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d'action. Je pense donc, Messieurs, qu'il faut ici une loi expresse, et je soutiens qu'avant cette loi il est impossible d'agir contre un monarque qui aurait rétracté son serment.

Vainement dirait-on que cela se déduit de la nature des choses; quelque évident que soit un délit, il faut le déclarer tel; il faut surtout lui appliquer positivement une peine avant de pouvoir légalement le réprimer. L'assemblée d'ailleurs, en déclarant deux cas d'abdication, le premier lorsque le roi refuse son serment, le second lorsqu'il fuit à l'étranger, et qu'après la sommation du corps-législatif il laisse écouler les délais; l'assemblée, dis-je, a suffisamment par-là manifesté que, quelque naturelle que soit à cet égard une conséquence, elle entendait cependant la déclarer d'une manière positive: et en effet, Messieurs, le roi est un individu privilégié; il est, par sa position, hors de l'état naturel des choses; et si quelque point n'était pas formellement exprimé, il y aurait dès-lors un extrême embarras pour distinguer le cas où cet état naturel des choses lui serait applicable. Il s'ensuit que quelque claire que soit une conséquence par rapport au monarque, il est impossible de lui en faire l'application avant de l'avoir établie en loi.

Ainsi donc, si la loi existait, il n'y aurait pas le moindre doute pour moi. Louis XVI a protesté contre son serment: il serait censé avoir abdiqué; mais cette loi n'existe pas. En concluant, Messieurs, à ce que vous la décrétiez, je dis qu'elle ne peut pas être appliquée au roi.

J'appuie, en conséquence, le projet des comités; et pour que ses principes ne restent pas douteux, je fais la motion expresse que vous décrétiez avant tout les articles suivans:

‹ Art. Ier. Si le roi, après avoir prêté son serment à la constitution, se rétracte, il sera censé avoir abdiqué.

› Art. II. Si le roi se met à la tête d'une armée pour en diriger les forces contre la nation, ou s'il ordonne à ses généraux d'exécuter un tel projet, ou enfin s'il ne s'oppose pas par un acte formel à toute action de cette espèce qui s'exécuterait en son nom, il sera censé avoir abdiqué.

› Art. III. Un roi qui aura abdiqué ou qui sera censé l'avoir fait, redeviendra simple citoyen, et il sera accusable suivant les formes ordinaires pour tous les délits postérieurs à son abdication. »]

Ces articles furent mis aux voix, et décrétés après le discours de Barnave.

Opinion de Barnave. Séance du 15 JUILLET.

[La nation française vient d'essuyer une violente secousse; mais si nous devons en croire tous les augures qui se manifestent, ce dernier événement, comme tous ceux qui l'ont précédé, ne servira qu'à presser le terme, qu'à assurer la solidité de la révolution que nous avons faite. Déjà la nation, en manifestant son unanimité, en constatant l'immensité de ses forces au moment de l'inquiétude et du péril, a prouvé à nos ennemis ce qu'ils auraient à craindre du résultat de leurs attaques. Aujourd'hui, en examinant attentivement la constitution qu'elle s'est donnée, elle va en prendre une connaissance approfondie, qu'elle n'eût peut-être pas acquise de long-temps si les principes de la morale, paraissant en contradiction avec ceux de la politique, si un sentiment profond, contraire dans ce moment à l'intérêt national, n'eût pas obligé l'assemblée à creuser ces grandes et importantes questions, et à démontrer à toute la France ce que savaient déjà par principes ceux qui l'avaient examiné, mais ce que la foule peut-être ne savait pas encore, je veux dire la nature du gouvernement monarchique, quelles sont ses bases, quelle est sa véritable utilité pour la nation à laquelle vous l'avez donné.

La question qui vous est soumise présente évidemment deux aspects différens ; la question de fait, la question de droit ou constitutionnelle. Quant à la question de fait, je me crois dispensé de la discuter par le discours éloquent qu'a prononcé à cette tribune celui des opinans (M. Salles) qui a immédiatement avant moi soutenu la même opinion. Je me plais à rendre justice je ne dirai pas seulement à l'étendue des talens, mais à l'âme vé

ritablement noble et généreuse qu'il a développée dans cette grande circonstance; il a, dis-je, suffisamment examiné le fait. Je vais brièvement examiner la loi; je vais prouver que la constitution veut la conclusion que vos comités proposent; mais je dirai plus, je dirai qu'il est utile dans les circonstances, qu'il est bon pour la révolution que la constitution le commande ainsi. Je ne parlerai point avec étendue de la nature et de l'avantage du gouvernement monarchique; vous l'avez plusieurs fois examiné, et vous avez montré votre conviction en l'établissant dans votre pays. Je dirai seulement : toute constitution, pour être bonne, doit porter sur ces deux principes, doit présenter au peuple ces deux avantages, liberté, stabilité dans le gouvernement qui la lui assure; tout gouvernement, pour rendre le peuple heureux, doit le rendre libre; tout gouvernement, pour être bon, doit renfermer en lui les principes de sa stabilité; car autrement, au lieu du bonheur, il ne présenterait que la perspective d'une suite de changemens. Or, s'il est vrai que ces deux principes n'existent, pour une grande nation comme la nôtre, que dans le gouvernement monarchique; s'il est vrai que la base du gouvernement monarchique et celle de ces deux grands avantages qu'il nous présente sont essentiellement dans l'inviolabilité du pouvoir exécutif, il est vrai de dire que cette maxime est essentielle au bonheur, à la liberté de la France.

