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messieurs, qu'elle n'a besoin que d'être présentée sous son véritable point de vue pour qu'il ne puisse exister un ami vrai de la liberté.... (Murmures.) Je dis que la question est tellement évidente qu'elle n'a besoin que d'être présentée dans son véritable jour pour qu'il ne puisse exister un seul doute dans l'esprit d'un ami de la liberté. Voici où la question est placée donnera-t-on l'influence ou à l'opinion publique, ou à la corruption, ou à la confiance; à la publicité, au jugement de tous, ou à l'intrigue? Sera-ce dans notre gouvernement la voix du peuple qui indiquera ses agens, ou sera-ce comme autrefois des moyens secrets et toutes les manoeuvres des cours? Voilà où est véritablement placée la question.

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Quelques opinans ont demandé, et cette opinion ne m'a pas para fort appuyée, que les ministres, ne soient admis dans l'assemblée législative que lorsqu'ils y seront appelés moi je pense qu'il est absolument indispensable qu'ils y soient habituellement admis, soit pour répondre aux interpellations qui pourraient leur être faites, soit pour développer personnellement leurs opinións et donner leurs lumières sur les lois présentées dans le corps législatif.

» Pour le premier objet je supplie chaque membre de considérer où est le véritable moyen de connaître la vérité. Que devez-vous désirer dans les agens de l'administration? Qu'ils ne puissent pas vous tromper d'une part, et que d'autre part on ne puisse pas les décrier, les détruire, les arrêter dans leur marche par des accusations fausses et tardivement repoussées. Or pour que cela soit ainsi il faut que vous puissiez toujours trouver l'homme là, et lui demander compte de ce qu'il a fait, afin qu'à l'instant même la dénonciation, l'attaque et la défense sê succèdent, et que l'homme à qui l'inculpation s'adresse n'ait pas le temps d'apprêter des réponses artificieuses et des moyens d'éluder l'interpellation juste et pertinente qui lui aura été adressée. Toutes les fois que vous demanderez à un homme de bonne foi s'il désire qu'on l'interroge publiquement, ouvertement, à tous les momens, il vous dira: je le désire; toutes les fois qu'un homme de mauvaise foi sera dans le

même cas il demandera du temps, il voudra pouvoir réflé chir dans son cabinet, il désirera que la chose ne soit pas publique; et c'est par la suite de ce même principe que si vous voulez conserver le gouvernement dans sa pureté, que si vous voulez y appeler l'homme honnête et en repousser l'homme de mauvaise foi, vous devez mettre autant qu'il sera possible toutes les opérations au grand jour; vous devez appeler la publicité sur tout ce qui se passe dans l'administration. C'est pour cela que les ministres doivent être dans le sein de l'Assemblée, et si, comme chacun le reconnaît, il est indispensable qu'ils puissent répondre aux interpellations qui leur sont faites, il n'est pas moins nécessaire qu'ils puissent présenter aussi leur opinion sur les inconvéniens d'exécution que présentent les lois proposées et sur les additions qu'ils croiront devoir y être faites. Comment voulez-vous que la loi reçoive son exécution, comment voulez-vous que le pouvoir exécutif soit actif et de bonne foi si, lorsqu'il se sera présenté des inconvéniens dans la confection de la loi il n'a eu aucun moyen de les dénoncer d'avance? Voulez-vous ne pas exposer votre Constitution à ce danger fondamental, à cet écueil redoutable du veto, permettez qu'on vous fasse d'avance les objections qui pourraient en suivre. Dans le gouvernement que vous avez établi vous avez institué deux pouvoirs, le corps législatif et le roi; or il est constant que si vous nécessitez fréquemment l'usage du veto ces pouvoirs, en contradiction et toujours opposés, finiront par s'entre-détruire, et anéantiront la Constitution : le veto est une chose nécessaire; mais si l'usage en est fréquent il est destructif.

On a l'air de croire que toujours la plus grande pureté résidera dans tous les membres indistinctement du corps législatif... L'intrigue toujours existante fera jouer ses divers ressorts dans le corps législatif; on le verra souvent tendre à la destruction du ministère existant pour le remplacer par un autre : c'est dans ce but que l'opposition agira, et qu'on empêchera le ministère de dire d'avance la vérité pour faire au corps législatif des restrictions contre lesquelles il voudra ensuite combattre, et rencontrera sa ruine; ce sera pour

mettre ses rivaux à sa place qu'on lui aura imposé silence, et qu'on l'aura mis dans l'impuissance de gouverner. Ainsi ce détestable ressort de l'intrigue aura pris la place de l'opinion, toujours juste, toujours protectrice du talent et de la probité lorsqu'on la laisse s'éclairer par des discussions publiques : ainsi vous aurez voulu éviter la corruption; vous n'aurez étouffé que la vérité.

