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ARTICLES ADDITIONNELS.

Sur La liberté individuelle et sur la liberté de la presse. (Voyez plus haut, page 22 et suiv., pour le renvoi aux comités, et pages 31 et 32 pour les explications données par M. Thouret.)

Il restait à statuer sur les questions renvoyées aux comités et ajournées à la fin de la révision. Après quelques jours d'intervalle (le 22) M. Thouret rouvrit la délibération, d'abord sur les dispositions relatives à la liberté individuelle. « On a pensé, dit-il, que la liberté individuelle est une chose trop importante pour ne rien laisser à l'arbitraire des législatures sur la garantie de cette liberté : en adoptant les huit articles que les comités vous présentent sur cet objet, messieurs, vous aurez une loi de l'habeas corpus plus parfaite que celle qui existe en Angleterre ; en la rendant constitutionnelle vous lui donnez toute la stabilité qui est en votre pouvoir. » A l'exception d'un seul (1), qui fut retiré, l'Assemblée adopta sans discussion

(1) Cet article fut retiré sur la proposition de M. Lanjuinais; il portait :

Du moment qu'un homme sera arrêté il est défendu à qui que ce soit de rien imprimer et publier contre lui; la loi doit établir contre les contrevenans une punition infamante, »

M. Lanjuinais. « Si vous adoptez cet article vous ouvrez au détenu le plus vaste champ à la calomnie; il peut attaquer l'honneur de tous les citoyens de l'empire le plus iniquement pendant le temps de sa détention d'ailleurs cet article-là ne sera jamais observé; l'amourpropre blessé dans ce qu'il a de plus cher, l'honneur offensé ne se contiendra pas, et méprisera la loi ; elle sera sans cesse violée ; et s'il s'agit de punir le prétendu infracteur, qui n'aura fait qu'user du droit naturel, alors, messieurs, vous ne trouverez pas de jurés qui le condamnent. Je demande la question préalable. »

M. Thouret. « Les comités vous ont présenté cet article parce qu'ils l'ont regardé comme l'hommage le plus étendu que vous puissiez rendre à la liberté individuelle, qui a pour appendix nécessaire le respect de la condition du détenu. Le seul inconvénient qu'on objecte est que si le détenu imprime il peut calomnier impunément, puisqu'on ne pourra pas repousser la calomnie. Je réponds : il dit vrai ou il dit faux; s'il dit

les articles additionnels sur la liberté individuelle. (Ils forment dans la Constitution les articles 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 16 au titre III, chapitre V, du pouvoir judiciaire.)

On passa immédiatement aux articles additionnels sur la liberté de la presse.

M. Thouret. (Séance du 22 août 1791.) « Lorsque dans notre premier travail vous avez décrété les principes sur la liberté de la presse on a observé qu'il ne fallait pas laisser, quant à cette liberté, une telle latitude au pouvoir législatif qu'il pût porter trop loin la faculté qu'il a indubitablement de réprimer les délits qui peuvent se commettre par la voie de la presse. Dans la conférence qui a eu lieu entre l'auteur de cette observation (M. Buzot) et nous il fut convenu qu'on placerait au pouvoir judiciaire, de même que pour la liberté individuelle, deux articles constitutionnels qui en substance limitassent la faculté des législatures et indiquassent le terme dans lequel elles seraient tenues de se renfermer; qu'en même temps nous vous proposerions d'établir qu'aucune recherche ou poursuite d'un délit pour fait d'écrits imprimés et publiés ne pourrait être faite et aucun jugement prononcé que par la voie d'un juré; qu'il serait investi de deux pouvoirs, le pouvoir de prononcer si dans l'écrit il y a délit, et ensuite de prononcer si le poursuivi est l'auteur du délit. Nous avons attaché à cette idée une grande importance, car c'est là que réside principalement et substantiellement la véritable garantie à donner à la liberté de la presse : il ne faut point que ce soient les pouvoirs constitués qui soient les maîtres de prononcer et sur le fait du dělit et sur le fait de celui qui en est l'auteur; il faut que ce soit la nation, il faut que ce soit le peuple, intéressé à conserver la liberté de la presse; il faut

que

ce

vrai il n'a pas calomnié ; s'il dit faux les preuves du jugement constatent qu'il a calomnié, puisqu'il succombe dans ses accusations. L'Assemblée peut maintenant juger nos motifs, et si elle n'adopte pas l'article nous n'insisterons pas davantage. :

L'Assemblée se décida pour la suppression de l'article sans aucun débat.

soient des jurés, qui sont une émanation du peuple et qui le représentent, il faut que ce soient des jurés qui éclaircissent les faits et dénoncent à la justice le délit quand il existe.

» Nous croyons qu'en réunissant à cette disposition les dispositions du précédent article qui limiteront le pouvoir que, vous avez laissé aux législatures d'établir des peines contre les actes de liberté qui nuisent cependant aux droits d'autrui et à la sûreté sociale; nous croyons que cela complète parfaitement la base constitutionnelle de la liberté de la presse. Nous proposons donc, messieurs, ces deux articles: daba

Art. 1er. Nul homme ne peut être recherché ni poursuivi pour raison des écrits qu'il aura fait imprimer ou publier, si ce n'est qu'il ait provoqué à dessein la désobéissance à la loi, l'avilissement des pouvoirs constitués et la résistance à leurs actes, ou quelqu'une des actions déclarées crimes ou délits par la loi.

Les calomnies volontaires contre la probité des fontionnaires publics et la droiture de leurs intentions dans l'exercice de leurs fonctions pourront être dénoncées ou poursuivies par ceux qui en sout l'objet.

