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» Maintenant, en reprenant le sens vrai, naturel et direct du mot, il signifierait que la nation ne peut pas faire une disposition ou une convention avec qui que ce soit pour retenir, vendre, céder, perdre sa souveraineté; or cela est-il nécessaire à stipuler dans la Constitution? Si l'Assemblée le pense en ce sens nous n'y mettrons pas d'opposition; mais cela me paraît complétement inutile, car dans le mot de souveraineté appartenant à la nation est indubitablement l'inaliénabilité de la souveraineté; par cela même, par sa nature, elle est inaliénable. Or si l'Assemblée croit que l'adoption de ce mot ne soit pas nécessaire, ou s'il prête à des interprétations dangereuses, il vaudrait mieux ne pas l'employer. »

M. Pétion. « Je soutiens ma proposition d'après l'expli'cation même qu'a donnée M. le rapporteur, et surtout d'après ce qu'il n'a pas dit... (On rit.) C'est un système, et ce système a beaucoup de partisans; le voici : c'est qu'on soutient, ou l'on doit soutenir que les conventions nationales ne sont pas utiles, et ceux mêmes qui les admettent ne les admettent qu'avec des modifications qui les rendent à peu près impossibles; et alors, messieurs, on ne peut admettre ce système, qui n'est pas une chimère, car il existe en effet : on veut nous amener au système qui a anéanti la liberté politique en Angleterre. Quelle est la prétention du parlement? Il soutient qu'il a avec le roi non seulement les pouvoirs constitués, mais qu'il a aussi le pouvoir constituant: voilà ce que soutiennent de bons écrivains anglais. Ainsi, messieurs, il est évident qu'en Angleterre la nation a aliéné la souveraineté, car la souveraineté est aliénée... (murmures) je dis par le fait, parce qu'une nation qui n'a point de moyens légaux d'exercer sa souveraineté la perd réellement par le fait, et ne peut la recouvrer que par une insurrection, qui n'est qu'un phénomène; des siècles entiers s'écoulent avant qu'une nation se porte à une insurrection pour recouvrer ses droits. Or il est constant qu'une nation, par le fait, perd sa souveraineté toutes les fois qu'elle n'a pas de moyens sûrs pour la conserver; et quoique l'on dise en principe que la souveraineté est

inaliénable, qué la souveraineté n'est pas perdue, néanmoins par le fait elle est perdue; usurpation qui n'aurait jamais lieu si le peuple se persuadait bien que sa souveraineté est indélégable. On dit que cela est un principe; hé bien, messieurs, si cela est de droit, si cela est un principe, levons l'équivoque, et ajoutons le mot dans l'article. » (Aux voix, aux voix.)

M. Thouret. « Nous n'avons pas pris la parole pour mettre une opposition formelle à l'amendement de M. Pétion; mais, si les comités l'adoptent, je ferai encore cette objection, que ce n'est pas du tout par les raisons qu'il vient de donner.

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L'exemple de l'Angleterre ne conclut rien ici ni en fait ni en droit : en fait, car aucune loi quelconque n'autorise le pouvoir législatif et le roi à exercer le pouvoir constituant; nous avons même dans notre Constitution des articles qui s'y opposent formellement en droit, car nous ne voyons en Angleterre aucun acte national autoriser ces maximes erronées. Pour se préserver cependant de l'abus qu'on pourrait faire de la chose, je pense qu'il vaut mieux mettre imprescriptible qu'inaliénable. Ce n'est pas dans la Constitution actuelle qu'on doit trouver aucun motif de crainte; il faudrait donc supposer un acte formel de la nation qui aliénât la souveraineté, ce qui est impossible à supposer; l'usurpation ne pourrait s'introduire que par l'abus des pouvoirs et par l'insouciance nationale; et pour cela, je le répète, le mot imprescriptible me paraît être celui qui convient le mieux. »

M. Buzot. « Il faut éviter tout doute sur une question aussi intéressante que celle-ci, et j'insiste pour que le mot inaliénable se trouve dans l'article.

>> Il ne faut pas élever de nuage sur une vérité de toute évidence. Le mot imprescriptible ne remplit point l'idée que vous voulez établir et fixer; la prescription suppose même une idée d'aliénation, et il ne faut pas ni qu'en droit ni qu'en fait on puisse jamais supposer que la souveraineté est aliénable. Il est bien vrai que la souveraineté de sa nature est inaliénable; mais il faut que le peuple ne l'oublie jamais, et vous le devez mettre à la tête de votre Constitution.

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» Je demande donc, si l'on insiste sur le mot imprescriptible que les deux mots imprescriptible et inalienable se trouvent dans l'article. » (Applaudissemens. Aux voix, aux voix.)

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M. Thouret. Je vais proposer à l'Assemblée un moyen de faire disparaître tous les inconvéniens; c'est de décréter en même temps le premier paragraphe de l'article 2, en ajoutant à l'article 1er le mot inaliénable dans le sens que l'Assemblée l'adopte, et qu'il en soit fait mention dans le procèsverbal.

Plusieurs voix. « Il faut mettre aussi le mot imprescrip→ tible.»

