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avons pensé qu'il était contraire à l'intérêt de la Constitution et à l'intérêt de l'esprit militaire dans l'armée.

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» Sous le premier rapport il est évident que le plus grand danger que court la Constitution d'un peuple libre est l'abus qui pourrait être fait de la force armée quand la nation est obligée d'entretenir une armée permanente considérable. Ce danger vient de ce que l'esprit de l'armée tend naturellement å s'isoler de la nation, à s'écarter du véritable esprit national pour trouver un esprit particulier, et pour tendre surtout à un dévouement trop entier à son chef; or serait-ce une bonne disposition que celle d'appeler tous les corps de troupes de ligne à passer alternativement un temps de service à la cour, dans cette atmosphère de l'intrigue, dans ce lieu où, sous les yeux du chef et de tous les subalternes qui peuvent se mouvoir sous lui, chaque corps de ligne serait influencé par des blandities, des alliciemens, des caresses, et peut être aussi par des gratifications pécuniaires? Ce serait inoculer chaque corps de troupes de ligne d'un ferment qu'il emporterait dans les garnisons, qui ferait des progrès plus ou moins sensibles en plus ou moins de temps, et dont l'effet indubitable serait à la longue de livrer chaque corps de troupes de ligne au chef du pouvoir exécutif. Nous avons donc rejeté cette idée sur cette première considération.

» Nous avons été déterminés encore par deux autres considérations. La première est que le séjour le plus habituel dù roi sera à l'avenir dans la capitale; et lé séjour de la capitale est de tous le moins propre à entretenir dans l'armée l'austérité de mœurs, de principes et de vie qui fait la vigueur de la discipline. Enfin il serait nécessaire de donner une haute paie aux corps de troupes de ligne pendant le temps qu'ils feraient le service de la garde; et d'après les éclaircissemens qui nous ont été donnés par des hommes ayant sur cela une expérience certaine, nous avons cru qu'il y aurait une trop grande difficulté à rétablir les corps de ligne au service des garnisons avec la paie ordinaire, quand ils auraient joui longtemps d'une haute paie dans des lieux où ils auraient aussi trouvé plus de jouissances et avec plus de facilité. Tout cela nous a ramenés à penser qu'il était mieux dans

l'esprit de la Constitution, mieux pour la conservation de l'esprit militaire, que le roi eût une garde particulière.

»Nous n'avons pas hésité à penser qu'elle devait être payée par la liste civile, dont elle est une charge naturelle. Les fonds de cette garde ne sont pas faits en vue des jouissances du roi comme individu, mais comme premier magistrat de la nation; ils sont faits pour le besoin de la dignité dont il importe à la nation d'entourer le trône : les frais de la garde sont donc une charge naturelle de la liste civile, et nous ne faisons aucun doute que la partie des fonds de cette liste qui sera employée à payer cette garde aura par là un emploi moins inquiétant pour la liberté publique que tout autre qui pourrait être fait en la libérant de cette charge. Quant au nombre d'hommes employés pour la garde du roi, nous l'avons réduit au plus strict nécessaire.

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» Jusqu'à présent le service s'est fait par quartier; nous croyons qu'il doit être fait par semestre, et cela par la consi dération que le corps entier ne sera jamais en rassemblement complet au même endroit, il faut encore calculer que le service ne peut être fait que de trois à quatre jours par les mêmes hommes, à peine de leur imposer une charge trop pesante, et qu'ainsi il ne resterait que cent quatre-vingts à deux cents hommes pour le service habituel de chaque jour, pendant que le service habituel emploie un bataillon

entier.

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» Il y a une autre considération que nous ne prétendons pas préjuger; c'est le contrat ou la convention faite avec les états suisses, qui ont dans leurs capitulations la stipulation formelle et expresse qu'un de leurs corps soit employé à la garde du roi. Nous ne proposons à l'Assemblée aucun préjugé sur ce point, parce qu'il peut se concilier de deux manières; ou l'on conviendrait avec les cantons que les Suisses ne feraient plus la garde du roi, ou l'on proportionnerait le nombre des Suisses qui y seraient employés au nombre des citoyens qui feraient le surplus de cette garde.

» En résultat nous avons examiné si sérieusement une garde de douze cents hommes à pied et six cents à cheval pour maximum pouvait jamais être inquiétante pour la liberté

publique, et, à l'unanimité complète, nous n'avons pu croire qu'on vit le moindre danger réel dans la garde du roi réduite en maximum à dix-huit cents hommes.

» Nous vous proposons ensuite que les grades et règles d'avancement soient les mêmes pour le corps chargé de la garde du roi que pour les troupes de ligne, afin qu'il ne soit pas la garde privée et particulière de celui qui le paierait, une cohorte de shires, une sorte d'archers, qui ne tiendrait en rien à la nation, mais uniquement à celui qui l'emploirait comme instrument servile de sa maison domestique, et qui serait beaucoup plus déterminé à exécuter des ordres arbitraires qu'une garde du roi formant un véritable établissement national, faisant partie de l'armée, et se traitant comme l'armée; car d'après notre proposition la plupart de ces grades donneront un état indépendant du roi, puisque le tiers seulement des places sera au choix du roi.

