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n'est rien d'indifférent dans l'ordre social, et que tout ce qui distingue un citoyen et une famille des autres mérite d'être examiné.... (Applaudissemens des tribunes.) Pourquoi donnerait-on aux membres de la famille royale d'autre titre que celui de leur parenté? Une première violation au principe n'en autorise-t-elle pas beaucoup d'autres ? S'il faut encore nous accoutumer à dire M. le prince de Condé, M. le prince de Conti, etc., pourquoi ne dirions-nous pas aussi encore M. le prince de Broglie, M. le comte de Lameth? » (Applaudissemens des tribunes.)

M. Charles Lameth. « Et moi je demande la question préalable. »

M. Prieur. « Oui, la question préalable sur le tout pour P'honneur de l'Assemblée! » (Murmures.)

Cependant la majorité se décidait pour la qualification de prince, et voulait aller aux voix....

M. Camus. « Je propose un amendement... Qu'il soit du moins clairement expliqué que cette dénomination de prince, que je crois contraire à nos décrets et aux droits de citoyen actif, ne pourra par la suite entraîner aucune conséquence dangereuse; je demande qu'on ajoute qu'il n'en résultera aucun privilége, et que les membres de la famille du roi seront d'ailleurs soumis aux lois communes à tous les citoyens. (Nombreux applaudissemens. Le rapporteur adopte, et l'Assemblée confirme.)

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M. Monero ( ecclésiastique qui siégeait du côté gauche). Si l'on veut absolument que les membres de la famille royale portent le titre de prince, je demande qu'ils le portent non pas avant, mais après leurs noms; qu'ainsi l'on dise: Louis-Joseph Condé, prince.» ( On rit d'abord, puis on applaudit à plusieurs reprises.)

Cette idée fine, qui établit si bien la différence existant entre un titre féodal et un titre politique, fut avidement saisie et adoptée par acclamation: MM. Camus et Monero avaient concilié les esprits. L'Assemblée accueillit égale

ment avec faveur la demande de M. Dandré portant que les parens du roi ne prissent plus que les noms qui leur seraient donnés dans l'acte civil constatant leur naissance, « attendu, dit M. Dandré, qu'il n'y a plus de principautés de Condé, de Conti, ni de comtés de Provence, d'Artois, etc.; s'ils se nomment Louis, Henri, Jacques, hé bien, l'on dira Jacques, prince français. »

MM. Lanjuinais, Salles, Camus firent encore adopter quelques amendemens ou plutôt quelques formes de rédaction tendant à restreindre dans les limites constitutionnelles la distinction rendue aux parens du roi; et cette discussion sur leurs droits politiques se termina enfin par une nouvelle lecture et par l'adoption définitive des dispositions décrétées les 24, 25 et 26 août 1791. (Elles forment dans la Constitution les articles 5, 6 et 7 au titre III, chap. II, section II, de la famille du roi.)

Sur la sanction et sur l'initiative du pouvoir exécutif en matière de contributions publiques.

M. Demeunier, continuant les fonctions de rapporteur, passa immédiatement à un autre article additionnel; c'était celui qui statue que les décrets du corps législatif en matière de contributions publiques porteront le titre de loi, et ne seront point sujets à la sanction royale. Sur cette disposition les comités n'avaient point été unanimes; MM. Beaumetz et Duport, qui s'y étaient opposés, en appelèrent devant l'Assemblée aussitôt que le rapporteur eut mis l'article en délibération.

M. Beaumetz. « Il n'y a point de lois qui tiennent de plus près à la liberté publique, à l'intérêt privé des citoyens que les lois fiscales; il est donc important que ces lois soient faites de la manière qui doit les rendre meilleures, plus utiles et plus conformes à la liberté. Lorsque vous avez établi dans la manière de faire les lois une sorte de concours par la sanction royale vous ayez sans doute pensé que ce serait un moyen de les rendre meilleures; si cela est vrai pourquoi la sanction ne s'appliquerait-elle pas à cet ordre de lois qui concerne l'établissement des impositions? En la refusant vous avez craint

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que dans le cas où le roi voudrait attaquer et détruire la Constitution il n'eût un moyen trop puissant pour la fairecrouler je conviens de cette difficulté; mais il me semble qu'il y aurait moyen de concilier les principes et les inconvéniens. Je vous prie d'examiner quelles seraient les conséquences d'un pouvoir illimité dans le corps législatif de faire les lois sur les impositions sans obstacle, sans surveillance; combien il serait dangereux que le corps législatif pût, par exemple, établir sans sanction un impôt qui nécessiterait pour sa perception l'infraction des lois constitutionnelles de l'Etat! Il s'agit donc de trouver un moyen pour que des lois qui intéressent notre liberté acquièrent toute la perfection dont elles sont susceptibles, et pour qu'en aucun temps la machine du gouvernement ne puisse jamais être arrêtée par un refus de sanction ; je propose pour atteindre ce double but que l'initiative des lois fiscales soit remise au pouvoir exécutif, par qui vous pouvez connaître et vos besoins et vos ressources, de même que la proposition du budget vient toujours de sa part d'après vos décrets.