Quelques hommes dont je ne veux pas accuser les inten. tions, à qui même, pour le plus grand nombre, je n'en ai jamais cru de malfaisantes, quelques hommes qui peut-être cherchent à faire en politique des romans, parce qu'il est plus facile de travailler ainsi que de contribuer à l'utilité réelle et positive de son pays, cherchant dans un autre hémisphère des exemples à nous donner, ont vu en Amérique un peuple occupant un grand territoire par une population rare, n'étant environné d'aucuns voisins puissans, ayant pour limites des forêts, ayant toutes les habitudes, toute la simplicité, tous les sentimens d'un peuple presque neuf, presque uniquement occupé à la culture ou aux autres travaux immédiats qui rendent les hommes naturels et

purs, et qui les éloignent de ces passions factices qui font les révolutions des gouvernemens; ils ont vu un gouvernement républicain établi sur ce vaste territoire : ils ont conclu de là que le même gouvernement pouvait nous convenir. Ces hommes, dont j'ai déjà annoncé que je n'attaquais pas les intentions, ces hommes sont les mêmes qui contestent aujourd'hui le principe de l'inviolabilité. Or, s'il est vrai que sur notre terre une population immense est répandue; s'il est vrai qu'il s'y trouve une multitude d'hommes exclusivement occupés à ces spéculations de l'esprit qui exercent l'imagination, qui portent à l'ambition et à l'amour de la gloire; s'il est vrai qu'autour de nous des voisins puissans nous obligent à ne faire qu'une seule masse pour leur résister avec avantage; s'il est vrai que toutes ces circonstances sont positives et ne dépendent pas de nous, il est incontestable que le remède n'en peut exister que dans le gouvernement monarchique. Quand le pays est peuplé et étendu, il n'existe, et l'art de la politique n'a trouvé que deux moyens de lui donner une existence solide et permanente: ou bien vous organiserez séparément les parties, vous mettrez dans chaque section une portion de gouvernement, et vous fixerez ainsi la stabilité aux dépens de l'unité, de la puissance et de tous les avantages qui résultent d'une grande et homogène association; ou bien, si vous laissez subsister l'union nationale, vous serez obligés de placer au centre une puissance immuable qui, n'étant jamais renouvelée que par la loi, présentant sans cesse des obstacles à l'ambition, résiste avec avantage aux secousses, aux rivalités, aux vibrations rapides d'une population immense, agitée par toutes les passions qu'enfante une vieille société.

La solidité de ces maximes étant reconnue, décide notre situation. Nous ne pouvons être stables dans notre existence politique que par un gouvernement fédératif, qu'aucun, jusqu'à ce jour, n'a soutenu dans cette assemblée que la division en quatre-vingttrois départemens a été destinée à prévenir, et suffit seule pour rendre absurde, et qu'il est, je pense, inutile de repousser; ou par le gouvernement monarchique que vous avez établi, c'est-à

dire en remettant les rênes du pouvoir exécutif dans une famille, par droit de succession héréditaire.

La liberté trouve son origine dans les mêmes, principes. On vous a hier développé, d'une manière savante et qu'il est utile de mettre sous vos yeux, cette indépendance des deux pouvoirs, qui est la première base du gouvernement représentatif et monarchique. Là, le peuple, qui ne peut lui-même faire ses lois, qui ne peut lui-même exercer ses pouvoirs, les mettant entre les mains de ses représentans, se dépouille ainsi passagèrement de l'exercice de sa souveraineté, et s'oblige de le diviser entre eux; car il ne conserve sa souveraineté qu'en en divisant l'exercice entre ses délégués, et, s'il était possible qu'il la remît tout entière dans un individu ou dans un corps, dès-lors il s'ensuivrait que son pouvoir serait aliéné. Tel est donc le principe du gouvernement représentatif et monarchique; les deux pouvoirs réunis se servent mutuellement de complément, et se servent aussi de limite. Non-seulement il faut que l'un fasse les lois et que l'autre les exécute, celui qui exécute doit avoir un moyen d'opposer son frein à celui qui fait la loi, et celui qui fait la loi doit avoir un moyen de soumettre l'exécution à la responsabilité : c'est ainsi que le roi a le droit de refuser la loi ou de la suspendre, en opposant sa puissance à la rapidité, aux entreprises du corps-législatif; c'est ainsi que le pouvoir législatif, en poursuivant les écarts de la puissance exécutrice contre les agens nommés par le roi, leur fait rendre compte de leur gestion, et prévient les abus qui pourraient naître de leur impunité.

De cette combinaison savante de votre gouvernement, il est résulté une conséquence: ce pouvoir dispensé au roi de limiter le pouvoir législatif devant nécessairement le rendre indépendant, devant par conséquent le rendre inviolable, il a fallu, quand la loi mettait en lui non-seulement la sanction, mais aussi l'exécution, il a fallu en séparer de fait cette dernière partie, parce qu'elle est par sa nature nécessairement soumise à la responsabilité.

Ainsi vous avez laissé au roi inviolable cette exclusive fonc

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