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un assez grand nombre d'articles (1); mais le lendemain la délibération fut interrompue par les débats qui s'élevèrent à l'occasion de l'article 10 du chapitre III (toujours titre III.)

Sur la présence des ministres dans les assemblées nationales, et sur les cas dans lesquels ils peuvent y être entendus. ( Voyez tome V, page 166 et suiv., la première discussion qui eut lieu sur le même point.)·

Cet article 10 était ainsi conçu dans le projet :

Les ministres du roi auront entrée dans l'Assemblée nationale législative; ils y auront une place marquée; ils seront entendus sur tous les objets sur lesquels ils demanderont à l'être, et toutes les fois qu'ils seront requis de donner des éclaircissemens. »

tenue par

Les comités proposaient dans cet article une disposition déjà rejetée par l'Assemblée, quoique proposée et souMirabeau: on s'étonna de la retrouver dans le projet de Constitution. M. Robespierre fut le premier à la combattre comme étant subversive de tous les principes de la représentation nationale, de la séparation et de l'indépendance des pouvoirs; il conclut au rejet le plus absolu. M. Barrère obtint ensuite la parole.

M. Barrère. (Séance du 15 août 1791.) « Je n'attaque dans l'article proposé que la trop grande latitude, et le dangereux pouvoir qu'on me paraît donner aux ministres dans. ces paroles: ils seront entendus sur tous les objets sur lesquels ils demanderont à l'étre; c'est leur donner.

(1) Lorsqu'on mit aux voix la section qui concerne les ministres MM. Guillaume et Saint-Martin firent la motion qu'on y ajoutât le décret du 6 avril 1791 (voyez tome V, pages 177 à 202), portant que le corps législatif pourra déclarer au roi que ses ministres ont perdu la confiance de la nation. M. Thouret s'y opposa au nom des comités :

Il nous a paru, dit-il, que c'était une disposition qui ne méritait pas d'être dans l'acte constitutionnel, car aux termes du décret le roi peut garder ses ministres malgré la déclaration du corps législatif; or nous ne croyons pas digne de la Constitution d'y mettre de ces sortes de dispositions qui n'aboutissent à aucune exécution. »

Sur cette seule raison donnée par le rapporteur l'Assemblée laissa tomber la motion, qui d'ailleurs fut retirée par ses auteurs.

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évidemment la voix consultative, c'est à dire les admettre dans la discussion sur tous les points de législation quel

conques.

» Sans doute il est sage, il est utile au gouvernement, à son activité, à ses rapports avec le corps législatif, que les ministres y aient une place marquée; sans doute il est utile que quand ils seront requis ils puissent répondre; sans doute il est utile, lorsqu'il y a des conférences à avoir avec un ministre, qu'elles ne soient pas secrètes, qu'elles ne soient pas avec les comités, mais qu'elles soient en public; il est utile encore que quand les ministres des différens départemens ont à se plaindre de ce que quelques lois sont insuffisan'es ou obscures, que le gouvernement ne peut pas marcher, ils viennent à l'Assemblée nationale présenter les obstacles, les vices de ces lois; ce sont toujours là des objets appartenant purement aux fonctions ministérielles.

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» Mais leur donner le pouvoir que le peuple seul peut conferer, que le pouvoir constituant ne peut pas donner, car il ne le tient lui-même que des assemblées primaires et des assemblées électorales, c'est à dire de voter..... (Murmures.) Je n'entends point par voler ce que vous appelez voter par assis et levé pour délibérer sur une affaire; le véritable vote, celui qui a de l'influence sur les esprits, c'est celui de l'orateur: messieurs, supposez un homme qui a acquis une réputation quelconque de patriotisme; cet homme passe au ministère; cet homme arrive dans l'Assemblée; il a l'initiative sur toutes les lois, initiative que votre Constitution refuse au roi lui-même : hé bien, le ministre exerce avec cette réputation de popularité, avec le jeu d'intrigue qu'il saura faire, avec les places qu'il peut donner, l'influence la plus terrible et la plus dangereuse! (Applaudissemens.)

»Je prends pour exemple ce qui se passe en Angleterre, surtout depuis la moitié du règne actuel, et surtout depuis le ministère de Pitt. ·

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Qui est-ce qui ignore que M. Pitt est reçu dans la chambre des communes? et tout le monde sait qu'il y a une majorité constante.

» Hé bien, messieurs, ne craignez-vous pas que dans l'Assemblée nationale un Pitt obtienne la même influence, et entraîne la nation dans le même danger ? (siya

:

» D'ailleurs je soutiens que plusieurs de vos décrets s'y opposent le premier est celui par lequel vous déclarez que vous ne pouvez pas délibérer en présence du roi; or délibérer en présence du pouvoir exécutif et par son influence est bien plus dangereux.

» Le second est celui qui porte que l'initiative de la loi appartient non pas au pouvoir exécutif, mais au roi; et quelle initiative encore! Le roi demande pour un besoin du royaume, il demande pour un besoin de loi, il demande pour des objets que vous n'avez pas saisis; mais les ministres sont ici avec leurs cabales, leurs intrigues, leurs partisans, et là ils opinent, ils délibèrent, ils votent avec toute l'influence d'individus qui tiennent en leurs mains les rênes d'un grand pouvoir.