» C'est ainsi que vous concilierez tout ce que vous devez à l'intérêt public; rien ne pourra alors arrêter la marche du gouvernement; les impôts seront toujours décrétés sans délai, et vous vous ferez assurer qu'ils seront dans la meilleure forme possible, puisqu'ils seront le résultat du concours des deux pouvoirs que vous avez institués, des deux pouvoirs dépositaires de la félicité publique.

» Je demande que l'article soit renvoyé aux comités pour être rédigé en ce sens. >>

M. Larochefoucault (membre du comité des contributions).

« L'article qui vous est soumis a été profondément discuté dans les comités de constitution, de révision et des contributions publiques réunis. Lorsqu'ils ont formé cet article les comités avaient déjà l'assentiment préalable de l'Assemblée à la doctrine sur laquelle il est fondé, puisque tous les décrets que vous avez rendus en matière de contributions n'ont point été portés à la sanction, mais qu'ils ont été, comme décrets constitutionnels, présentés seulement à l'acceptation. Nous

avons donc discuté la question; nous avons pesé les avantages et les inconvéniens du parti qui pouvait être proposé, et c'est après nous être convaincus que la disposition qui vous est soumise contenait une sauvegarde de l'intérêt du peuple que nous l'avons adoptée. » (Aux voix, aux voix.)

M. Duport. « Sur cet article les comités ont été effectivement assemblés, et la vérité est que le comité de l'imposition a fait la majorité pour l'article. >>

Un membre. « Le fait est inexact; nous étions quinze, et vous étiez huit. (Aux voix, aux voix l'article.)

M. Duport. « M. le président.... (Aux voix, aux voix.) Faites-moi donc obtenir du silence pour que je puisse..... (Murmures.) On a bien donné trois jours à la discussion sur le mot prince.... (Longue agitation; l'Assemblée décrète que. M. Duport sera entendu.)

» J'ai dit que la majorité du comité de révision était d'un avis différent que le décret, et l'expérience de la délibération vous le prouve maintenant je dis que le décret qui vous est soumis, à la différence de presque tous ceux que vous avez délibérés, est un article entièrement neuf, sur lequel rien n'a été ni jugé ni préjugé encore par l'Assemblée nationale : voilà divers motifs qui peuvent engager, indépendamment de l'importance de la matière, à examiner ce décret avec attention.

>> M. Beaumetz vous a fait observer que dans votre gouvernement vous avez cru nécessaire non pas d'accorder à un des deux pouvoirs, au pouvoir législatif, sur toutes les autres matières, sur la confection de la loi, une confiance indéfinie et illimitée; mais vous avez cru qu'il fallait le resserrer par l'action d'un autre pouvoir qui mît le peuple à même de connaître la manière dont il est représenté, et d'obtenir aussi sur les lois et sur les autres objets une volonté plus directe de ce même peuple.

» Je sais que dès ce moment on peut faire une objection; c'est que l'impôt doit être établi chaque année: on en conclut avec raison qu'il n'est pas possible d'appliquer à l'impôt la forme des autres lois, en ce que l'action du pouvoir exécutif qui suspend la loi laisse les choses dans l'état où elles étaient

auparavant, jusqu'à ce que la volonté nationale ait pu s'exprimer pour que la loi soit faite, au lieu que relativement à l'impôt il est nécessaire que la loi soit établie tous les ans.

>> Je conviens de cette différence, puisque sans cela il n'y aurait point d'article à proposer; mais la question est celle-ci: doit-on laisser à un corps législatif, qui n'est susceptible ni en masse ni par ses membres d'aucune espèce de responsabilité, pas même moralement, puisqu'il disparaît à chaque législature, doit-on laisser sans aucun frein les corps législatifs imposer et répartir les impôts sur la nation? Voilà la vraie et unique question. Ce ne peut pas être, parce qu'il est évident qu'un comité, qu'un membre de l'Assemblée pourrait proposer une loi qui serait destructive de l'agriculture et du commerce, et par conséquent ruiner la nation. Je dis qu'un comité qui va bientôt se dissoudre pourrait proposer la plus mauvaise loi sans crainte d'être inquiété, puisqu'il ne reste aucun pouvoir supérieur au corps législatif qui puisse le contrôler, qu'on me passe ce terme, ou du moins avertir la nation que l'impôt qu'on lui propose n'est pas bon.

» Je dis ensuite qu'il est évident que les lois de l'impôt ne sont pas seulement le consentement des sommes demandées ; si l'on pouvait réduire à cela la fonction du pouvoir législatif je ne verrais point de difficulté à ce que sans sanction il établit l'impôt qui est nécessaire pour la dépense publique; mais dans la manière dont cet impôt est établi, dans ses formes, il peut renfermer une infinité de choses législatives, et bien plus importantes que presque toutes les lois. Par exemple, vous avez proscrit les visites domiciliaires dans les impositions : hé bien, un corps législatif qui établirait une imposition dont le résultat serait qu'il y eût des visites domiciliaires pourrait, sans aucun contrôle, sans sanction de la part du pouvoir exécutif, établir cette imposition; or je demande si une pareille loi ne renverserait pas votre Constitution?

>> On doit joindre souvent aux impôts indirects des peiues, des prohibitions; or il n'y a rien certainement de plus législatif que l'établissement des peines contre les citoyens et la manière dont elles seront appliquées : cela me paraît vous conduire à détruire entièrement votre Constitution; car enfin

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