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revenu évalué d'après le prix de leur exploitation. Nous proposons que dans les villes au-dessus de 6,000 âmes, la contribution exigée soit de 40 journées de travail, et dans les villes au-dessous de 6,000 âmes, ainsi que dans les campagnes, de 30 journées de travail. Quant aux fermiers, comme cette cotisation ne les atteindrait pas, nous pensons qu'ils doivent avoir une exploitation de 400 liv. de revenu, évalué en setiers de blé dans les pays de petite culture. Peu de cultivateurs ont, à la vérité, des propriétés aussi considérables; mais beaucoup de fermiers ont en outre des petites propriétés à eux appartenant, ce qui les rend contribuables pour la somme que nous exigeons. Il y a d'ailleurs un intérêt à ce que ces petits fermiers ne puissent pas être électeurs; car un propriétaire de revenu foncier de 20,000 1. peut avoir cinquante à soixante fermiers dans sa dépendance, et la société ne peut pas permettre que dans les élections qui se font pour elle et en son nom, il s'introduise des groupes de trente ou quarante hommes à la dépendance d'un seul.

M. Thouret lit un projet de décret contenant la rédaction des nouvelles dispositions qu'il vient de présenter.

Une partie de l'assemblée demande la question préalable.

M. Grégoire, évêque de Blois. J'aurai, je crois, rempli mon but, si je parviens à établir que l'assemblée ne doit pas transiger avec les décrets qu'elle a rendus, et qu'elle ne doit se permettre d'en réformer aucun. (Il s'élève des murmures et des applaudissemens.) Certainement c'est celui du marc d'argent que j'ai été le premier à combattre avant qu'il fût rendu; mais rappelez-vous vos principes constans, les principes invoqués sans cesse dans nos discussions: c'est que vos décrets ne peuvent être réformés par vous-mêmes, et toutes les fois qu'un opinant s'est permis de dire la moindre chose contre un décret rendu, on n'a pas manqué de le rappeler à l'ordre. Je prie l'assemblée de réfléchir sur l'étonnante contradiction où elle se trouve avec la conduite qu'elle a tenue à l'égard de M. Malouet. M. Malouet voulait parler sur le fond de la constitution, M. Chapelier s'empressa de lui dire qu'il ne s'agissait pas de faire de

nouveaux décrets, mais de classer les décrets rendus, et vous applaudites à cette observation. (On murmure dans le milieu de la salle. Les membres de l'extrémité gauche se lèvent en criant simultanément au silence.)

M, le président. Lorsque M. Thouret était à la tribune, une partie de la salle murmurait; actuellement c'est l'autre partie qui murmure. Je demande à tous les membres de l'assemblée le plus profond silence, et l'impartialité qui convient dans une discussion de cette importance.

M. Grégoire. Si vous revenez contre un décret, il en résulte que vous avez fait jusqu'ici, non pas des décrets, mais des projets de décrets; il en résulte que vous pouvez revenir, non-seulement contre les décrets que vous n'avez pas encore révisés, mais contre ceux que vous avez déjà classés dans l'acte constitutionnel, parce que personne ne s'était permis de proposer jusqu'ici des changemens, dans la persuasion qu'il ne pouvait pas en être proposé. (On applaudit.) Mais qui peut prévoir le terme où s'arrêteraient ces vacillations? Acheyons la constitution, ou faisons-en une nouvelle. Ne supposons pas qu'il se trouve ici des gens qui, au lieu de faire une constitution pour la nation, ne voudraient en faire une que pour eux-mêmes. Toutes les réflexions que pourrait faire M. Thouret s'appliquent à tous les systèmes; et j'observe qu'il n'a pas parlé des pays de vignobles: même dans les nouvelles propositions du comité, il y aura dans ces pays un grand nombre de cantons où on ne pourra trouver d'électeur. Qu'arrivera-t-il? La plupart des citoyens n'iront plus dans les assemblées primaires; ils ne se soucieront pas d'aller assister à des assemblées où ils ne pourront pas être nommés électeurs car ils n'iraient que pour s'y donner des maîtres. (Il s'élève des murmures.) Des dispositions de cette nature ne sont propres qu'à étouffer le caractère national, la vertu et la moralité. Les nominations ne seront l'ouvrage que d'une petite partie de citoyens; les électeurs seront héréditaires, et ces inconvéniens se feront sentir à mesure que le remboursement de la dette nationale fera diminuer les impositions: et on nous parle

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d'aristocratie! n'est-ce pas là la véritable aristocratie? (On applaudit.) Et qu'on ne dise pas que les citoyens peu fortunés seront dédommagés par l'éligibilité à la législature. Les électeurs riches descendront-ils pour faire leur choix parmi les humbles habitans des campagnes? Alors vous verrez une nouvelle noblesse naître : vous aurez des patriciens, et 20 millions de plébéïens sous leur dépendance.

