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trompez pas, si une fois vous punissez cet écrivain fier et ami de la liberté parce que sa dénonciation est hasardée, vous arrêtez à l'instant mille dénonciations salutaires et protectrices de l'ordre public.

» L'homme qui accepte un poste élevé doit savoir qu'il s'expose aux tempêtes, qu'il appelle les regards sur lui, que les rigueurs de la censure poursuivront toutes ses actions; c'est à lui à interroger son caractère, et à sentir s'il est capable de soutenir les attaques qui lui seront portées, s'il est supérieur aux revers, et même aux injustices. L'homme vertueux qui a la passion du bien et l'amour de ses devoirs doit ce sacrifice à sa patrie, ou pour mieux dire ce n'en est pas un pour lui; il n'a rien à redouter de l'opinion publique; elle peut s'égarer un instant, mais pour revenir plus forte que jamais l'entourer de toutes ses faveurs : que peut une calomnie passagère contre une vie entière consacrée à la vertn, contre des actions pures, contre des services impor

tans!

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Quel est celui qui redoute la publicité, qui tremble à la première attaque? L'homme pervers et corrompu, qui voudrait se cacher ses propres pensées, qui n'ose pas se montrer tel qu'il est, et qui ne peut trouver l'impunité de ses vices et de ses crimes que dans le mystère; l'homme intrigant, pénétré de sa nullité, qui ne soutient son crédit que par des artifices honteux, qui sent que sa réputation peut se dissiper comme un souffle, qui craint les regards pénétrans des gens instruits et courageux; l'homme faible et pusillanime qui chérit son repos, que l'agitation tourmente, qui aime la gloire sans avoir le courage de la défendre, et qui la croit flétrie aussitôt qu'elle est touchée : mais, je le demande, des hommes de cette trempe doivent-ils prendre en main le gouvernail de l'Etat, et n'est-ce pas rendre un service à la chose publique que de les en éloigner? » Tôt ou tard la voix de la vérité se fait entendre, et justice se fait; la vertu triomphe de tous les efforts réunis pour l'opprimer, et le vice, dépouillé de tous ses dehors séduisans et imposteurs, paraît à nu et dans toute sa turpitude. Parcourez l'histoire, et vous verrez qu'en vain la flat

terie a élevé des statues et des autels aux despotes et aux méchans; qu'en vain elle a voulu dissimuler leurs crimes : le temps a dissipé toutes ces illusions, et a détruit tous ces monumens honteux de la bassesse et de la corruption : vous verrez aussi que le temps a vengé la mémoire des hommes vertueux, des bienfaiteurs du genre humain; qu'outragés, persécutés pendant leur pénible carrière, la postérité a versé des larmes sur leurs cendres, et a recueilli religieusement leurs travaux.

» Et d'ailleurs n'est-il pas hors de la puissance humaine d'enchaîner l'opinion? On peut en suspendre, mais non pas en arrêter le cours. Hommes publics, consentez donc à être jugés aujourd'hui, puisque aussi bien vous le serez demain ; laissez écrire en liberté tout ce qu'on pensera de vous, et si vous êtes en paix avec votre conscience bien'ôt votre innocence paraîtra dans tout son éclat : mais invoquer la vengeance des lois contre l'écrivain qui vous dénonce, qui vous inculpe, c'est faiblesse, c'est un exemple dangereux. J'avouerai avec vous que le premier mouvement de sensibilité peut nous porter à poursuivre celui qui nous outrage; mais la réflexion vient bientôt à la traverse. L'homme qui remplit des fonctions importantes doit être assez élevé pour ne pas se croire atteint par les traits qu'on lui lance; il doit assez aimer ses semblables pour être indulgent; il doit se dire celui qui m'attaque ne me connaît pas; il a été trompé.... Il doit surtout penser que l'intérêt public exige que les hommes en place puissent être facilement et fréquemment traduits au tribunal de l'opinion, afin que les coupables ne se sauvent pas à l'abri d'un innocent légèrement accusé!

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» Et puis, pourquoi dans les grandes occasions dédaigneraient-ils de descendre dans cet arène? Qu'ils démentent les faits; qu'ils innocentent leur conduite : les mêmes papiers qui les inculpaient porteront leur justification; les seuls juges vraiment compétens, leurs concitoyens prononceront.

» La liberté de la presse sous le rapport des personnes est favorable aux gens de bien et funeste aux méchans; c'est l'effroi des tyrans et la sauvegarde des opprimés; les despotes l'ont toujours eue en horreur, mille exemples l'attes

tent, tandis que les bons princes ne l'ont jamais redoutée. Qu'on se rappelle ces belles paroles attribuées à Théodose à l'occasion de libelles lancés contre lui : « Si c'est légèreté, » disait-il, méprisons; si c'est folie, ayons pitié; si c'est des- ́ » sein de nuire, pardonnons.

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» Voici, qui le croirait! la grande objection de ceux qui ne veulent pas qu'on s'explique avec toute liberté sur le compte des hommes en place: vous leur enlevez, disent-ils, ane considération qu'il est important de leur conserver; ils ne jouissent plus de ce respect qui impose aux subalternes, et qui commande l'obéissance...