» C'est maintenant à l'Assemblée à peser ces considérations; elles nous ont déterminés : nous ne voyons pas dans cet établissement le danger qu'on a fait craindre en le supposant déterminé par d'autres vues ou composé par d'autres élé

mens. >>

M. Vadier (immédiatement après le rapporteur ). .« Messieurs, on vous propose d'entourer le roi d'une garde stipendiée qui le déroberait aux regards, à l'amour et à la confiance du peuple. Pense-t-on que cet appareil intermédiaire doive resserrer les liens de l'obéissance à la loi? Une nation fière et jalouse de sa liberté verra-t-elle sans défiance une troupe mercenaire et anticivique garder les avenues du trône ?...... ( Murmures.) Ces viles précautions ne peuvent convenir qu'aux despotes, qui, se défiant sans cesse de la fidélité des esclaves qu'ils ont asservis, ne règnent que par la terreur, et n'expriment qu'au bruit des armes les actes de leur volonté tyrannique; mais un roi qui doit tout à la libėralité d'un peuple généreux... (murmures du côté droit), un roi qui commande au nom de la loi, un roi qui n'a jamais que du bien à faire, et qu'une sage Constitution a mis dans l'heureuse impuissance de faire détester son auto

rité, un roi des Français enfin pourrait-il s'environner d'un corps de satellites stipendiés, au lieu de se faire un rempart de l'amour et de la reconnaissance de la nation! (Murmures.)

» On a dit et l'on répétera sûrement que la splendeur du trône dans la première nation de l'univers exige l'appareil d'une force armée : personne ne contestera ce principe; on ne diffère que sur la manière de l'appliquer. De quels élémens doit-on composer cette force armée? Voilà la question à résoudre; si nous consultons là-dessus, la sagesse et l'expérience il sera bien facile de la décider. Examinons d'abord s'il est de la prudence de rassembler un noyau d'armée qui serait étranger au service, et uniquement à la disposition du monarque. Ce corps hétérogène, qui n'appartiendrait ni à la hiérarchie civile ni à la hiérarchie militaire, serait une excroissance dangereuse, une difformité bizarre qu'on ne saurait admettre dans l'acte constitutionnel: les jeunes gens dont on composerait cette milice seraient choisis infailliblement parmi les ci-devant gardes du corps (murmures) et dans la caste qu'on appelait privilégiée; ils seraient initiés de bonne heure dans la doctrine du royalisme; les préjugés de la naissance, le désir de s'avancer, l'aversion, pour l'égalité, leur feraient bientôt oublier leurs devoirs envers la nation pour ne s'attacher qu'au monarque. Cette troupe ainsi disposée serait la pépinière des chefs de vos armées de ligne; toujours alimentée par des surnuméraires de même espèce, elle serait le germe inépuisable du monarchisme et l'écueil infaillible de notre liberté civile et politique.... ( Applaudissemens au fond de la gauche.) Cette institution vicieuse et chevaleresque serait l'école du spadassinage, le dépôt éternel de toutes les illusions nobilières; la cocarde blanche serait bientôt le talisman de cette corporation fantastique... (on rit); et peut-on répondre que le scandale des orgies et les évolutions des poignards ne se renouvelleraient pas sous nos yeux!... (Murmures mélés d'applaudissemens.)

» Rappelez-vous, messieurs, l'affligeant souvenir de ces catastrophes récentes, et que les amis de la liberté n'en perdent jamais la mémoire! J'invoque ici le courage héroïque

que vous avez montré lors du serment du jeu de paume; lorsque vous étiez investis de canons, de mortiers, de baïonnettes ( on rit à droite), auriez-vous voté ce jour-là l'institution de janissaires à pied et à cheval pour entourer le trône du monarque et le sanctuaire des lois? Rappelez-vous ce moment si précieux à la liberté, ce jour à jamais mémorable; rappelez-vous ce temps d'énergie et d'adolescence où l'univers, étonné de tant de courage, vouait vos noms à l'im mortalité et admirait votre héroïsme! Ne brûlons-nous pas aujourd'hui du même patriotisme qu'alors? Ne sommes-nous pas liés par les mêmes sermens, esclaves des mêmes devoirs? N'avons-nous pas juré de vivre libres ou de mourir pour la patrie? Quel est donc le respect humain qui nous forcerait à dégénérer? Quel est le prestige enchanteur qui pourrait ternir nos lauriers ou enivrer notre courage? Non, messieurs, il n'est point de puissance humaine qui puisse opérer ce miracle... ( On rit au centre.) Je vois déjà vos âmes s'électriser... (Une voix à droite: Non, non, ce n'est pas vrai! L'orateur se tournant vers le côté droit :) Ce n'est pas de vous que je parle... (Applaudissemens à gauche. ) Pour la troisième fois je vais répéter... (On rit à droite.) Je vois déjà vos âmes s'électriser à ce récit, et se retremper de la plus inflexible vertu!

» Il est juste, messieurs, de donner une garde au roi; il n'est aucun de nous qui ne vole au-devant de cette équitable proposition; mais il est de la dignité française de ne céder, de ne déléguer ce droit à personne; c'est à dire qu'aucun citoyen ne doit être privé malgré lui de participer à cet honneur. Rien n'est plus propre à maintenir l'harmonie, l'unité d'intérêt, de vœux et d'intention entre tous les départemens que de les faire concourir en commun et à tour de rôle à l'honneur de garder le premier fonctionnaire : ce moyen seul pourrait nous préserver de tout système républicain ou fédératif; une relation annuelle et périodique entre les départemens et la capitale, entre le monarque et les citoyens, éteindrait à jamais le germe des rivalités (applaudissemens), des divisions causées par l'intérêt ou les prérogatives; les Français s'accoutumeraient à se regarder

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