» Ici je rappelle ce qui fut dit hier par M. Duport rela→ tivement à l'admission des membres de la dynastie régnante à l'exercice des droits de citoyen actif (1),

» M. Duport a fait sentir qu'il pouvait être dangereux qu'un homme destiné à succéder au trône puisse faire partie du corps politique; pourquoi? Parce qu'il est (ce sont ses propres paroles) trop voisin du pouvoir exécutif.... Or je demande si les ministres ne sont pas bien voisins du pouvoir exécutif, puisqu'ils en sont les seuls agens, et si le danger de laisser quelques membres de la dynastie, exercer les droits politiques de simple citoyen ost comparable au danger de l'extrême influence qu'on propose d'accorder aux ministres dans la formation même de la loi! »

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M. Lanjuinais, qui en 1789 s'était opposé de toutes ses forces à la proposition de Mirabeau dont l'objet était le même, s'éleva également contre celle des comités; il appuya les objections présentées par M. Barrère, et finit en pro

(1) Cette question fut renvoyée à la fin de la révision. Voyez plus

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posant que les ministres ne soient entendus, quand ils demanderaient à l'être, que lorsque le corps législatif jugerait à propos de leur accorder la parole. M. Camus opina dans le même sens. M. Beaumetz, membre des comités, soutint leur proposition.

M.Pétion (après M. Beaumetz). « Les comités insistent pour vous faire admettre l'article tel qu'il vous a été proposé, et il semble évident pour tous que l'article ainsi conçu ne pourrait pas subsister; et il a été proposé des amendemens qui dans tous les cas doivent être admis. Selon l'article les ministres peuvent venir vous dire : l'inexécution de la loi éprouve tels et tels obstacles; il faut lever ces obstacles; il faut faire telle ou telle chose.... Et moi je dis que les ministres, quoiqu'on ne leur accorde que la voix consultative, se trouvent députés de fait dès qu'ils sont admis à être entendus au corps législatif; ensuite, messieurs, ils le peuvent sur tous les objets, et rien n'est plus claire que cette phrase: sur tous les objets sur lesquels ils demanderont à l'étre; ainsi non seulement ils sont députés de fait, mais ils ont même un privilége que ne pourrait pas avoir un député, celui qui résulte de l'article même, qu'on ne peut refuser de les entendre lorsqu'ils demandent à l'être. (Applaudissemens.)

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>> On a fait une objection qui au premier coup d'œil paraît très spécieuse, mais qui me paraît tourner absolument contre ceux qui l'ont faite. On vous a dit : hé qu'importe que vous entendiez les ministres dans les assemblées, puisque, retirés ensuite au conseil, ils peuvent faire apposer le veto sur la loi; de là il vaut beaucoup mieux qu'ils soient entendus dans le corps législatif.... On aurait même pu dire qu'il valait mieux leur laisser faire la loi, car alors il n'y aurait plus de veto! Voilà positivement un des plus grands dangers remarquez, je vous prie, quelle prodigieuse influence un ministre se trouverait avoir quand en effet les membres d'un corps législatif seraient convaincus que s'ils refusent d'accéder aux propositions du ministre le veto sera apposé!

» N'était-ce pas assez de dire : les ministres seront admis toutes les fois qu'ils seront requis de donner des éclaircis

semens...? Maintenant pouvez-vous concevoir que le corps législatif soit assez imprudent, soit assez ennemi de la nation pour ne pas appeler les ministres toutes les fois que leur présence sera nécessaire?

» Mais il est bon, a-t-on dit, d'avoir les ministres présens.... Hé bien, messieurs, c'est là ce qui est purement illusoire, car un ministre un peù adroit ne répond pas à toutes les questions qu'on lui fait, et les ministres se conduisent partout comme en Angleterre ; il y a une multitude de circonstances où les ministres vous répondent : le secret de l'Etat ne le permet pas. On ne peut alors forcer le ministre à répondre; ainsi vous ne tirez aucun parti de la présence d'un ministre. L'admission de droit dans le corps législatif ne me paraît nullement nécessaire; ou le corps législatif appelle le ministre, et alors tout est dit; ou bien on ne l'appelle pas, et il fait ses observations par écrit. La présence d'un ministre, quoi qu'on en dise, n'est bonne que pour la corruption; et enfin, nous avons l'expérience devant les yeux, il est évident que les ministres en Angleterre non seulement sont chefs d'opinion, mais qu'ils soutiennent, et avec de grands talens, les opinions qu'ils ont, et qu'avec ces grands talens ils entraînent tous ceux qu'ils n'ont pu corrompre.

» Encore une fois la présence du ministre sera exigée toutes les fois qu'elle sera nécessaire, et s'il n'est pas appelé alors il fera passer ses observations, et on l'apellera. Je demande donc qu'on rejette cette phrase : ils seront entendus sur tous les objets sur lesquels ils demanderont à l'étre, et qu'on décrète que les ministres seront entendus toutes les fois que le corps législatif les apellerà.» (Aux voix, aux voix les amendemens.)

Les comités avaient une telle confiance dans leur rédaction, que cette fois ils avaient consenti à laisser parler contre presque sans interruption; cependant, le succès devenant incertain, M. Barnave prit la parole immédiatement après M. Pétion.

M. Barnave. « Cette question est d'une telle évidence,

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