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» On vous a dit que les ministres dans le parlement d'Angleterre y produisaient la corruption par leur présence : c'est parfaitement méconnaître l'état des choses que d'avancer cette assertion. La corruption existe dans le parlement d'Angleterre indépendamment de la présence du ministre; elle existe par les élections: on ne corrompt pas la majorité des membres, car il est impossible de corrompre la majorité d'un corps qui aurait été purement élu on fait entrer dans le parlement par des élections achetées une majorité toute corrompue, et dont on est sûr d'avance; et là, messieurs cette majorité n'opine pas suivant le discours du ministre, mais suivant sa volonté connue : cela est tellement vrai qu'il existe dans le parlement d'Angleterre des questions méditées d'avance dans lesquelles le ministre, pour conserver sa pópu larité, opinait d'une certaine manière, et son parti, toujours soumis ou fidèle, mais plus attentif à son intention qu'à ses phrases, opinait d'une manière opposée. (Applaudissemens au centre.)

» Il suffit d'une raison pour concevoir que la simple présence du ministre dans l'Assemblée ne sert à rien pour la corruption; certes il n'a pas besoin d'être présent pour savoir comment chacun donne sa voix; il n'a pas besoin d'être présent pour que ses opinions soient proposées ; il aura toujours quelques personnes qui présenteront son opinion, qu'on reconnaîtra pour ses organes, et qui par là entraîneront ses partisans. Si vous lui supposez une majorité corrompue sa présence n'y fera rien... (Murmures.) A-t-il besoin d'avoir chez lui la liste des hommes qui auront opiné pour tel avis et de ceux qui auront opiné pour tel autre? A-t-il besoin d'être au corps législatif pour être témoin de vos délibérations? Non. Ainsi telle est donc la différence: si vous lui refusez les

moyens de se défendre devant l'opinion, par l'opinion; si vous lui refusez de se justifier en public quand on l'accuse, de démontrer en public la vérité et l'intégrité de ses principes, alors vous le nécessitez au contraire à chercher pour faire aller le gouvernement des moyens de corruption dont il aurait pu se passer si vous l'eussiez laissé se servir de ceux de la raison et de la confiance: alors tout homme qui creira pouvoir se passer d'honneur deviendra facilement ministre; mais quiconque ne connaît de loi que l'opinion, quiconque ne connaît de juge que le peuple, n'acceptera dans aucun temps un poste qui, le rendant par sa nature sujet à tous les soupçons, ne lui donnerait jamais les moyens d'une justification publique. C'est donc ainsi que vous éloignez l'influence de l'opinion pour porter à ces places, et que par conséquent vous en ouvrez l'accès aux anciens moyens de l'intrigue et de la corruption.

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Quand on demande que les ministres ne puissent être entendus sans la volonté de la majorité du corps législatif on expose celui-ci aux inconvéniens que je vous ai présentés : je ne veux pas qu'ils puissent interrompre une discussion; mais si l'on a le droit de les empêcher de dire leur opinion sur une loi alors on les désarme absolument, et on leur enlève tous les moyens dont ils ont essentiellement besoin.

» Si c'était le patriotisme qui pût leur ôter la parole j'y consentirais; mais ce ne sera jamais ce motif; ce sera toujours une intrigue plus puissante qui cherchera à leur ôter les moyens d'éclairer l'opinion des hommes de bonne foi, afin de les renvoyer de leur place; ce seront ceux qui dans le corps législatif seront liés avec leurs rivaux, qui échaufferont les esprits, qui emploieront différens moyens pour empêcher les ministres d'être entendus et de pouvoir par là même se défendre.

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Quand vous parlez de corruption... Il est évident qu'an ministre corrupteur sera toujours entendu, car des hommes achetés ne refusent pas d'entendre l'homme qui les paie; mais le ministre qui aura compté sur sa probité ne sera pas entenda quand l'intrigue suscitée contre lui sera la plus forte. C'est ainsi qu'on s'égare toujours quand on veut priver un

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gouvernement de son premier avantage, qui est la publicité, elle qui, loin de pouvoir jamais conduire à la corrupton, en est peut-être le seul préservatif, le seul remède possible! Je conclus à l'avis des comités. » (Aux voix, aux voix. )

M. Charles Lameth. « M. le président, j'ai écouté très attentivement la discussion; d'après ce qui a été dit par les divers opinans voici, je pense, une rédaction qui satisfera toute l'Assemblée :

Les ministres du roi auront entrée dans l'Assemblée nationale législative; ils y auront une place marquée; ils seront entendus toutes les fois qu'ils le demanderont sur les objets relatifs à leur administration, ou lorsqu'ils seront requis de donner des éclaircissemens. Ils seront également entendus sur les objets étrangers à leur administration quand l'Assemblée nationale leur accordera la parole. »

Nombreux applaudissemens, quelques murmures; dans l'extrémité gauche on invoque la question préalable et contre cette rédaction et contre celle des comités; mais c'est en vain; l'Assemblée délibère, et la rédaction proposée par M. Charles Lameth est adoptée à une grande majorité. (Elle forme l'article 10 du troisième chapitre du titre III. Voyez la Constitution.)

La délibération du lendemain 16 mit fin au projet des comités; tous les articles en furent adoptés sauf quelques changemens de rédaction.

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