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Hébert s'occupa beaucoup des élections. Quoique son journal soit du commencement de 1791, nous ayons jusqu'à cette heure évité d'en parler, parce que nous voulions attendre que la notoriété lui fût acquise. Ses lettres sont d'abord adressées à l'armée. La dix-septième fait la motion expresse que tous les Français indistinctement se tutoient. On voit qu'il était en progrès sur les clubs de Loches et de Lyon, lesquels demandaient seulement, à peu près à la même époque, l'abrogation du protocole. La vingtseptième prend pour épigraphe : Castigat bibendo mores. Hébert est un enfant perdu de l'école fondée par les romans philosophiques de Voltaire. Son genre est une exagération du Compère Mathieu, comme ce livre en était une de Candide. A part le cynisme des jurons, son originalité à lui, le Père Duchêne a écrit des pages qui ne le cèdent en esprit et en gaîté à aucune de celles que les matérialistes admirent le plus dans le patron des incrédules. Le diable, l'inquisition, les prêtres, sont le texte habituel de ses plaisanteries. En politique, malgré le fracas de ses mots contre les aristocrates, on le voit suivre avec beaucoup de souplesse le parti dominant. Ainsi, il est partisan de la Fayette et de la garde nationale: il fait des tirades pour Louis XVI et pour son ministre Duportail. Après la fuite à Varennes, il crie beaucoup contre Cochon Durosoy, Mallet du Pan, Royou, etc.; mais il penche visiblement pour les Feuillans. Ce qui va donner à nos lecteurs une idée de cet homme, c'est sa conduite au 17 juillet. Il signa la pétition du Champ-de-Mars, puisque son nom s'y trouve en toutes lettres (HÉBERT, écrivain, rue de Mirabeau); il fut même arrêté à cette occasion, mais relâché presque immédiatement. Eh bien! quelques jours après, dans ses lettres CXVIII et CXIX, il chante les louanges de la Fayette, de la garde nationale, et pousse son impudente palinodie jusqu'à parler de Dieu, lui qui la veille prêchait ouvertement l'athéisme. Tremblez, dit-il à ceux qui ont tué l'invalide et le perruquier, et qui ont lancé des pierres à la garde nationale, tremblez, infâmes! si vous échappez aux bourreaux armés par les lois pour frapper les coupables, un Dieu vengeur, un Dieu vous attend! Mais y croyez-vous, tigres sauvages, plus carnassiers que ceux des bois? Ailleurs il s'écrie:

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J'entends encore des enragés dire du général qu'on a manqué d'un coup de fusil et qui s'expose à tout: Mais qu'allait-il faire là? Eh! b.... d'imbécille, qu'y allais-tu faire toi-même? On serait un dieu, qu'on entendrait encore autour de soi ce cri infernal: A la lanterne ! Eh bien! démons, vivez donc sans frein, sans loi, comme les Sauvages, et mangez-vous comme eux. Hébert déclame contre Marat. Les journaux dont il transcrit volontiers des extraits sont : la Chronique de Paris, le Patriote français, les Annales patriotiques, et même la Gazette universelle de Cerisier, feuillant très-prononcé. A l'apparition du Chant du coq, Hébert, encore sous le coup de sa terreur du drapeau rouge, fit l'éloge de ce placard. Le Coq fut long-temps pour lui un bel oiseau, un joli oiseau, ayant bon bec, bons et solides ergots, haute et claire voix; il ne lui fit une demi-opposition qu'au sujet de Brissot. Il adressa un grand nombre d'articles aux électeurs. Ses candidats étaient Manuel, Condorcet, Mercier, Charles Villette, < cet ami de Voltaire, qui nous l'a ramené; de Voltaire qui, le formant à son école, en fit un homme éclairé et sensible. › Hébert était ami de Tallien; il lui donna souvent ce titre, notamment dans sa cent quarante-et-unième lettre, où il annonce le nouveau journal de son ami Tallien (l'Ami des citoyens). Le Père Duchêne parle encore fort peu des Cordeliers et des Jacobins; il n'en est pas de même des sociétés fraternelles: Hébert nous apprend que les aristocrates désignaient par le mot sans-culottes les membres de ces sociétés, ce qui établit l'origine et l'usage d'une expression plus tard si fameuse, et déja usitée en 1791.

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Nous nous sommes un peu arrêtés sur ce révolutionnaire afin de montrer à nos lecteurs ses principes, ses accointances, les débuts enfin du rôle que nous lui verrons accomplir. Quant à son journal, nous pouvons à peine y puiser une citation honnête : les extraits précédens sont une montre qu'il fallait bien donner une fois. Nous n'en ferons de nouveaux que dans les cas de nécessité historique.

Le Journal de Paris publie chaque jour, aussi exactement que le Moniteur, le bulletin électoral; mais il ne se permet aucune

réflexion. Fréron, qui était électeur, nous peint ainsi l'assemblée électorale: « Qu'elle va être bien composée cette seconde législature! Il faut voir comme les intrigans sé remuent, s'agitent et se contorsionnent à l'assemblée électorale! L'honnête homme n'y peut pas ouvrir la bouche; c'est la cabale la plus infernale que j'aie jamais vue de ma vie. Tu me nommeras, je te nommerai, se disent-ils l'un à l'autre; et les coquins les plus connus pour l'être sont déjà sûrs d'écarter nos plus zélés défenseurs. Il faudrait un Danton pour démasquer et faire trembler les traîtres. Suit un pompeux éloge de Danton. Fréron réfute ce qu'on reprochait de vive voix et dans les groupes à son héros; car la presse du temps ne renferme aucun des griefs semblables à ceux que nous trou vons ainsi discutés par l'Orateur du peuple: Une modeste aisance est ordinairement le scandale des sots. L'acquisition de quelques biens nationaux et autres, montant à la somme de 70 à 80 mille liv., faite avec le secours de M. Charpentier, son beaupère, et payée par moitié entre eux, donne occasion à une fourmilière de propos auxquels les circonstances ont donné des ailes. A entendre les frondeurs, les routes de la fortune étaient aplanies sous ses pas; c'était soi-disant un homme soudoyé par un parti, un fabricateur de faux assignats, etc., etc., etc. Que n'ont-ils pas inventé! » (L'Orateur du peuple, t. 7, n° XLIV.)

