DLIX. SIÉGE D'YORK-TOWN. COMBAT NAVAL DEVANT LA GUDIN. la Depuis trois ans que la France s'était engagée dans guerre de l'indépendance américaine, rien de décisif encore ne s'était passé sur terre ni sur mer. Le général Rochambeau, débarqué à New-Port, dans l'état de RhodeIsland (juillet 1780), à la tête de six mille Français, attendait, avant d'agir, les renforts que devait lui amener le comte de Guichen. Washington, retranché dans son camp de West-Point, épiait l'occasion de se joindre au général français; mais sir Henry Clinton, de son quartier général de New-York, l'observait, prêt à suivre tous ses mouvements. Pendant ce temps la guerre se faisait avec acharnement dans les provinces du Sud. Lord Cornwallis, qui y commandait les troupes anglaises, avait d'abord marché de succès en succès; mais bientôt les Américains lui opposèrent Greene, un de leurs capitaines les plus habiles et les plus résolus. Les journées de Cowpens, de Guildford-House, de Eutaw-Springs, firent reculer de proche en proche l'armée anglaise, qui, dépossédée presque entièrement de la Georgie et des deux Carolines, concentra toutes ses forces dans la Virginie. C'est là devaient se porter enfin des coups décisifs. que Sir H. Clinton avait donné l'ordre à lord Cornwallis, en attendant qu'il lui envoyât des secours, de fortifier un des ports de la Virginie, qui pût lui servir de place d'armes dans le Sud, et celui-ci avait choisi York-Town, ville située à la pointe de la péninsule formée par les rivières d'York et de James. M. de Lafayette, à la tête d'un corps de Français et de milices américaines, arriva le premier devant cette place: le comte de Rochambeau et Washington ne tardèrent pas à l'y rejoindre. Mais, avant de se mettre en marche, Rochambeau avait eu soin de réclamer l'assistance de la flotte française des Antilles : il fit connaître sa position au comte de Grasse, en lui demandant de conduire en Amérique toutes les troupes dont il pourrait disposer. L'amiral français s'empressa de déférer à la demande qui lui était adressée. Il sut cacher sa marche à la flotte anglaise, et il parut le 28 août devant le cap Henri, en dehors de la baie de Chesapeak, le même jour que le contre-amiral Samuel Hood arrivait des îles du Vent avec quatorze vaisseaux de ligne. Deux jours après il jeta l'ancre devant Linn-Haven. Ayant pris position à l'entrée des rivières James et d'York pour en former le blocus, il donna connaissance de son arrivée aux généraux des armées combinées, et fit débarquer à James-Town trois mille cinq cents hommes de troupes, qu'il avait embarqués au cap. Ces troupes rejoignirent bientôt, de l'autre côté de la rivière, un corps d'Américains qui interceptait les communications de l'armée anglaise entre la Virginie et la Caroline du Nord. (( : << Pendant que le comte de Grasse attendait à son mouillage les nouvelles de la marche du généralissime américain et le retour de ses embarcations, sa frégate de découverte lui signala vingt-sept voiles dans l'est, dirigeant leur route sur la baie les vents soufflaient alors du nord-est. A l'instant l'amiral rappela ses bâtiments à rames, qui faisaient aiguade, et ordonna de se préparer au combat, en se tenant prêt à appareiller. A midi, la marée lui permettant de mettre sous voiles, il fit signal de couper les câbles et de former, en appareillant, une ligne de vitesse. Ces ordres furent exécutés avec tant de célérité que, nonobstant l'absence de quinze cents hommes et quatre-vingt-dix officiers employés au débarquement des troupes dans la rivière James, l'armée navale française fut sous voiles en moins de trois quarts d'heure, et sa ligne formée dans l'ordre suivant : Avant-garde, de Bougainville, commandant, sur l'Auguste, de quatre-vingts canons. « Au corps de bataille, le comte de Grasse, sur la Ville de Paris, de cent quatre canons. (( L'arrière-garde, sous les ordres du chevalier de Monteil, embarqué sur le Languedoc, de quatre-vingts canons. « L'armée anglaise avait l'avantage du vent; elle marchait dans l'ordre de bataille inverse : « Le contre-amiral Drake, sur la Princesse, de soixante et dix canons, marchait à l'arrière-garde. « L'amiral Graves était au corps de bataille, sur le London, de quatre-vingt-dix-huit canons. (( « L'avant-garde était commandée par le vice-ami ral Samuel Hood, sur le Barfleur, de quatre-vingt-dix canons. « L'action s'engagea par un feu très-vif et dans l'ordre inverse entre les avant-gardes des deux armées, et à la portée de la mousqueterie entre leurs vaisseaux de tête. Quelques vaisseaux des deux corps de bataille prirent aussi part à ce combat, mais à une grande distance; l'arrière-garde anglaise, en tenant constamment le vent, évita l'attaque de celle des Français, qui faisait tous ses efforts pour l'approcher, ainsi que le corps de bataille anglais. Le combat dura jusqu'à six heures et demie du soir, et ce fut en vain que les Français cherchèrent, pendant quatre jours, à le rengager. Les vents variables et les temps orageux, qui ne cessèrent de les contrarier, finirent par leur faire perdre de vue l'armée anglaise; alors, dans la crainte qu'à la faveur de quelque variation de vent, elle ne le devançât dans la baie de Chesapeak, l'amiral français revint y mouiller. En y rentrant il s'empara des frégates anglaises l'Iris et le Richmond, qui avaient été envoyées par l'amiral Graves pour couper les bouées des vaisseaux français au mouillage de Linn-Haven. <«<Les vaisseaux anglais le Shrewsbury, le Montagu, l'Ajax, l'Intrépide et le Terrible, furent considérablement endommagés dans leurs corps et dans leurs mâtures, et le 11 septembre l'amiral Graves fut obligé de faire mettre le feu à ce dernier vaisseau, parce qu'il ne pouvait plus résister à la lame 1. >> 1 Annales maritimes et coloniales, par M. Bajot, t. II, p. 401-403. DLX. SIÉGE D'YORK-TOWN. - 6 OCTOBRE 1781. ― INVESTISSEMENT DE LA PLACE. «Cependant l'armée française, si longtemps bloquée à Rhode-Island, en sort le 1er septembre. Clinton, persuadé qu'elle marche sur New-York, pour en faire le siége conjointement avec Washington, se renferme dans la place, où il se fortifie. Le comte de Rochambeau, par une marche habile, quitte la route de New-York et se porte vers Philadelphie, où il arrive le 2 octobre. Cette armée comptait au nombre de ses principaux officiers MM. de Vioménil, de Custine, de Lauzun, de Dillon, de Chastellux, Berthier, Dumas, de Damas, de Lameth et de Rochambeau, fils du général. On y voyait plusieurs étrangers, et entre autres le comte des Deux-Ponts. L'armée défila devant le président du congrès, auquel elle rendit de grands honneurs militaires. «Après s'être concertée avec le comte de Grasse, dont la flotte interceptait le passage de la baie de Chesapeak et de l'embouchure du James, elle s'unit à l'armée de Washington. Les Américains et les Français marchèrent de suite à Williamsbourg, où ils arrivèrent le 4 octobre: ils y trouvèrent MM. de Chastellux, de Lafayette et de Saint-Simon, et toutes les forces des |