commerce el pour les arts, et dans ces retraites que la nature semblait n'avoir réservées qu'aux bêtes ennemies de l'homme l'œil du Voyageur contemple une population étonnante d'hommes aisés, sobres et laborieux, gage assuré de la sagesse des lois.

» Dans l'état présent de la France, dans la nécessité où nous sommes de remonter chez nous tous les principes sociaux, de nous donner des mœurs publiques, de ranimer la confiance, de vivifier l'industrie, d'unir par de sages liens la partie consommatrice à la partie productive, c'est à dire à la partie vraiment intéressante de la nation, des lois pareilles sont non seulement utiles, mais indispensables.

» Assez longtemps une éducation vicieuse ou négligée a dénaturé en nous les notions du juste et de l'injuste, a relâché les liens qui unissent le fils à son père, nous a accoutumés

(1) « La loi de Neufchâtel lie toute la postérité d'un homme à l'ac quittement de ses dettes, »

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