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m'inspirent l'estime et l'admiration. Je voudrois savoir tout ce qui regarde M. Paoli; quel âge a-t-il ? est-il marié ? a-t-il des enfans? où a-t-il appris l'art militaire? comment le bonheur de sa nation l'a-t-il mis à la tête de ses troupes? quelles fonctions exercet-il dans l'administration politique et civile? ce grand homme se résoudroit-il à n'être que citoyen dans sa patrie après en avoir été le sauveur ? Surtout parlezmoi sans déguisement à tous égards; la gloire, le le bonheur de votre peuple, dépendent ici plus de vous que de moi. Je vous salue, monsieur, de tout mon cœur.

repos,

MÉMOIRE JOINT A CETTE Réponse.

Une bonne carte de la Corse, où les divers districts soient marqués et distingués par leurs noms, même, s'il se peut, par des couleurs.

Une exacte description de l'île; son histoire naturelle, ses productions, sa culture, sa division par districts; le nombre, la grandeur, la situation des villes, bourgs, paroisses; le dénombrement du peuple aussi exact qu'il sera possible; l'état des forteresses, des ports; l'industrie, les arts, la marine; le commerce qu'on fait, celui qu'on pourroit faire, etc.

Quel est le nombre, le crédit du clergé ? quelles sont ses maximes? quelle est sa conduite relativement à la patrie? Y a-t-il des maisons anciennes, corps privilégiés, de la noblesse ? Les villes ont

des

elles des droits municipaux? en sont-elles fort jalouses?

Quelles sont les mœurs du peuple, ses goûts, ses occupations, ses amusemens, l'ordre et les divisions militaires, la discipline, la manière de faire la guerre, etc.?

L'histoire de la nation jusqu'à ce moment, les lois, les statuts; tout ce qui regarde l'administration actuelle, les inconvéniens qu'on y trouve, l'exercice de la justice, les revenus publics, l'ordre économique, la manière de poser et de lever les taxes, ce que paye à peu près le peuple, et ce qu'il peut payer annuellement et l'un portant l'autre.

Ceci contient en général les instructions nécessaires mais les unes veulent être détaillées; il suffit de dire les autres sommairement. En général tout ce qui fait le mieux connoître le génie national ne sauroit être trop expliqué. Souvent un trait, un mot, une action dit plus que tout un livre; mais il vaut mieux trop que pas assez.

LETTRE III.

AU MÊME.

Motiers-Travers, le 24 mars 1765.

Je vois, monsieur, que vous ignorez dans quel gouffre de nouveaux malheurs je me trouve englouti.

Depuis votre pénultième lettre on ne m'a pas laissé reprendre haleine un instant. J'ai reçu votre premier envoi sans pouvoir presque y jeter les yeux. Quant à celui de Perpignan, je n'en ai pas ouï parler. Cent fois j'ai voulu vous écrire; mais l'agitation continuelle, toutes les souffrances du corps et de l'esprit, l'accablement de mes propres affaires, ne m'ont pas permis de songer aux vôtres. J'attendois un moment d'intervalle; il ne vient point, il ne viendra point; et, dans l'instant même où je vous réponds, je suis, malgré mon état, dans le risque de ne pouvoir finir ma lettre ici.

Il est inutile, monsieur, que vous comptiez sur le travail que j'avois entrepris: il m'eût été trop doux de m'occuper d'une si glorieuse tâche, cette consolation m'est ôtée. Mon âme épuisée d'ennuis n'est plus en état de penser; mon cœur est le même encore, mais je n'ai plus de tête; ma faculté intelligente est éteinte; je ne suis plus capable de suivre un objet avec quelque attention; et d'ailleurs que voudriez-vous que fit un malheureux fugitif qui, malgré la protection du roi de Prusse souverain du pays, malgré la protection de mylord maréchal qui en est gouverneur, mais malheureusement trop éloignés l'un et l'autre, y boit les affronts comme l'eau ; et, ne pouvant plus vivre avec honneur dans cet asile, est forcé d'aller errant en chercher un autre sans savoir plus où le trouver?...

Si fait pourtant, monsieur, j'en sais un digne de

moi et dont je ne me crois pas indigne ; c'est parmi vous, braves Corses, qui savez être libres, qui savez être justes, et qui fûtes trop malheureux pour n'être pas compatissans. Voyez, monsieur, ce qui se peut faire parlez-en à M. Paoli. Je demande à pouvoir louer dans quelque canton solitaire une petite maison pour y finir mes jours en paix. J'ai ma gouvernante qui depuis vingt ans me soigne dans mes infirmités continuelles : c'est une fille de quarante-cinq ans, Françoise, catholique, honnête et sage, et qui se résout de venir, s'il le faut, au bout de l'univers partager mes misères et me fermer les yeux. Je tiendrai mon petit ménage avec elle, et je tâcherai de ne point rendre les soins de l'hospitalité incommodes à

mes voisins.

Mais, monsieur, je dois vous tout dire ; il faut que cette hospitalité soit gratuite, non quant à la subsistance, je ne serai là-dessus à charge à personne, mais quant au droit d'asile qu'il faut qu'on m'accorde sans intérêt car, sitôt que je serai parmi vous, n'attendez rien de moi sur le projet qui vous occupe. Je le répète, je suis désormais hors d'état d'y songer; et quand je ne le serois pas, je m'en abstiendrois par cela même que je vivrois au milieu de vous; car j'eus et j'aurai toujours pour maxime inviolable de porter le plus profond respect au gouvernement sous lequel je vis, sans me mêler de vouloir jamais le censurer et critiquer, ou réformer en aucune manière. J'ai même ici une raison de plus,

et pour moi d'une très-grande force. Sur le peu que j'ai parcouru de vos mémoires, je vois que mes idées different prodigieusement de celles de votre nation. Il ne seroit pas possible que le plan que je proposerois ne fit beaucoup de mécontens, et peut-être vous-même tout le premier. Or, monsieur, je suis rassasié de disputes et de querelles. Je ne veux plus voir ni faire de mécontens autour de moi, à quelque prix que ce puisse être. Je soupire après la tranquillité la plus profonde, et mes derniers vœux sont d'être aimé de tout ce qui m'entoure, et de mourir en paix. Ma résolution là-dessus est inébranlable. D'ailleurs mes maux continuels m'absorbent, et augmentent mon indolence. Mes propres affaires exigent de mon temps plus que je n'y en peux donner. Mon esprit usé n'est plus capable d'aucune autre application. Que si peut-être la douceur d'une vie calme prolonge mes jours assez pour me ménager des loisirs, et que vous me jugiez capable d'écrire votre histoire, j'entreprendrai volontiers ce travail honorable, qui satisfera mon cœur sans trop fatiguer ma tête; et je serois fort flatté de laisser à la postérité ce monument de mon séjour parmi vous. Mais ne me demandez rien de plus : comme je ne veux pas vous tromper, je me reprocherois d'acheter votre protection au prix d'une vaine attente.

Dans cette idée qui m'est venue j'ai plus consulté mon cœur que mes forces; car, dans l'état où je suis, il est peu apparent que je soutienne un si long

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