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POLYSYNODIE

DE

L'ABBÉ DE SAINT-PIERRE.

POLYSYNODIE

DE

L'ABBÉ DE SAINT-PIERRE.

CHAPITRE PREMIER.

Nécessité, dans la monarchie, d'une forme de gouvernement subordonnée au prince.

Si les princes regardoient les fonctions du gouvernement comme des devoirs indispensables, les plus capables s'en trouveroient les plus surchargés; leurs travaux, comparés à leurs forces, leur paroîtroient toujours excessifs; on les verroit aussi ardens à resserrer leurs états ou leurs droits, qu'ils sont avides d'étendre les uns et les autres; et le poids de la couronne écraseroit bientôt la plus forte tête qui voudroit sérieusement la porter. Mais, loin d'envisager leur pouvoir par ce qu'il a de pénible et d'obligatoire, ils n'y voient que le plaisir de commander; et, comme le peuple n'est à leurs yeux que l'instrument de leurs fantaisies, plus ils ont de fantaisies à contenter, plus le besoin d'usurper augmente; et plus ils sont bornés et petits d'entendement, plus ils veulent être grands et puissans en autorité.

Cependant le plus absolu despotisme exige encore un travail pour se soutenir : quelques maximes qu'il établisse à son avantage, il faut toujours qu'il les couvre d'un leurre d'utilité publique; qu'employant la force des peuples contre eux-mêmes, il les empêche de la réunir contre lui; qu'il étouffe continuellement la voix de la nature, et le cri de la liberté toujours prêt à sortir de l'extrême oppression. Enfin, quand le peuple ne seroit qu'un vil troupeau sans raison, encore faudroit-il des soins pour le conduire, et le prince qui ne songe point à rendre heureux ses sujets n'oublie pas, au moins, s'il n'est insensé, de conserver son patrimoine.

Qu'a-t-il donc à faire pour concilier l'indolence avec l'ambition, la puissance avec les plaisirs, et l'empire des dieux avec la vie animale? Choisir pour soi les vains honneurs, l'oisiveté, et remettre à d'autres les fonctions pénibles du gouvernement, en se réservant tout au plus de chasser ou changer ceux qui s'en acquittent trop mal ou trop bien. Par cette méthode, le dernier des hommes tiendra paisiblement et commodément le sceptre de l'univers; plongé dans d'insipides voluptés, il promènera, s'il veut, de fête en fête son ignorance et son ennui. Cependant on le traitera de conquérant, d'invincible, de roi des rois, d'empereur auguste, de monarque du monde, et de majesté sacrée. Oublié sur le trône, nul aux yeux de ses voisins, et même à ceux de ses sujets, encensé de tous sans être obéi de personne; foible instrument

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