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réunion d'environ cent trente mille hommes. Dès l'aube du jour fixé, cette grande armée fédérale était en bataille sur les boulevards, formée par départements et par districts, chaque département portant sa bannière. Les bataillons de chaque département étaient classés en légion départementale, et placés dans la ligne de son ordre alphabétique; en sorte que le département de l'Ain était à la droite, près de la Madeleine, et le département de l'Yonne à la gauche, sur la place de la Bastille; l'armée de ligne était au centre. Tous ces députés, le sabre à la main, se mirenten marche au signal donné, et au milieu des acclamations générales, en se dirigeant sur le Champ-de-Mars. L'Assemblée nationale constituante, réunie dans le jardin des Tuileries, sortit par le Pont-Tournant, et s'interposa au milieu de la colonne, sur la place Louis XV. Un pont temporaire, construit sur l'emplacement actuel du pont d'Iéna, servit au passage de cette imposante armée, qui se déploya dans le Champ-de-Mars, pendant que l'assemblée se rendait sur les gradins qui avaient été érigés devant l'École militaire, et où le roi s'était rendu de son côté. Assis sur son trône, au centre de cette solennelle réunion, il avait à sa droite le président (marquis de Bonnay), pour lequel un fauteuil de moindre dimension avait été préparé, mais qui se tint respectueusement debout pendant toute la cé

rémonie.

« Un balcon, élevé derrière le roi, portait la reine et la cour. Les ministres étaient à quelque distance du roi, et les députés rangés des deux côtés. Quatre cent mille

spectateurs chargeaient les amphithéâtres latéraux ; soixante mille fédérés armés faisaient leurs évolutions dans le champ intermédiaire; et au centre s'élevait, sur une base de vingt-cinq pieds, le magnifique autel de la Patrie. Trois cents prêtres, revêtus d'aubes blanches et d'écharpes tricolores, en couvraient les marches, et devaient servir la messe.

«Enfin la cérémonie commence; le ciel, par un hasard heureux, se découvre et éclaire de son éclat cette scène solennelle. L'évêque d'Autun commence la messe; les chœurs accompagnent la voix du pontife; le canon y mêle ses bruits solennels. Le saint sacrifice achevé, Lafayette descend de cheval, monte les marches du trône, et vient recevoir les ordres du roi, qui lui confie la formule du serment. Lafayette la porte à l'autel, et, dans ce moment, toutes les bannières s'agitent, tous les sabres étincellent. Le général, l'armée, le président, les députés crient: Je le jure! Le roi debout, la main étendue vers l'autel, dit : « Moi, roi des Français, je jure d'employer le «pouvoir que m'a délégué l'acte constitutionnel de l'État à « maintenir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale « et acceptée par moi1.»

1 Histoire de la révolution française, par M. Thiers, t. I, p. 241 et 248.

DLXXIX.

LA GARDE NATIONALE DE PARIS PART POUR L'ARMÉE. SEPTEMBRE 1792.

LÉON COGNIET. 1837.

La révolution de 1789 avait répandu l'alarme dans toutes les cours de l'Europe. Elles s'étaient flattées d'abord que la cour de France trouverait dans ses propres ressources les moyens de la comprimer et d'en détruire les résultats; mais plus ces tentatives se renouvelaient, plus elles recevaient d'échecs, et à mesure que l'impuissance de la cour et son impéritie devenaient chaque jour plus évidentes à tous les yeux, l'irritation de la nation devenait d'autant plus forte et le danger de la chute du trône d'autant plus imminent. Malheureusement, au lieu de voir le remède à cet état de choses dans un acquiescement sincère aux vœux de la nation, au lieu de chercher à obtenir d'elle cet attachement et ce concours auxquels, dans tous les siècles, le trône de France avait dû sa stabilité, la cour, toujours aveugle, ne connaissait de salut pour elle que dans la coopération des puissances étrangères, et ce n'était plus que dans leurs armées qu'on se flattait de trouver les moyens de force que l'armée française ne donnait plus pour comprimer le vœu national et maintenir le système de gouvernement que ce vœu repoussait. Mais aussi on se croyait certain du succès si l'on parvenait à déterminer les cours de l'Europe à faire marcher leurs armées pour opérer en

France ce qu'on appelait alors la contre-révolution. On s'efforça donc de persuader aux puissances que leur existence serait compromise, si elles ne prenaient pas ce parti. Tout fut mis en œuvre pour les y entraîner, et on en vint à bout. D'une part, les progrès rapides et effrayants que l'esprit révolutionnaire faisait en France; de l'autre, ces nombreuses fuites ou désertions de la plupart des propriétaires fonciers et des officiers (alors presque tous nobles) de l'armée française, qu'on a pompeusement appelées l'émigration, répandaient partout les illusions et les déceptions qui fascinaient leurs yeux. Ils partaient dans la confiance que l'armée française, privée de l'avantage d'être commandée par eux, serait hors d'état d'opposer aucune résistance à l'invasion des armées étrangères, et que leur retour, à leur suite, ne serait qu'une marche triomphante sur Paris, ou plutôt une simple promenade militaire.

Cependant, bien loin d'intimider, cette jactance et ces menaces ralliaient tous les Français autour du drapeau de la patrie, et produisaient, pour la défense de l'indépendance nationale, cette énergie et cet élan général dont le résultat a été aussi glorieux pour la France que fatal aux malheureux qui s'étaient laissé égarer par les forfanteries de l'émigration. Aussi, dès que la fuite de Varennes, en 1791, eut confirmé les soupçons de la nation sur les projets concertés entre la cour et les puissances étrangères, la France mit sur pied quatre-vingtonze mille hommes de volontaires nationaux, en addition à ses troupes de ligne. La formation des rassemble

ments d'émigrés armés à Coblentz, en Belgique et sur le Rhin; la protection qui leur était accordée, la connaissance des traités conclus et du concert arrêté entre la plupart des souverains de l'Europe, ne permettaient plus de douter que les puissances étrangères ne fussent résolues à attaquer la France aussitôt que leurs armées seraient prêtes à entrer en campagne.

L'inquiétude et la colère que ces préparatifs excitaient en France provoquaient de toutes parts la demande de mesures de rigueur contre les émigrés et ceux qu'on soupçonnait ou qu'on accusait d'être de leur parti, et celle d'une déclaration de guerre aux puissances, afin que les armées françaises pussent prendre l'initiative et devancer l'attaque qui se préparait contre la France.

En effet, dès le 20 avril 1792, Louis XVI, entraîné par le ministère du général Dumouriez, s'était rendu à l'Assemblée nationale législative, et, aux termes de la constitution de 1791, alors en vigueur, il y avait proposé le décret qui autorisait la déclaration de guerre au roi de Hongrie et de Bohême, c'est-à-dire à l'Autriche; et ce décret avait été rendu immédiatement. Néanmoins toutes les mesures qui devaient suivre ce grand acte furent partiellement et même souvent complétement annulées. La mauvaise volonté de la cour, et d'autres influences non moins actives, paralysèrent tout ce que le ministère s'était flatté d'entreprendre. Une résistance tacite, mais invincible, empêchait que les armées françaises ne fussent réunies en grandes masses. A peine avait-on rassemblé sur la frontière du Nord quelques faibles corps de

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