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La première question est, si la confédération proposée iroit sûrement à son but et seroit suffisante pour donner à l'Europe une paix solide et perpétuelle.

La seconde, s'il est de l'intérêt des souverains d'établir cette confédération et d'acheter une paix constante à ce prix.

Quand l'utilité générale et particulière sera ainsi démontrée, on ne voit plus, dans la raison des choses, quelle cause pourroit empêcher l'effet d'un établissement qui ne dépend que de la volonté des intéressés.

Pour discuter d'abord le premier article, appliquons ici ce que j'ai dit ci-devant du système général de l'Europe, et de l'effort commun qui circonscrit chaque puissance à peu près dans ses bornes, et ne lui permet pas d'en écraser entièrement d'autres. Pour rendre sur ce point mes raisonnemens plus sensibles, je joins ici la liste des dix-neuf puissances qu'on suppose composer la république européenne; en sorte que, chacune ayant voix égale, il y auroit dix-neuf voix dans la diète :

SAVOIR ;

L'empereur des Romains.

L'empereur de Russie.

Le roi de France.

Le roi d'Espagne.
Le roi d'Angleterre.

Les États-généraux.

Le roi de Danemarck.

La Suède.

La Pologne.

Le roi de Portugal.

Le souverain de Rome.

Le roi de Prusse.

L'électeur de Bavière et ses co-associés.
L'électeur palatin et ses co-associés.

Les Suisses et leurs co-associés.

Les électeurs ecclésiastiques et leurs associés.
La république de Venise et ses co-associés.
Le roi de Naples.

Le roi de Sardaigne.

Plusieurs souverains moins considérables, tels que la république de Gênes, les ducs de Modène et de Parme, et d'autres, étant omis dans cette liste, seront joints aux moins puissans, par forme d'association, et auront avec eux un droit de suffrage, semblable au votum curiatum des comtes de l'empire. Il est inutile de rendre ici cette énumération plus précise, parce que, jusqu'à l'exécution du projet, il peut survenir d'un moment à l'autre des accidens sur lesquels il la faudroit réformer, mais qui ne changeroient rien au fond du système.

Il ne faut que jeter les yeux sur cette liste pour voir avec la dernière évidence qu'il n'est pas possible ni qu'aucune des puissances qui la composent soit en état de résister à toutes les autres unies en corps,

ni qu'il s'y forme aucune ligue partielle capable de faire tête à la grande confédération.

Car comment se feroit cette ligue? seroit-ce entre les plus puissans? Nous avons montré qu'elle ne sauroit être durable; et il est bien aisé maintenant de voir encore qu'elle est incompatible avec le système particulier de chaque grande puissance, et avec les intérêts inséparables de sa constitution. Seroit-ce entre un grand état et plusieurs petits? mais les autres grands états, unis à la confédération, auront bientôt écrasé la ligue : et l'on doit sentir que la grande alliance étant toujours unie et armée, il lui sera facile, en vertu du quatrième article, de prévenir et d'étouffer d'abord toute alliance partielle et séditieuse qui tendroit à troubler la paix et l'ordre public. Qu'on voie ce qui se passe dans le corps germanique, malgré les abus de sa police et l'extrême inégalité de ses membres y en a-t-il un seul, même parmi les plus puissans, qui osât s'exposer au ban de l'empire en blessant ouvertement sa constitution, à moins qu'il ne crût avoir de bonnes raisons de ne point craindre que l'empire voulût agir contre lui tout de bon?

:

Ainsi je tiens pour démontré que la diète européenne une fois établie n'aura jamais de rebellion à craindre, et que, bien qu'il s'y puisse introduire quelques abus, ils ne peuvent jamais aller jusqu'à éluder l'objet de l'institution. Reste à voir si cet objet sera bien rempli par l'institution même.

Pour cela, considérons les motifs qui mettent aux princes les armes à la main. Ces motifs sont, ou de faire des conquêtes, ou de se défendre d'un conquérant, ou d'affoiblir un trop puissant voisin, ou de soutenir ses droits attaqués, ou de vider un différend qu'on n'a pu terminer à l'amiable, ou enfin de remplir les engagemens d'un traité. Il n'y a ni cause ni prétexte de guerre qu'on ne puisse ranger sous quelqu'un de ces six chefs: or il est évident qu'aucun des six ne peut exister dans ce nouvel état de choses.

Premièrement, il faut renoncer aux conquêtes, par l'impossibilité d'en faire, attendu qu'on est sûr d'être arrêté dans son chemin par de plus grandes forces que celles qu'on peut avoir; de sorte qu'en risquant de tout perdre on est dans l'impuissance de rien gagner. Un prince ambitieux, qui veut s'agrandir en Europe, fait deux choses: il commence par se fortifier de bonnes alliances, puis il tâche de prendre son ennemi au dépourvu. Mais les alliances particulières ne serviroient de rien contre une alliance plus forte, et toujours subsistante; et nul prince n'ayant plus aucun prétexte d'armer, il ne sauroit le faire sans être aperçu, prévenu et puni par la confédération toujours armée.

La même raison qui ôte à chaque prince tout espoir de conquêtes lui ôte en même temps toute crainte d'être attaqué; et, non-seulement ses états, garantis par toute l'Europe, lui sont aussi assurés

qu'aux citoyens leurs possessions dans un pays bien policé, mais plus que s'il étoit leur unique et propre défenseur, dans le même rapport que l'Europe entière est plus forte que lui seul.

On n'a plus de raison de vouloir affoiblir un voisin dont on n'a plus rien à craindre; et l'on n'en est pas même tenté, quand on n'a nul espoir de

réussir.

A l'égard du soutien de ses droits, il faut d'abord remarquer qu'une infinité de chicanes et de prétentions obscures et embrouillées seront toutes anéanties par le troisième article de la confédération, qui règle définitivement tous les droits réciproques des souverains alliés sur leur actuelle possession: ainsi toutes les demandes et prétentions possibles deviendront claires à l'avenir, et seront jugées dans la diète, à mesure qu'elles pourront naître. Ajoutez que si l'on attaque mes droits, je les dois soutenir par la même voie or, on ne peut les attaquer par les armes, sans encourir le ban de la diète; ce n'est donc pas non plus par les armes que j'ai besoin de les défendre. On doit dire la même chose des injures, des torts, des réparations, et de tous les différends imprévus qui peuvent s'élever entre deux souverains; et le même pouvoir qui doit défendre leurs droits doit aussi redresser leurs griefs.

Quant au dernier article, la solution saute aux yeux. On voit d'abord que, n'ayant plus d'agresseur à craindre, on n'a plus besoin de traité défensif, et

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