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tion du roi, dans laquelle ce prince explique les motifs du veto dont il a frappé le décret contre les émigrans. Il y est continuellement en contradiction avec lui-même, puisqu'après avoir avoué l'inutilité des voies de douceur qu'il a employées jusqu'ici, il s'oppose à des mesures de rigueur que l'opiniâtreté des émigrés justifie. Au reste, il dit que le décret qu'il refuse de sanctionner renferme plusieurs articles rigoureux qui lui ont paru contrarier le but que la loi devait se proposer, et que réclamait l'intérêt du peuple, et ne pouvoir pas compâtir avec les mœurs de la nation et les principes d'une constitution libre. Ce langage ne nous étonne pas dans la bouche du roi: il ne nous a pas étonné dans les feuilles ministérielles et aristocratiques qui ont voulu préparer les esprits au veto. Mais nous sommes surpris de le retrouver dans la Chronique; nous sommes surpris d'entendre les auteurs de cette feuille, jusqu'ici patriote, traiter d'injuste et de barbare le décret contre les émigrés. « Quelle justice, s'écrient-ils, de punir de mort ceux qui ne seront pas rentrés dans deux mois; ceux que la peur, l'habitude et le goût de la tranquillité ont portés à fuir, ou que la maladie retient, et qui n'ont point trempé dans les complots contre nous! - Cette réflexion est une calomnie contre l'assemblée nationale, et ferait croire qu'elle a prononcé la peine de mort contre tous les émigrés, sans distinction, qui ne seraient pas rentrés dans deux mois. Or, rien n'est plus faux; cette peine n'est prononcée que contre les princes français et les autres fonctionnaires publics, et il n'est ni injuste, ni barbare de punir ainsi les traîtres et les déserteurs.

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› Le roi a fait aussi publier la lettre qu'il a écrite à ses frères, le 16 octobre, et à laquelle ils n'ont pas eu égard, et deux autres lettres, datées du 11 novembre, auxquelles il sait bien qu'ils n'en auront pas davantage, d'autant plus que son veto les enhardit par l'espoir de l'impunité. Il faut le dire: en refusant de sanctionner le décret contre les émigrans, le roi sanctionne leurs criminels projets. » (Le Patriote français du 15 novembre.)

-‹ Déjà la tranquillité publique renaissait, déjà la confiance remplaçait l'inquiétude, le commerce se ranimait, la circulation

devenait plus facile, l'espoir rentrait dans tous les cœurs, on applaudissait de tous les points de l'empire au décret de l'assemblée nationale sur les émigrés, et voilà que, par son refus de sanction, Louis XVI nous replonge dans notre premier état.

› Oui, les maux de la France étaient près de leur terme, si une main perfide n'eût empêché l'effet politiquement nécessaire du décret de l'assemblée nationale sur les émigrés; car, de deux choses l'une: ou ils seraient rentrés en conséquence du décret, ou non. S'ils étaient rentrés, notre proposition est évidemment vraie; le peuple, bon et facile, était disposé à les recevoir à bras ouverts; cet acte de repentir lui eût fait oublier leur égarement: de là l'union générale, la confiance, la circulation, la vie rendue aux arts, au commerce et à l'agriculture.

» Que si les émigrés n'étaient pas rentrés pour la fin de décembre, au moins nous les connaissions à fond; nous n'avions plus à les ménager; c'était, pour la France, des enfans dénaturés que la mère commune n'avait pu ramener à son giron; la patrie les maudissait, elle leur retirait les biens qu'elle leur a donnés, tous leurs revenus étaient mis en séquestre, nous cessions de leur fournir des armes pour nous combattre, ils se trouvaient abandonnés à eux-mêmes. Tout ce qu'ils eussent pu faire, c'eût été de décider les tyrans étrangers à venir à leur secours, de former enfin cette ligue formidable dont on entend parler depuis si long-temps, d'attaquer la France d'une manière combinée, de tenter simultanément leur invasion, et de nous livrer combat... Mais c'est là que nous les attendons!

Voilà donc l'alternative que nous présentait le décret de l'assemblée nationale! S'il eût été exécuté, les citoyens devenaient frères, ou les ennemis des fugitifs. Frères, ils eussent partagé la félicité commune; ennemis, nous les exterminions. Mais Louis XVI ne veut pas l'union des citoyens : il faut qu'il divise pour régner. Non-seulement il voit avec une joie intérieure des brigands armés aux portes de la France, et qui menacent d'y entrer la flamme à la main; mais il veut encore que le trésor sa

larie ces mêmes brigands; il veut qu'ils arrachent à la patrie le peu d'or qui lui reste.

› Voilà les émigrés libres et maîtres de rentrer ou de ne pas rentrer! Que feront-ils? S'ils ne rentrent pas, s'ils se tiennent rassemblés, la nation entière est encore livrée aux inquiétudes et à la détresse; les ordonnateurs et payeurs du trésor public font encore passer des millions outre-Rhin; les chefs de cette armée, tous riches propriétaires, soutirent encore des millions à la France; et la liste civile qui viendra encore à leur secours!

› Que s'ils rentrent après l'apparition du veto, nous n'en serons ni plus heureux, ni plus tranquilles. Ce ne seront pas des frères repentans qui se seront soumis à la loi; ce seront des ennemis hautains qui viendront insulter à la nation. Un fugitif, rentré d'après l'invitation du roi, dira hautement qu'il ne se serait pas mis en peine des décrets d'une assemblée qu'il ne reconnaît pas; qu'il n'est revenu qu'à la prière de son souverain, de son maître; et de là une lutte perpétuelle entre les sujets de l'État et les fidèles sujets du roi. On voit donc que Louis XVI, en apposant son veto sur le décret des émigrans, a nécessairement tari la source des biens qu'il pouvait produire; car, encore bien qu'ils rentrassent après cet acte de la prérogative royale, leur rentrée même ne pourra plus être envisagée que comme une infraction à la volonté nationale et une insulte à la nation.