Le Babillard du 5 octobre annonce que M. Danton, indigné contre les électeurs de Paris, est parti pour Arcis-sur-Aube. Avant de quitter la capitale, il a dù pousser un cri de douleur sur son ingratitude, et déplorer, en grand homme outragé, l'injustice aveugle de ses concitoyens. Le même journal nous donne sur les divisions et les luttes électorales, que le Père Duchêne a prises pour texte de trois ou quatre sermons, les renseignemens suivans: On sait que les électeurs forment deux clubs, dont l'un tient ses séances à la Sainte-Chapelle, et l'autre à l'archevêché. Dans le premier, on porte à la législature des négocians, des artistes, des gens de lettres, des hommes de loi; dans le second, on propose des intrigans, des agioteurs, des hommes éhontés, bas flatteurs du despotisme sous l'ancien régime, déma

gogues absurdes sous le nouveau. Les électeurs de l'archevêché appellent leurs confrères, des ministériels, des monarchistes, des aristocrates, des impartiaux; ceux de la Sainte-Chapelle sortent des bornes de la modération : ils appellent leurs adversaires des BRISSOTS. (Babillard du 26 septembre.)

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Nous ne quitterons pas ce journal sans mentionner les nombreuses sorties qu'il faisait contre Robespierre. Comme il renferme ce qui a été dit de plus grave jusqu'à ce moment contre ce député, nous allons produire ces accusations.

Le 15 juillet, au plus fort des agitations qui précédèrent la pétition du Champ-de-Mars, au moment où le mot étranger faisait tant de bruit dans la bouche des Feuillans et dans les arrêtés du corps municipal, Robespierre, Pétion, Buzot, Antoine et Brissot furent désignés par le Babillard comme membres de la faction étrangère. Nos lecteurs n'ont pas oublié le personnel de cette faction, à savoir: le juif Ephraïm, OEta Palm de Hollande, Rotondo l'italien, et Vinchaux, le libraire de Hambourg. D'après le Babillard, les chefs invisibles de la faction étrangère étaient deux personnages anglais, dont l'un prenait le nom de milord d'Arck, l'autre, celui de chevalier d'Arck. Ils logeaient à l'hôtel Vauban, rue de Richelieu, où ils donnaient aux députés que nous nommons plus haut des dîners mystérieux. Dans son numéro du 19 juillet, le Babillard revient ainsi sur la faction étrangère : ‹ On dit qu'il existe à Paris des agens du ministère anglais, qui, jaloux des avantages que la France doit retirer de sa nouvelle constitution, n'épargnent rien pour la renverser. On dit que MM. Robespierre, Pétion, Buzot, Prieur, Antoine et Rewbell sont vendus à cette cabale secrète, et dînent souvent avec des Anglais. On dit que M. Brissot de Warville, qui veut détruire des soupçons malheureusement trop fondés, est un vil factieux, dont le camarade intime, l'ancien compagnon d'iafamie, est secrétaire d'un M. Pitt (Clarkson, cité par Morande, supplément au numéro XXIV de l'Argus. Brissot dit dans sa réplique que le moment n'est pas venu pour lui de s'expliquer sur cet ami de cœur. Ses Mémoires n'en font aucune mention.) - On dit que les

membres de cette odieuse cabale se sont emparés des sociétés fraternelles, où des orateurs soudoyés excitent à la révolte un peuple ardent et facile. On dit que des journalistes effrénés et M. Carra, vendent leur plume à cette faction détestée, et prêchent la république avec autant d'impudence que d'absurdité. — On dit.... Eh! que ne dit-on pas encore! Mais nous ne recueillons ici que ce que l'on dit dans les groupes, dans les cafés, dans les maisons particulières, à la tribune même de l'assemblée nationale, et nous ne le publions qu'afin qu'on puisse le vérifier ou le démentir. >

Voilà ce qu'il y a de mieux prouvé sur la prétendue faction étrangère en général, et sur la complicité de Robespierre en particulier. Des systèmes explicatifs de la révolution française ayant été bâtis sur cette fable (celui de M. Dulaure, par exemple), nous ne négligerons aucun des détails qui ont pu autoriser une semblable opinion. Le grand crime de Robespierre aux yeux du Babillard, numéro du 26 juillet, c'était d'avoir été demandé pour roi par la nation souveraine, assemblée au Champ-de-Mars le 17 juillet. Ce même journal, qui se bornait à l'égard de Robespierre à de vagues inculpations politiques, attaque avec plus de précision certains autres révolutionnaires. Nous avons vu ce qu'il disait de Brissot à ses diatribes contre Condorcet, il mêle toujours quelques détails positifs. Ainsi, dans son numéro du 15 juillet, il s'étonne que le républicain Condorcet ait consenti à recevoir du roi une place de vingt mille livres de rente, celle de commissaire à la trésorerie, au moment même où il enseigne qu'il ne faut plus de rois. Dans son numéro du 28, il cite un portrait nouveau de ce philosophe, au bas duquel on lisait :

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