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placer dans des bouches affamées de notre sang ; que nos ennemis promettront tout et ne tiendront rien; qu'ils ne reconnaissent d'autres divinités que l'intérêt et l'orgueil; qu'ils jureront d'une main et aiguiseront leurs épées de l'autre.

Ainsi, Messieurs, je conclus à cette question préalable, et je demande l'adoption des articles du projet de décret de M. Vergniaud, et en outre, Messieurs, qu'il soit dit dès aujourd'hui que nous n'enverrons plus l'or de la nation aux fonctionnaires publics qui ont quitté leurs postes, non plus qu'aux princes français ; et si vous ne vous croyez pas assez înstruits des faits qui se passent au dehors pour prononcer dès à présent qu'il y a lieu à accusation contre eux, je demande au moins que vous renvoyiez à quelque comité, afin de recueillir toutes les pièces et renseignemens qui peuvent mettre l'assemblée nationale à même de porter cette accusation. Voilà ce que la France demande de nous. (Applaudissemens prolongés.)

M. Girardin. Il est résulté de la discussion sur les émigrans de grandes et salutaires vérités : tous les orateurs out rendu hommage au droit imprescriptible que tout homme tient de la nature, d'aller où bon lui semble, d'aller chercher le bonheur partout où il espère le rencontrer; tous sont convenus qu'une loi contre les émigrations serait souverainement injuste, et tous ont cherché de concert à préserver le corps social des coups qui sont dirigés contre lui. C'est sans doute avoir reconnu que ces précautions existent dans le projet de M. Condorcet, que de lui avoir accordé la priorité. Je me propose cependant de prouver que les mesures qu'il contient sont d'une exécution lente et difficile, qu'elles sont inutiles sous plusieurs rapports, et dangereuses sous beaucoup

d'autres.

Par quel moyen peut-on contraindre des Français résidant en pays étranger à la prestation d'un serment quelconque? La puissance nationale a-t-elle d'autres limites que celles de l'empire français? Un citoyen peut-il être soumis à une loi dont il n'a pas connaissance? Comment pouvez-vous la lui faire notifier? Avezvous des ministres, des consuls, des envoyés partout où il y'a ̧

des Français émigrés? Tous ceux qui, n'ayant pas de propriétés en France, refuseront de prendre l'engagement demandé, ou ceux qui le violeront, n'échapperont-ils pas à votre loi? Quel sera le délai fixé pour chaque distance? Voyez combien de difficultés et d'obstacles, quelle lenteur énorme dans l'exécution de votre loi!

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Lors même que, M. Condorcet aurait répondu à toutes ces questions, il n'aurait pas pour cela démontré que ses mesures ne sont pas inutiles. En effet, les Français absens du royaume se divisent en deux classes: les uns voyagent pour leur plaisir ou pour leurs affaires ; il en est d'autres aussi qui ont quitté leur patrie à l'époque des troubles, qui, loin des convulsions d'un grand peuple dirigé vers la liberté, ont cru devoir attendre que ces convulsions fussent passées et que la liberté fût établie : ces Français n'attendent que le signal de la tranquillité publique; ils n'attendent que le moment où le despotisme de la loi aura fait disparaître l'anarchie pour rentrer dans leur patrie: ces Français se soumettront sans doute à l'engagement que M. Condorcet propose; mais les Français émigrés qui conspirent contre leur patrie ne se soumettront-ils pas eux-mêmes à cet engagement? Ainsi, vous n'aurez pas un ami de plus et pas un ennemi de moins.

L'expérience vient à l'appui de cette observation. Tous les Français émigrés s'étaient liés à la constitution par le serment civique ; à l'époque même du 13 juin, lorsque l'assemblée constituante décréta un serment militaire, vous avez vu les chefs du parti aristocratique répandre des écrits, inonder les corps de leurs lettres, et conseiller aux officiers le parjure comme un moyen d'assurer le succès d'une contre-révolution. A une époque bien plus fameuse encore, celle du 21 juin, époque qu'il me suffit de citer pour réfuter M. Condorcet, et pour prouver que tout serment, que tout engagement est un moyen illusoire, vous avez vu des députés à l'assemblée nationale se précipiter à la tribune pour prêter le serment de ne porter les armes que pour leur patrie, et ces mêmes députés trahir peu de temps après la nation,

et n'attendre que la suppression de la loi des passeports pour se réunir aux rebelles.

Laissez donc les sermens aux charlatans, aux sectaires, aux faux prophètes, et que la tranquillité nationale ne repose jamais sur une pareille garantie! Le serment est inutile pour l'honnête homme, et il re lie pas les scélérats. (Applaudissemens.) Sous ce rapport, l'engagement proposé serait donc inutile : je vais démontrer qu'il serait dangereux.

Ce serment ou cette déclaration exigée de chaque Français émigré serait une véritable patente de conspirateur; les émigrans pourraient librement, en pays étranger, conspirer contre la patrie. L'assemblée nationale a certainement le droit de rappeler les fonctionnaires publics hors du royaume: cependant, en exigeant d'eux un pareil engagement, ils pourraient rester dans les pays étrangers. L'assemblée nationale a non seulement le droit, mais c'est un devoir pour elle que d'attaquer les chefs des rebelles; et cependant les chefs mêmes des rebelles, en souscrivant cet engagement, seraient parfaitement tranquilles.