› Mais, dit-on, le roi en apposant son veto, a fait un acte de liberté; il a fermé la bouche, il a ôté tout prétexte aux puissances étrangères, et la France ne peut que s'en applaudir. Vils esclaves! un homme qui, passant à côté de moi dans la rue, me tire un coup de pistolet, prouve aussi qu'il est libre. Dois-je aimer cette liberté? ne vaudrait-il pas mieux pour moi qu'il eût eu les bras liés? Appelle-t-on liberté la faculté de nuire? S'il en est ainsi, que fait à une nation la liberté de son roi? Les rois sont-ils institués pour eux? et les nations qui les souffrent, ne les souffrent-elles pas pour elles, et parce qu'on leur a dit qu'elles y trouveraient un avantage? Le veto ne laisse plus de prétexte aux puissances étrangères.... Montmorin en disait autant à l'as

semblée nationale. Le peuple aurait-il pris les erremens de cet ex-ministre? Laissons aux puissances étrangères penser ce qu'elles voudront et de Louis XVI et de nous; que nous importent leurs opinions? Tant que nous réglerons nos destinées sur le thermomètre des cours, nous ne serons jamais que des esclaves.

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› Le roi n'a eu, n'a pu avoir que des intentions perfides en refusant sa sanction. Depuis long-temps il épie le moment d'user de ce droit fatal. La proclamation contre l'aîné de ses frères lui offrait un prétexte heureux; il allait y apposer son veto, quand l'assemblée nationale rendit le décret contre les émigrans. Cette nouvelle marche a fait changer de batteries: on a sanctionné la proclamation pour n'avoir pas l'air obstiné. Cette proclamation n'est rien au fond; c'est le décret qui est tout, et c'est pour le décret que l'on a réservé toute la force du veto. Remarquez l'adresse de la cour: c'est à l'instant même qu'elle a annoncé la sanction de la proclamation, que le roi a écrit qu'il examinerait la loi sur les émigrans. On a voulu donner cette sanction illusoire comme un correctif au veto, afin de ne pas trop indisposer l'opinion publique.

Outre le but évident du refus de sanction, qui est ou d'empêcher la rentrée des émigrés, ou, s'ils rentrent, de les dispenser de la soumission aux décrets de l'assemblée nationale, la cour avait encore un but caché : celui de tàter le peuple, afin de voir comment il prendrait cet acte d'autorité absolue, et le préparer à de plus grands coups. Elle se croit aujourd'hui sûre de son fait, et l'on verra que dorénavant elle ne sera pas modeste dans sa marche. Si les émigrés ne rentrent pas, ils feront une attaque; s'ils font une attaque, l'assemblée nationale sera obligée de décréter que deux ou trois cent mille gardes nationales de plus se porteront aux frontières; et si l'assemblée nationale rend ce décret, le roi y apposera encore son veto. Nous apercevons distinctement qu'avant peu de mois la nation française se trouvera nécessairement placée entre la nécessité de se laisser égorger, d'une part, et celle de désobéir, de l'autre; c'est-à-dire entre la servi

tude et l'insurrection. Voilà les avantages du veto, et de ce qu'on nomme monarchie tempérée.

> Notre intention n'a jamais été d'inspirer du découragement; nous sommes si convaincus qu'une grande nation ne peut manquer de ressources dans l'occurence la plus difficile, que toutes les menaces et les manœuvres réunies des despotes ne nous ébranleront pas, tant que nous apercevrons du caractère et de l'énergie dans les citoyens; mais ce caractère et cette énergie même ont besoin d'être guidés. Pour réussir, il ne suffit pas d'être prêt à tout faire, il faut savoir ce qui est à faire; et pour savoir ce qui est à faire, il faut bien connaître son monde, et surtout l'ennemi que l'on a à combattre. Celui que généralement on regarde comme le plus dangereux dans ce moment-ci, c'est le roi : cependant, comme nos ennemis cherchent encore à le rendre intéressant, il est essentiel de le montrer tel qu'il est, et de le faire juger d'après sa propre conduite.

» Il est vrai que, constitutionnellement parlant, le roi des Français a le droit de veto sur toutes les opérations du corps-législatif; mais de ce qu'il a le droit de veto, s'ensuit-il qu'il a bien fait d'apposer son veto sur un décret commandé par les circonstances, provoqué par l'opinion publique, et nécessaire au rétablissement de la tranquillité générale? Non. Si le roi avait eu les sentimens qu'on a eu la stupidité de lui supposer, il lui eût suffi que la voix du peuple eût prononcé, pour rejeter avec indignation toute idée du veto. Les législateurs qui ont accordé au roi cette prérogative funeste, ne l'ont eux-mêmes envisagée que comme un appel fait au peuple, et il n'y avait pas lieu d'appeller au peuple, quand la voix du peuple avait précédé le décret.

Nous allons juger les intentions de Louis XVI dans sa proclamation relative au veto; mais avant tout, sachons s'il avait le droit de la faire.

La loi de l'assemblée nationale constituante qui permet au roi de faire des proclamations, porte expressément que ces proclamations seront conformes aux lois, et pour faire exécuter les lois. Or, la proclamation sur le veto a les deux caractères op

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