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testant de son incompétence en matière d'impôt. C'est alors que, par un mouvement unanime et spontané, s'était réveillé dans les esprits le souvenir des anciens états généraux du royaume, que près de deux siècles de désuétude semblaient avoir effacé. Mais dans ce retour à l'une des institutions fondamentales de la monarchie, les vœux de la nation française allaient au delà d'une réforme financière; le besoin d'une réforme politique se faisait impérieusement sentir, et les cahiers remis, selon l'ancienne coutume, aux députés par leurs bailliages, témoignaient de la mission que la France leur avait donnée de mettre un terme aux abus sous lesquels elle gémissait depuis tant de siècles.

Cependant M. Necker venait de succéder au cardinal de Brienne dans l'administration des finances. Sa popularité était grande alors: il avait suffi de sa présence pour relever le crédit public, et le doublement des députés du tiers état, accordé à l'impatience du vœu national, était attribué à son heureuse influence dans les conseils du roi. Ce fut donc avec un sentiment de joie universelle que la France, confiante et inexpérimentée comme on l'est aux premiers jours des révolutions, vit arriver le moment où allait s'ouvrir une assemblée qu'elle croyait appelée à réaliser toutes ses espérances de liberté et de bonheur.

L'ouverture des états généraux avait été fixée au 5 mai 1789; conformément au cérémonial en usage, elle fut précédée d'une solennité religieuse, qui eut lieu la veille.

III.

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Les députés ayant été invités à assister le 4 mai, en habit de cérémonie, à la procession générale du SaintSacrement, ils se rendirent de bonne heure dans l'église Notre-Dame, paroisse du château de Versailles. Le roi sortit à dix heures pour se rendre à cette église. Ses carrosses, ceux de la reine, des princes ses frères, des autres princes et princesses du sang, etc. etc. tout le cortége enfin et la pompe qui entourent les rois de France dans les grandes cérémonies se montrèrent à celle-ci. Un peuple nombreux répandu dans les rues, les croisées garnies de spectateurs, et le beau temps, concoururent à la magnificence de ce spectacle. Sa majesté avait dans son carrosse Monsieur (comte de Provence), M. le comte d'Artois, M. le duc d'Angoulême, M. le duc de Berri et M. le duc de Chartres 1; la reine et les autres princesses venaient à la suite de sa majesté. Après une courte prière à Notre-Dame, la procession commença à se former; il était alors onze heures. Elle était ouverte par les récollets, seul corps de religieux qui fùt à Versailles; venait ensuite le clergé des deux paroisses de Versailles; puis venaient tous les députés des trois ordres composant les états généraux. Ils marchaient sur deux files, chacun d'eux portant un cierge à la main. L'ordre de préséance étant renversé, suivant l'usage des processions où les rangs inférieurs précèdent

1 M. le duc de Chartres occupait dans la voiture du roi la place de M. le duc d'Orléans, son père, qui, nommé aux états généraux par la noblesse du bailliage de Crépy en Valois, marchait dans la procession à son rang de député.

les rangs supérieurs, les députés du tiers état se trouvaient les premiers, dans le costume de leur ordre. On remarquait parmi eux un laboureur breton (M. Gérard), qui avait conservé le costume des paysans de sa province, et qui n'en a jamais porté d'autre pendant toute la durée de son mandat. Les députés de la noblesse suivaient ceux du tiers état, et ceux du clergé fermaient la marche. Les évêques étaient placés immédiatement avant le dais du Saint-Sacrement, porté par M. l'archevêque de Paris (Leclerc de Juigné); M. l'archevêque de Rouen (le cardinal de la Rochefoucauld), à grand'chape de cardinal, avait la place d'honneur. Le dais était porté par les grands officiers et les gentilshommes d'honneur des princes frères du roi, qui se relevaient successivement. Les cordons du dais étaient tenus par Monsieur, M. le comte d'Artois, M. le duc d'Angoulême, M. le duc de Berri. Le roi, placé au centre des files qui suivaient, marchait immédiatement derrière le dais, entouré des grands officiers de sa maison. La reine était à la tête de la file de gauche, composée des princesses et des dames de leurs maisons, chacune à son rang respectif. La file de droite était composée des princes et des ducs et pairs. M. le duc de Chartres marchait à la tête de cette file, comme l'aîné des princes qui s'y trouvaient; il était suivi de M. le prince de Condé, M. le duc de Bourbon, M. le duc d'Enghien et M. le prince de Conti. Les ducs et pairs venaient ensuite.

DLXXVI.

OUVERTURE DES ÉTATS GÉNÉRAUX A VERSAILLES.

5 MAI 1789.

COUDER. -1839.

On avait disposé la salle des Menus-Plaisirs, à Versailles, pour la cérémonie des états généraux. « Cette salle, rapporte le Moniteur1, de cent vingt pieds de longueur, et de cinquante-sept de largeur en dedans des colonnes, est soutenue sur des colonnes cannelées d'ordre l'entaionique, sans piédestaux, à la manière grecque; blement est enrichi d'ogives, et au-dessus s'élève un plafond percé en ovale dans le milieu. Le jour principal vient par cet ovale, et est adouci par une espèce de tente en taffetas blanc. Dans les deux extrémités de la salle on a ménagé deux jours pareils, qui suivent la direction de l'entablement et la courbe du plafond. Dans les bas côtés on a disposé, pour les spectateurs, des gradins, et, à une certaine hauteur des murs, des travées ornées de balustrades.

«La partie de la salle destinée à former l'estrade pour le roi et pour la cour est surmontée d'un magnifique dais, dont les retroussis sont attachés aux colonnes, et tout le derrière du trône forme une vaste enceinte, tapissée de velours semé de fleurs de lis.

« Le trône était placé sous le grand baldaquin; au côté gauche du trône était un fauteuil pour la reine, et en1 Ier vol. P. 235.

suite des tabourets pour les princesses. A droite il y avait des pliants pour les princes; auprès du marchepied du trône, une chaise à bras pour le grand chambellan. Au bas de l'estrade était adossé un banc pour les secrétaires d'état, et devant eux une longue table couverte d'un tapis de velours violet, semé de fleurs de lis.

«Les banquettes à la droite étaient destinées aux quinze conseillers d'état et aux vingt maîtres des requêtes invités à la séance; les banquettes de la gauche ont été occupées par les gouverneurs et lieutenants généraux des provinces.

<< Dans la longueur de la salle, à droite, étaient d'autres banquettes pour les députés du clergé; à gauche il y en avait pour la noblesse; et dans le fond, en face du trône, étaient celles destinées aux communes. Tous les planchers de la salle et de l'estrade étaient recouverts de magnifiques tapis de la Savonnerie. >>

L'ouverture des états généraux eut lieu le 5 mai 1789; ils se composaient de onze cent quatre-vingt-trois députés, savoir: deux cent quatre-vingt-onze du clergé, deux cent soixante et dix de la noblesse, et six cent vingtdeux du tiers état.

«Vers une heure les hérauts d'armes annoncèrent l'arrivée du roi. Aussitôt tous les députés se lèvent, et des cris de joie retentissent de toutes parts.

Bientôt le roi paraît; les applaudissements les plus vifs se font entendre, accompagnés des cris de vive le roi! Sa majesté monte sur son trône. On remarque que ses regards se promènent avec un air de satisfaction sur

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