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mauvaise foi qu'il n'aura pas tenu à lui que la France ne reste isolée au milieu de l'Europe, entourée d'ennemis, dépourvue de toute alliance, et comme une victime dévouée aux suprêmes volontés d'un congrès de despotes secrètement unis avec les intrigans qui ont déjà fait tant de mal à la France! Voilà le crime de M. Montmorin je pense que ce ne sera pas celui de son successeur; il importe cependant de lui rappeler que la nation a les yeux sur lui.

>> La France, forte de sa population, de son courage, de sa liberté, pourrait sans doute rester sans alliés; mais il est du devoir du cabinet des Tuileries de lui en donner, et pour réussir il suffirait de le tenter. L'Autriche oserait-elle nous trahir si Louis XVI lui faisait seulement craindre de se rapprocher de la Prusse? Ah! si Frédéric vivait ce philosophe-roi aurait bien trouvé dans la révolution française de quoi consolider pour toujours la balance politique du nord!

» Notre alliance ne peut qu'être recherchée des autres nations, parce que les engagemens que contracte un peuple libre sont toujours sacrés, et les troupes qu'il fournit à ses amis toujours invincibles! S'il se pouvait que les Français ne trouvassent aujourd'hui point d'alliés, ce serait une preuve que tous les rois ne négocient que pour l'intérêt de leur despotisme, et non pour l'utilité des peuples mais alors n'y aurait-il aucun moyen pour que les nations communicassent entre elles? Est-il bien vrai qu'il leur faille absolument des interprètes ministériels qui ne se parlent qu'en secret? Est-il bien vrai qu'un langage national ne serait entendu dans aucune contrée ? L'Anglais serait un peuple digne de l'entendre. Si une fois ce langaget s'établissait les nations ne voudraient plus en parler d'autre, et il en résulterait de grands changemens sur la scène du monde; car je pense que c'est de cet entretien direct des peuples que dépend le bonheur de la terre et la réalisation du songe consolant de l'abbé de Saint-Pierre.

» Mais, messieurs, je ne viens point engager l'Assemblée nationale à négocier elle-même des alliances avec les puissances étrangères; je sais que l'acte constitutionnel délégue ce soin au pouvoir exécutif : j'aime à croire que dans la circonstance actuelle cette disposition de notre charte n'offre aucun danger ;

mais quand même elle en offrirait il faut nous soumettre à la loi; nous devons respecter chaque article de la Constitution, même lorsqu'il en résulte des inconvéniens, comme on doit respecter la volonté divine, même lorsqu'elle frappe.

» Je me borne donc à demander que la nation s'informe si le pouvoir exécutif s'occupe à remplir ses devoirs sur le grand objet des alliances, et je fais la motion que l'Assemblée appelle dans le jour le ministre des affaires étrangères, et que le président lui adresse ces paroles, sauf meilleure rédaction :

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Monsieur, l'Assemblée nationale me charge de vous demander si dans ce moment, où la nation prend les armes défendre sa liberté contre tous ses ennemis, pour elle peut compter sur ses anciennes alliances, ou à leur défaut si vous vous occupez d'en former de nouvelles. Nous avons trop de confiance dans les sentimens du roi pour douter que, plus sensible à l'intérêt national qu'aux liens du sang, il ne vous ait autorisé à négocier avec toutes les cours étrangères de la manière la plus utile au peuple français, et celui-ci, attentif sur votre conduite, saura justement l'apprécier.

» Ces seuls mots, messieurs, prononcés par le corps législatif au nom de la nation, rappelleront au ministre ses devoirs et sa responsabilité, donneront à penser à l'empereur ainsi qu'à la race des Bourbons qui régne sur l'Espagne, et préviendront s'il est possible l'embrasement d'une guerre universelle. » (Applaudissemens.)

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M. Lacretelle (immédiatement après M. Isnard). « Ily a longtemps que tous les vrais amis du bien public, je veux dire tous les membres de cette Assemblée, désiraient le discours patriotique que nous venons d'entendre j'en demande l'impression. Mais, messieurs, j'y ai vu une grande idée qui n'a point amené de résultat. A l'époque où nous sommes on parle de composition sur la Constitution; on a des craintes à ce sujet! Hé bien, il faut repousser cette idée par une grande cérémonie, par une de ces cérémonies nationales qui sont un des puissans ressorts de la Constitution et de la liberté! Messieurs, il est un lieu où la Constitution a été solennellement jurée avant que d'être faite; c'est au jeu de paume de Ver

sailles! Il faut que l'Assemblée nationale s'y transporte un jour... (Plusieurs voix: L'ordre du jour.) Que l'Assemblée nationale y fasse le serment de maintenir la liberté et l'égalité... » (L'ordre du jour.) ..

L'orateur s'étonne que des murmures l'interrompent lorsqu'il parle du berceau de la liberté française; il demande à présenter un projet de décret sur l'idée qu'il vient d'émettre : l'ordre du jour est encore réclamé; il quitte la tribune. M. Reboul vote l'impression du discours de M. Isnard « en signe d'adoption des excellens principes qu'il renferme. » L'impression est décrétée. Mais mon discours contient une motion, s'écrie M. Isnard; je prie l'Assemblée, si elle ne veut pas y faire droit, de la renvoyer au comité diplomatique. Le renvoi est accordé au discours de M. Isnard.

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SITUATION DES FRONTIÈRES ET DE L'ARMÉE.