>> C'est en effet avec ces préjugés que l'on conduit les peuples esclaves; on leur commande sans cesse la soumission la plus aveugle envers tous ceux qui sont investis de quelque autorité mais un peuple libre veut raisonner son estime; il ne veut accorder sa confiance qu'à ceux qu'il en trouve dignes; il ne peut les juger que lorsqu'il a sous les yeux le tableau de leur caractère, de leurs mœurs, de leurs actions; si on lui présente des copies différentes, il les compare et se décide. Laissez donc à la censure toute son action sur les hommes en place.

» Comment d'ailleurs prétendriez-vous l'empêcher? Mais dans l'ancien régime, où ces hommes étaient des idoles, où l'on ne les approchait qu'en tremblant, où respect et servitude étaient synonymes, ne soulevait-on pas souvent le voile qui couvrait toutes leurs turpitudes? Et malgré lieutenans de police, espions, bastilles, on ne tardait pas à mettre le public dans la confidence de toutes les iniquités, de toutes les infamies de ces petits tyrans subalternes.

» C'est par une suite de la même objection qu'on ajoute: où trouverez-vous des ministres, où trouverez-vous des magistrats qui veuillent s'exposer à tant d'orages?...

» Je vais le dire. Je réponds d'abord que ces dangers n'ont rien d'alarmant pour l'homme pur et irréprochable ; que

dans tous les systèmes ils sont inévitablement attachés à tout poste élevé; que la liberté de la presse n'y expose pas plus que la gène n'en garantit. J'ajoute qu'il ne s'en présentera encore que trop qui brigueront ces postes de faveur;

malheureusement rien n'est capable de rebuter l'ambitieux et d'écarter l'intrigant! Il faut espérer cependant qu'un grand nombre d'hommes lâches et corrompus, qui tremblent de se montrer au grand jour, seront intimidés, et ce ne sera pas là un des moindres services de la liberté.

» Mais celui qui se mettra sur les rangs ce sera l'homme fier et vertueux, qui, fort de sa conscience et de ses œuvres, loin de redouter, invoque l'opinion publique, recherche la lumière autant que le méchant la fuit, et voudrait les hommes pussent lire au fond de son cœur. »

que tous

M. Larochefoucault parla après M. Pétion, et quoiqu'il ne partageât pas toutes ses vues il conclut néanmoins dans le même sens en proposant la rédaction qui suit:

<< Tout homme a le droit d'imprimer et de publier son opinion sur tous les actes des pouvoirs publics et sur toutes les actions des fonctionnaires publics relatives à leurs fonctions; mais la calomnie contre quelque personne que ce soit, sur les actions de sa vie privée, sera jugée et punie sur sa poursuite. »

M. Pétion adopta cette rédaction comme étant la conséquence des principes qu'il venait de développer; elle obtint d'ailleurs les suffrages des autres membres de l'extrémité gauche, qui voulaient qu'on la mît aux voix et que la discussion fût fermée : les partisans des comités s'écrièrent qu'une telle disposition introduirait dans la Constitution le droit de calomnier; il s'ensuivit un moment d'agitation et de bruit pendant lequel M. Ræderer apostropha vivement ceux qui s'élevaient contre la rédaction de M. Larochefoucault.

M. Roederer, « C'est ici le dernier coup porté à la liberté; on réserve aux ministres nouveaux le droit d'opprimer le reste de liberté que nous avons... (Murmures.) Quand Voltaire écrivit contre les abus des parlemens, s'il avait été jugé d'après la loi qu'on vous propose, il eût été puni comme un calomniateur... C'est ici une coalition ministérielle que nous avons à déjouer... (Violens murmures.) On a intérêt d'éloigner du ministère les réclamations quand on veut l'occuper... (Tumulte.) Ils demandent le ministère inviolable parce qu'ils

veulent y être... (A l'ordre, à l'ordre.) La liberté est tuée; on conjure pour obtenir l'inviolabilité du ministère... » (Les cris redoublent.)

Au milieu de ce trouble M. Dandré s'empare de la tribune, et parvient, non sans peine, à garder seul la parole en faveur des comités :

M. Dandré. « Monsieur le président, la question qui se présente est très facile à poser, et je la pose ainsi : tout individu aura-t-il la faculté indéfinie de calomnier les fonctionnaires publics?... (Murmures. Ce n'est pas là la question!)

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Quelques personnes prétendent que ce n'est pas là la question... »

M. Salles. « Vous calomniez vous-même en la posant ainsi. »

- M. Dandré. « Je ne propose point à M. le président de poser la question sur le point de savoir par oui ou non s'il sera permis de calomnier; mais je dis moi que dans ma façon de voir les argumens de tous les adversaires des comités se réduisent à cette proposition. Ils ne la posent pas en effet dans les mêmes termes; ils ne l'oseraient point, parce qu'elle serait trop singulièrement absurde, trop singulièrement odieuse; on la présente donc ainsi, et l'on dit : sera-t-il permis de dire tout ce qu'on voudra sur le compte des fonctionnaires publics?... Et sur cela on nous parle de la liberté de la presse, de la sûreté publique, de la censure générale, de la nécessité qu'il y a de porter le flambeau de la vérité sur l'administration! Tout cela est très beau; mais cependant n'est-il pas certain qu'ils disent que vous devez laisser imprimer tout ce qu'on voudra sur le compte des fonctionnaires publics relativement à leurs fonctions? (S'adressant à l'extrémité gauche :) Vous comprenez làdedans la calomnie, et cela est si vrai que, les comités ne voulant réprimer que la calomnic volontaire vis à vis des fonctionnaires publics, vous vous opposez à un article des comités qui porte une réparation contre la calomnie.....

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