Les calomnies et injures contre quelques personnes que ce soit, relatives aux actions de leur vie privée, seront punies sur leur poursuite....

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» 2. Nul ne peut être jugé soit par la vole civile, soit par la voie eriminelle, pour fait d'écrits imprimés ou publiés, sans qu'il ait été reconnu et déclaré par un juré 1o s'il y a délit dans l'écrit dénoncé; 2o si la personne poursuivie en est coupable. ▲ 72

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M. Robespierre ( immédiatement après la lecture de ces articles, séance du 22 août 1791). « Par cela même que Já liberté de la presse fut toujours regardée comme le seul frein du despotisme, il en est résulte que les principes sur lesquels elle est fondée ont été méconnus et obscurcis par les gouvernemens despotiques, c'est à dire dans presque tous les rou vernemens. Le moment d'une révolution est peut être celui où ces principes peuvent être développés avec le moins d'avantage, parce qu'alors chacun se se ressouvient douloureusement des blessures que lui a faites la liberté de la presse; mais nous sommes dignes de nous élever au-dessus des prejugés et de tous les intérêts personnels. mer Voici, messieurs, la loi constitutionnelle que l Unis d'Amérique ont fait de la liberté de la la presse : «La liberté de la presse, étant un des plus forts boule

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» varts de la liberté, ne peut être limitée que dans les >> gouvernemens despotiques.» (1)

» En effet, est-il vrai que la liberté de la presse consiste uniquement dans la suppression de la censure et de toutes les entraves qui peuvent arrêter l'essor de cette libertė? Je ne le pense pas, et vous ne le penserez pas non plus. La liberté de la presse n'existe pas dès que l'auteur d'un écrit peut être exposé à des poursuites arbitraires; et ici il faut saisir une différence bien cssentielle entre les actes criminels et ce qu'on a 'appelé les délits de la presse. Les actes criminels consistent dans des faits palpables et sensibles; ils peuvent être constatés suivant des règles sûres et par des moyens infaillibles, d'après lesquels la loi peut être appliquée sans aucune espèce d'arbitraire; mais quant aux opinions leur mérite ou leur crime dépendent des rapports qu'elles ont avec des principes de raison, de justice et d'intérêt public, et souvent avec une foule de circonstances particulières; et dès lors toutes les questions qui s'élèvent sur le mérite ou sur le crime d'un écrit quelconque sont nécessairement abandonnées à l'incertitude des opinions et à l'arbitraire des jugemens particuliers; chacun décide des questions suivant ses principes, suivant ses préjugés, suivant ses habitudes, suivant les intérêts de son parti, suivant ses culiers de là vient qu'une loi sur les delits qui peuvent cire commis par la voie de la presse demande les plus grandes circonspections avant d'être portée; de là, vient que cette loi, sous le prétexte de la liberté de la presse, produit presque toujours l'effet infaillible d'anéantir cette liberté en elle-même. Rappelez-vous, messieurs, "ce que s'est passé jusqu'ici lorsque le gouvernement, sous prétexte de l'ordre et de l'intérêt públic, poursuivait les écrivains. Quels étaient les écrits objets de sa sévérité? C'était précisément ceux qui sont actuellement l'objet de notre admiration, et qui ont His moueurs mérité de notre part des hommages à leurs auteurs. En effet, il est dans la nature des choses qui suivent les temps et les ieux qu'un écrivain pismkb ein ain essuie des persecutions oui reçoive des al ob del año sopin9mAb

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b.ng invià. se el pb, ehodil I (1) Constitution de la Virginie, article 14 de la déclaration des droits.

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couronnes: le Contrat social était il y a trois ans un écrit incendiaire; J.-J. Rousseau, l'homme qui a le plus contribué à préparer la révolution, était un séditieux, un novateur dangereux, et pour le faire monter à l'échaland i na manqué au gouvernement que moins. de crainte du Sourage des patriotes, et l'on peut ajouter, sans crainte de se romper, que si le despotisme avait assez compté sur ses forces et sur l'habitude qui enchaînait le peuple sous son ne pas craindre une révolution J.-J. Rousseau eût payé de sa tête les services qu'il voulut rendre à la vérité et au genre humain, et qu'il eût auginenté la liste des illustres victimes que le fanatisme, le despotisme et la tyrannie ont frappées dans tous les temps. Concluez donc, messieurs, que rien n'est plus délicat ni peut-être plus impossible à faire qu'une loi qui prononce des peines contre les opinions que les hommes peuvent publier sur tous les objets naturels des connaissances et des raisonnemens humains pour moi je conclus qu'on ne peut en faire. Vous en avez fait une; c'est peut-être la scule qu'il soit possible de faire en la restreignant aux termes dans lesquels votre sagesse l'a exprimée; c'est celle qui permet de prononcer des peines seulement contre celui qui provoquerait formellement, ce mot est bien essentiel, à quelque crime ou à la désobéissance à la loi. Je ne crois pas que vous puissiez aller plus loin, que vous puissiez mettre des termes différens sans attaquer la liberté de la presse dans son essence et dans son principe. Ceci concerne les opinions que l'on peut publier sur les choses qui intéressent le bien de l'humanité.

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Une autre question non moins importante s'élève relativement aux personnes publiques. Il faut observer que dans tout état le seul frein efficace des abus de l'autorité c'est l'opinion publique, et par une suite nécessaire la liberté de manifester son opinion individuelle sur la conduite des fonctionnaires publics, sur le bon ou mauvais usage quis fon de l'autorité que les citoyens leur ont confiée. Or, messieurs, supposez qu'on ne puisse en exercer le droit qu'a condition d'être exposé à toutes les poursuites, à toutes les plaintes juridiques des fonctionnaires publics; je vous demande si

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