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Le décret proposé par M: Condorcet est donc d'une exécution lente et difficile; il est complétement inutile; enfin il est dange reux, puisqu'il ne vous permet plus de distinguer vos amis de ceux qui veulent trahir la patrie. Je demande en conséquence la question préalable sur ce projet, et, si elle est admise, je demande que la discussion s'ouvre sur celui de M. Vergniaud.

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M. Condorcet. Je vais essayer de répondre successivement aux différentes objections qui m'ont été faites.

La première est celle de l'inutilité du serment, ou plutôt de la déclaration que j'ai proposée. Je sais que les honnêtes gens n'ont pas besoin de sermens; je sais que les scélérats les méprisent mais je sais aussi qu'entre les honnêtes gens vraiment fermes dans leurs engagemens, et les scélérats, il y a un nombre infini d'hommes qui manqueraient à leur devoir, et qui ne manqueraient pas à l'engagement qu'ils viennent de prendre. ( Murmures.) Ce n'est pas seulement par une espèce de demi-conscience que l'on respecte un engagement d'honneur ; c'est par intérêt, parce qu'en

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manquant à un engagement on perd toute confiance, et qu'il n'est pas possible de se trouver dans une circonstance où l'on n'ait pas besoin de la confiance d'autrui, La mesure que je propose n'est donc pas inutile.

On a parlé des difficultés que pouvait renfermer l'exécution de la loi que je propose: c'est précisément parce que j'ai cru qu'il fallait commencer par s'assurer invariablement des dispositions des Français émigrés, que j'ai proposé des mesures qui parais sent un peu lentes. (Murmures.)

On m'a parlé des fonctionnaires publics. Il y a très-peu de fonctionnaires publics qu'on puisse regarder comme tels parmi les émigrans. D'abord, les officiers qui ont quitté leurs régimens sans avoir donné leur démission, ne sont plus regardés comme des fonctionnaires publics; on doit pourvoir à leur remplacement: ces mêmes officiers sont l'objet d'un article particulier. Il reste les personnes qui, sans être fonctionnaires publics, sans être placées dans le militaire d'une manière active, ont cependant, d'après les lois militaires, conservé des droits à un remplace, ment, à une promotion dans différens grades. Ceux-là, Messieurs, sont aussi l'objet particulier d'un de mes articles: le ministre dé la guerre, d'après cet article, est chargé de n'admettre dans les remplacemens que ceux qui auraient souscrit l'engagement de reconnaître la constitution, de lui être soumis, et de vouloir rester citoyens français.

On a dit que ma loi n'atteignait pas les chefs, puisqu'ils en seraient quittes pour violer leur engagement. Je réponds que les chefs, s'ils persistent dans leurs projets, ne prendront pas un pareil engagement, parce qu'ils ne pourraient plus, après l'avoir pris, solliciter aucun secours étranger; parce que jamais les chefs d'un parti ne peuvent prendre un engagement au moment où ils veulent le violer, car par cet engagement ils cesseraient d'être chefs : ce qu'un individu peut faire, un chef, qui doit à son parti l'exemple du plus grand zèle, ne le peut pas.

Je n'ai pas voulu désigner nominativement les princes dans la

loi générale, parce qu'il ne faut pas faire soupçonner qu'ils puis sent, comme princes, en être exceptés.

On dit que ces mêmes hommes auxquels on demande une dé claration, car c'est une déclaration que j'ai proposée, et non un serment; que ces mêmes hommes ont déjà prêté des sermens, et qu'ils y ont déjà manqué... Messieurs, lorsqu'on a prêté le serment civique au 4 février 1790, beaucoup de gens qui l'ont prêté n'y ont manqué que parce qu'ils avaient prêté le serment à une constitution qui n'était pas encore faite... (Murmures.) Messieurs, c'en est fait; personne ne convient d'avoir fait un faux serment: ils ont dit qu'ils avaient prêté leur serment de bonne foi, mais qu'on avait ajouté à la constitution: ils ont invoqué contre leur serment une exception que je crois très-mauvaise; mais cette exception ne peut avoir lieu actuellement ; et s'il est vrai qu'on ait pu mettre une différence entre les sermens, le premier serment ne pouvait pas comprendre des articles qui n'existaient pas encore d'une manière positive et précise; c'était un engagement de patriotisme différent d'un serment positif sur un article existant: il ne faut donc pas confondre le serment du 4 février avec le serment solennel et positif qu'on a juré depuis que la constitution est finie: le serment de la maintenir ne donne lieu à aucune exception, à aucun prétexte de le violer,

On demande à aller aux voix.

L'assemblée consultée décide à une très-grande majorité qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur le projet de décret de M. Condorcet, et charge son comité de législation de lui en présenter, sous trois jours, un nouveau.]

La rédaction définitive du décret relatif au premier prince français, fut adoptée en ces termes :

Premier décret.-L'assemblée nationale, considérant que l'héritier présomptif de la couronne est mineur, et que LouisStanislas-Xavier, prince français, parent majeur, premier appelé à la régence, est absent du royaume, en exécution de l'article II de la section III de la constitution française, décrète que Louis-Stanislas-Xavier, prince français, est requis de ren

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