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« Je partirai dans peu de jours, d'après les ordres du roi, pour m'assurer moi-même de l'état des frontières et de l'armée. (Voyez plus haut, page 271.) Le ministre de la guerre avait effectué cette promesse : de retour à Paris, il se rendit à l'Assemblée pour lui faire connaître le résultat de ses observations. RAPPORT du ministre de la guerre, M. Louis Narbonne. (Séance du 11 janvier 1792.)

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Messieurs, avant de vous parler des résultats de mon voyage sur l'état des frontières et des dispositions de l'armée, j'ai besoin de rendre en présence des représentans de la nation un témoignage éclatant au courage et au patriotisme des garnisons que j'ai visitées, et cette manière de commencer le compte que je vous dois déjoue déjà bien des espérances.

» J'ai été obligé de voyager rapidement; mais l'empressement qu'ont mis tous les chefs militaires à me donner les éclaircissemens dont j'avais besoin a suppléé à l'indispensable célérité de mon voyage. J'ai dû me concerter avec les élus du peuple dans tout ce qui exigeait sa confiance: les corps administratifs m'ont secondé avec une bienveillance dont je ne peux être trop reconnaissant, et j'ai pu remarquer que le ministre du

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roi de la Constitution trouvait dans les agens du pouvoir exécutif les mêmes égards et plus de zèle que dans le temps où la faveur obtenait ce qu'aujourd'hui l'intérêt public commande. J'ai trouvé de grands secours aussi dans mes compagnons de voyage M. d'Arçon, un des plus habiles officiers du génie, et dont vous reconnaîtrez sans peine le travail dans les observations sur l'état des places frontières que je vais vous soumettre; M. d'Arblay, officier d'artillerie, qui, déjà connu dans ce corps d'une manière avantageuse, s'est distingué depuis par les services qu'il a rendus dans la révolution; M. Desmottes, aidede-camp et ami de M. de Lafayette, près de qui il est resté à Metz; M. Dedelay d'Agier, dont l'Assemblée constituante a connu et estimé le mérite, et M. Mathieu de Montmorency, qu'il était heureux pour moi de montrer aux officiers de l'armée quand sa présence servait de réponse à tous les préjugés. J'avais donné ordre à M. de Tolozan, dont l'intégrité est connue de se rendre à Metz et à Strasbourg pour nous éclairer de son expérience dans la partie des vivres.

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» Il m'était ordonné de restreindre l'objet de ma tournée pour la rendre plus utile les affaires du département qui m'est confié ne me permettaient point de m'en éloigner longtemps le but que je m'étais proposé, et que je crois avoir atteint, était de m'assurer des dispositions des troupes.

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» Le roi m'avait permis, m'avait ordonné d'employer son nom de toutes les manières que je croirais le plus utiles : j'ai ajouté au respect que l'armée doit à l'Assemblée nationale et au roi en protestant de la réunion de leurs intentions et de leurs desseins.

» Je vais soumettre à l'Assemblée tous les détails qui importent à la connaissance de l'exacte situation de nos forces, et je garantirai l'authenticité de ceux que je n'ai pu observer moimême. Il serait aussi téméraire qu'inutile de vouloir faire sur les fortifications du royaume un travail différent de celui que Vauban et après lui les plus grands ingénieurs ont consacré.

>> Les fortifications des places dont j'ai pu juger par moimême, ainsi que celles dont j'ai recueilli et comparé les états de situation, présentent généralement des dispositions satisfaisantes. Il m'a été précieux de n'avoir sur cette partie inté

ressante de nos forces qu'à applaudir aux mesures qui ont été prises, et presque toujours à confirmer celles qui n'étaient que projetées et dont le roi m'avait expressément ordonné de presser l'exécution : j'ai trouvé à cet égard de très grands secours dans le résultat des comptes rendus au mois d'octobre dernier par les commissaires-inspecteurs de l'artillerie et du génie nommés en vertu des décrets de l'Assemblée constituante. Ma confiance a dû se raffermir encore lorsqu'à mon retour j'ai reconnu que la plupart de ces vues étaient confirmées dans l'excellent rapport qui vient de vous être présenté par votre comité militaire sur l'état des frontières du royaume. (1)

» Je me bornerai donc aux considérations relatives aux points capitaux qui, par leurs rapports avec les positions des armées, peuvent influer le plus puissamment dans lá balance de nos forces.

La place de Lille, par exemple, nous a montré de plus grandes ressources que l'opinion ne lui en attribue communément : c'est avec des monumens de ce genre que nous pourrons adopter la maxime que les bons secrets en matière militaire sont ceux dont on peut faire confidence à ses ennemis. Nous ne craindrons donc pas de dire que, malgré l'état de perfection et d'achèvement complet des ouvrages de cette place, il existe cependant une partie faible, et il le faut bien lorsqu'on en vient à les apprécier comparativement; mais cette partie faible ( qu'un attaquant pourrait bien ne pas saisir) est encore bien forte par l'obligation de faire quatre opérations majeures et successives avant de parvenir au terme définitif de tous les siéges. La citadelle, qui n'est véritablement attaquable que du côté de la ville, servirait ensuite de retraite, non pour capituler, mais pour donner le temps de recouvrer tous les avantages que la nature des choses aurait fait perdre dans les attaques de la place. Cette observation doit écarter toute espèce d'ombrage sur les citadelles, que quelques-uns prétendent menacer la liberté des citoyens : j'en appelle à cet égard à la révolution; il n'est pas une citadelle, pas un seul

(1) Ce rapport, fait le 27 décembre 1791 par M. Crublier-Opterre, offrait le tableau graphique des ouvrages faits, commencés ou restant à exécuter dans les places de guerre de première et de seconde classe.

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