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commandait en maître, lorsque le comte de Guichen arriva à la Martinique le 23 mars 1780, et réunit aussitôt sous ses ordres toutes les forces navales qui se trouvaient dans ces parages. Les escadres détachées, commandées par le chevalier de Lamotte-Piquet, le comte de Grasse, le comte de Vaudreuil, s'étaient jointes à lui. Le marquis de Bouillé était sur la flotte à la tête des troupes de débarquement. Des deux côtés on cherchait à reprendre les colonies qui avaient pu être enlevées dans la précédente campagne. Le comte de Guichen voulut tenter une attaque sur l'île de Sainte-Lucie, et le 16 avril il débouchait par le canal de la Dominique pour remonter au vent de la Martinique, «<lorsqu'il eut connaissance de l'armée anglaise. Alors il signala l'ordre de bataille, ainsi que les manœuvres propres à lui procurer l'avantage du vent et à le rapprocher de l'ennemi. « Il parut d'abord que l'amiral Rodney, sous le commandement duquel la Grande-Bretagne avait mis toutes ses forces navales aux Antilles, ne voulait qu'observer les Français; mais le comte de Guichen, le voyant se poster, à huit heures du soir, sur son arrière-garde, fit aussitôt revirer son armée vent devant, et prendre les mêmes amures que les vaisseaux anglais, qui tinrent alors le vent et mirent au bord opposé 1. »

L'amiral Rodney, qui avait fait sa jonction avec les amiraux Rowley, Walsingham et Hyde-Parker, se rendit dans la rade de Saint-Pierre, et ferma l'accès de l'île au comte de Guichen.

1 Annales maritimes et coloniales, par M. Bajot, t. II, p. 373.

Les armées navales étaient en présence dans l'ordre suivant.

Flotte anglaise: à l'avant-garde, sept vaisseaux de haut bord; le vice-amiral Hyde-Parker, commandant, sur la Princesse Royale, de quatre-vingt-dix canons; au corps de bataille, sept vaisseaux; l'amiral Rodney, généralissime, sur le Sandwich, de quatre-vingt-dix canons; à l'arrièregarde, six vaisseaux, dont quatre de soixante et quatorze, un de soixante-quatre et un de soixante.

La flotte française était rangée dans l'ordre inverse: A l'arrière-garde, sept vaisseaux de haut bord; le comte de Grasse, commandant, sur le Robuste, de soixante et quatorze canons; au corps de bataille, sept vaisseaux de haut bord; le comte de Guichen, général en chef, sur la Couronne, de quatre-vingts canons; et à l'avantgarde, huit vaisseaux de haut bord; le chevalier de Sade, commandant, sur le Triomphant, de quatre-vingts canons.

«En forçant de voiles depuis onze heures du matin, l'armée française avait d'autant plus étendu sa ligne que les vaisseaux qui composaient l'avant-garde étaient moins bons voiliers. La lacune qui s'était nécessairement faite entre cette escadre et le corps de bataille, devint encore plus grande par la dérive de l'Actionnaire, qui, quoique forçant de voiles, tomba sous le vent de la ligne. Ce fut cet instant que l'amiral Rodney saisit pour tenter de couper l'arrière-garde; mais l'audace du Destin, vaisseau français, à tenir le Sandwich par son travers, et à le combattre obstinément à demi-portée de fusil, et les manœuvres que faisait le corps de bataille

français pour exécuter le signal de virer lof pour lof tout à la fois, rompirent toutes ses mesures et le contraignirent de reprendre ses amures. Dans cette position, ne pouvant plus combattre l'avant-garde, qui était tombée sous le vent, parce qu'elle avait été fort dégréée, l'amiral anglais fit voile pour attaquer le corps de bataille français; mais à quatre heures du soir, voyant la mâture de son vaisseau endommagée, et la ligne française se reformer, il amura sa grande voile, retint le vent, et le fit serrer à toute son armée : cette dernière manœuvre mit fin au combat.

<< Entre autres vaisseaux anglais, le Sandwich, qui avait été combattu successivement par les vaisseaux français le Vengeur, le Destin et le Palmier, fut si maltraité, que peu s'en fallut qu'il ne coulât. Le Sphinx et l'Artésien soutinrent pendant plus d'une heure, et avec fermeté, le feu supérieur des plus gros vaisseaux de l'avant-garde anglaise, parmi lesquels se trouvait la Princesse Royale, jusqu'à ce que le Robuste, après avoir viré de bord, fût venu à leur secours et les eût dégagés 1. »

1 Annales maritimes et coloniales, par M. Bajot, t. II,

Р 376.

DLVII.

COMBAT NAVAL DE LA PRAYA. 16 AVRIL 1781.

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La Hollande, qui était parvenue à rester neutre pendant les trois premières années de la guerre, avait été entraînée, en 1781, dans l'alliance française. Le gouvernement anglais mit alors une escadre sous les ordres du commodore Johnstone, pour aller attaquer la colonie du cap de Bonne-Espérance, avec mission de se rallier ensuite dans l'Inde à la flotte de l'amiral Hughes, et d'y détruire les établissements hollandais. A cette terrible menace, les États-Généraux avaient réclamé l'appui de

la France.

« A la demande des Hollandais, le gouvernement français expédia, sous les ordres du bailli de Suffren, une petite flotte pour porter des troupes et des munitions de guerre au cap de Bonne-Espérance, qui était menacé par les Anglais.

«M. de Suffren approchait de la baie de la Praya, dans l'île de Sant-lago, où il se proposait de faire de l'eau, lorsque l'Artésien, qui marchait en avant, découvrit à l'entrée de la rade un bâtiment avec pavillon anglais, et revira sur son commandant avec signal de voiles ennemies 1. >>

1 Annales maritimes et coloniales, par M. Bajot, t. II, p. 391.

Le bailli de Suffren reconnut l'escadre anglaise. Voyant qu'il avait été prévenu, il prit aussitôt le parti de l'attaquer. « Le vaisseau le Héron, qu'il montait, alla mouiller sur la bouée de l'ennemi, et fut suivi par l'Annibal, commandé par M. de Tremignon l'aîné, capitaine de vaisseau. L'Artésien, commandé par M. de Cardaillac, vint ensuite et manqua le mouillage; mais il aborda deux bâtiments de la compagnie, dont il se rendit maître. Le Sphinx et le Vengeur, aux ordres du comte de Forbin et du vicomte du Chilleau, ne purent tenir sur leurs ancres, et se battirent sous voiles; leur feu eut moins d'effet, et les cinq vaisseaux anglais profitèrent de leur éloignement pour diriger le leur sur le Héron et sur l'Annibal. Ce dernier en fut tellement écrasé, qu'il perdit tous ses mâts, et fut obligé de couper son câble pour gagner le large. Le Héron fut bientôt obligé d'en faire autant, et fut suivi par les autres vaisseaux qu'il avait sous ses ordres. Le commodore Johnstone fit signal à son escadre d'appareiller et de poursuivre les vaisseaux français; mais elle était trop maltraitée pour pouvoir les atteindre, et fut obligée de regagner la rade de la Praya.

« Le parti courageux que prit le bailli de Suffren dans cette circonstance lui procura l'avantage inappréciable d'arriver dans l'Inde avant les Anglais, dont le départ avait précédé le sien, et c'est à juste titre qu'on doit lui attribuer tout l'honneur de cette journée 1. »

1 Relations des guerres maritimes de 1778, par le contre-amiral Kerguelen, p. 177.

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