Les deux mots sont admis. Sur l'observation de M. Rewbell«< qu'il est toujours bon de se mettre en garde contre les entreprises du représentant héréditaire, » l'Assemblée admet également ces mots dans l'article 1or : ni aucun individu. Enfin, conformément à la disposition de M. Thouret, le président met aux voix les deux dispositions réunies, qui sont décrétées en ces termes :

Art. 1. La souveraineté est une, indivisible, inaliénable et impres criptible; elle appartient à la nation; aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.

2. La nation, de qui seule émanent tous les pouvoirs, ne peut les exereer que par délégation. »

Motifs qui ont déterminé les comités à donner au roi la qualité de repré÷ sentant. (Voyez plus haut, dans leurs discours, ce qu'ont dit et demandé sur ce point MM. Ræderer et Robespierre.)

M. Thouret. (Méme séance, 10 août 1791.) « Je propose maintenant le second paragraphe de l'article 2 :

« La Constitution française est représentative; les représentans són, le corps législatif et le roi.»

» lci je dois rendre compte à l'Assemblée des motifs qui ont déterminé vos comités à vous proposer cette disposition relativement au roi. D'abord il ne nous a pas paru douteux qu'il y eût dans la royauté un caractère de représentation étranger au domaine du pouvoir exécutif: le roi a la

sanction sur les décrets du corps législatif, et dans l'exercice de ce droit il est représentant; certainement le pouvoir de tenir en suspens pendant le cours de deux législatures les décrets proposés par le corps législatif appartient au pouvoir exécutif, et certainement ce n'est pas comme exerçant le pouvoir exécutif que le roi vient mettre cet obstacle à l'exécution des lois.

» Le roi a encore un caractère indisputable de représentant dans le droit que la nation lui confère de traiter avec les puissances étrangères des intérêts et des affaires de l'État; car ce n'est pas encore comme exerçant le pouvoir exécutif qu'il a le droit d'exercer les négociations politiques au dehors.

» Le roi est encore représentant parce qu'il est le dépo sitaire de toute la majesté, de toute la dignité nationale; et c'est sous ce rapport que la dépense de la liste civile est faite, parce qu'il est le seul individu de la nation qui, au dedans comme au dehors, représente la dignité nationale. » Le roi est cependant fonctionnaire public, et je suis moins disposé qu'aucun autre à méconnaître cette seconde qualité, puisque j'ai accepté de présenter à l'Assemblée le décret qui déclare le roi fonctionnaire public. Mais alors nous n'entendîmes au comité, et je n'entendis pas en présentant le décret, le rapport imprimé le constate, qu'il y eût aucune contradiction entre le caractère de représentant et la qualité de fonctionnaire public. (1)

» Suivant M. Roederer l'essence de la représentation`est spécialement attachée aux fonctions dont on est revêtu par la nation. Ainsi quand on ne distinguerait pas les fonctions étrangères au pouvoir exécutif des fonctions du pouvoir exécutif, même quand on ne les distinguerait pas du tout, le roi, fonctionnaire public dans tout ce qui concerne le pouvoir exécutif, n'en pourrait pas moins recevoir de la. Constitution le caractère de représentant de la nation.

(1) Voyez tome III, de la résidence des fonctionnaires publics; page 162 pour le discours de M. Thouret; page 181 pour le décret qui qualifie le roi de premier fonctionnaire public.

Et nous aussi, messieurs, ne sommes-nous pas indispensablement les représentans de la nation; et cependant par où soutenir que nous ne soyons pas fonctionnaires publics, et que les fonctions que nous remplissons ici soient des fonctions privées?

» Puisque le roi est revêtu du double titre de premier de tous les fonctionnaires publics et de représentant du peuple, les comités ont pensé qu'il était plus conforme d'environner d'une plus grande dignité, d'un plus grand respect, celui que la nation a rendu dépositaire de ses plus grands intérêts, et dépositaire exclusif de son pouvoir.

>> C'est donc sous cette première considération que nous avons préféré la qualité et le titre de représentant, qui est vrai en soi, et qui a le plus grand avantage.

» Sous un autre rapport il est du plus grand intérêt de déterminer le caractère de votre Constitution, et il faut que ce soit une Constitution représentative; il ne faut donc pas laisser subsister dans cette Constitution une des grandes par- ' ties de l'agence des autres fonctions, qui ne sont pas du pouvoir exécutif, sous un titre qui répugne à la Constitution représentative; or la royauté deviendrait en quelqué sorte discordante avec la Constitution représentative si elle n'était pas un des modes de représentation. C'est, messieurs, une seconde considération qui nous a déterminés à vous proposer l'article.

» On ne nous a fait qu'une seule objection résultant de la crainte des abus qui naîtraient si l'on confiait au roi le titre de représentant. Il pourrait se croire, a-t-on dit, autorisé à s'attribuer, la représentation exclusive, et envahir les pouvoirs que la Constitution a délégués à un autre corps de représentans, parce qu'il représenterait aussi.... Mais, messieurs, le roi sera en dedans ou en dehors de la Constitution : s'il est dans la Constitution il ne pourra la prendre pour titre en cherchant à envahir un autre caractère que celui qu'elle lui prescrit; cette Constitution, qui le fait représentant, ne le fait tel que dans des limites bien précises; les fonctions et les pouvoirs qui lui sont délégués ne le font pas représentant seul et exclusif, mais établissent

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