On dit que la condition qu'on propose est le seul moyen d'avoir un bon corps-législatif; mais les communes de France n'ontelles donc pas montré un courage inébranlable? n'ont-elles pas elles seules assuré notre liberté? Et par qui avez-vous été envoyés ici? par ces hommes qui ne payaient pas 40 journées de travail, qui ne s'attendaient pas que vous immoleriez leurs droits. D'ailleurs, puisqu'on n'applique pas ce décret aux élections à la prochaine législature, législature qui doit consolider vos travaux, vous avez donc beaucoup à craindre, et sans doute la chose publique est perdue. Je conclus à la question préalable. (On applaudit.)

M. Chapelier. Ce n'est pas le pouvoir du comité, ce sont vos propres pouvoirs que l'on conteste ici; et permettez-moi de remarquer qu'il est trop étrange que ceux qui ont constamment élevé la voix pour la réformation du décret sur le marc d'argent soient les mêmes que ceux qui en réclament avec tant d'ardeur la conservation, (Plusieurs voix de l'extrémité gauche: Qui, parce que ce que vous nous proposez est plus mauvais.)

Si vous aviez admis le système immédiat de représentation, vous auriez nécessairement exigé, pour tous les membres du corps social, la condition que nous proposons de restreindre à ceux qui sont chargés d'élire; car nous vous proposons, pour la qualité d'électeur, une contribution beaucoup moindre que celle que les Anglais et les Américains exigent pour la qualité de citoyen actif. Tous ceux qui ont voulu raisonner principe ont donc échoué dans cette discussion.

Maintenant examinons le principe dans son application: il n'y aura pas le plus léger inconvénient pour les fermiers; dans le

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système contraire, il y aurait l'inconvénient très-grave d'avoir dans les assemblées électorales des hommes qui, n'ayant pas assez de propriétés ou de richesses industrielles pour rester plusieurs jours sans travailler, demanderaient à être payés ou le seraient par le plus offrant. C'est ainsi que vous avez vu à Paris l'assemblée électorale réduite à deux cents membres; c'est ainsi que dans le département de la Seine-Inférieure, le plus riche du royaume, 160 électeurs sur 700 ont procédé aux élections, et que les élections ayant duré trois jours, il ne s'est trouvé, le troisième jour, que 60 électeurs. Voyez si vos élections ne sont pas, en ce moment, livrées à un petit nombre d'intrigans. Pourquoi ne veut-on pas accueillir le système d'élection que nous vous proposons? c'est parce que l'on craint que cette constitution, si excellente dans ses bases, étant perfectionnée par vous-mêmes dans ses détails, on n'ait pas besoin d'appeler bientôt une nouvelle convention nationale, objet des désirs des intrigans, qui voudraient renverser le gouvernement. (Quelques membres applaudissent.)

Le comité veut évidemment faire le bien de la majorité de la nation, puisque nous ouvrons tous les postes publics à 4 millions de citoyens actifs, tandis que l'avis contraire ne tend qu'à conserver la qualité d'électeurs à soixante ou quatre-vingt mille citoyens.

On demande que la discussion soit fermée. Vernier fait ajourner l'article.

M. Thouret fait lecture du premier article de la troisième section, relative à la nomination des représentans. Goupilleau demande qu'ils soient choisis parmi les éligibles de chaque département. Roederer, Salles, Garat aîné, Malès et Barrère, appuient cette proposition, qui est adoptée malgré les réclamations de Thouret.

Les tribunes applaudissent à plusieurs reprises.

M. Thouret. Il est question maintenant des deux premiers articles de la section troisième. Ces deux articles sont décrétés.

SÉANCE DU 13 AOUT.

[M. Thouret, rapporteur. Les fatigues des deux séances précédentes, à la suite d'un travail très-long et très-pénible, ne me permettent guère de finir la carrière du jour. Je supplie l'assemblée de permettre que lorsque mon impuissance sera constatée, je me fasse remplacer par un de mes collègues.

D'après l'ajournement décrété hier, nous ne pouvons rien statuer sur l'article III ainsi conçu :

Art. III. Tous les citoyens actifs, quel que soit leur état, profession ou contribution, pourront être choisis pour représentans de la nation. »]

-Les articles IV, V, VI et VII sont lus et adoptés. On passe à l'article VIII par lequel l'époque de la réélection est fixée à deux années écoulées depuis le dernier mandat. Saint-Martin demande qu'il y soit ajouté le décret qui exclut du ministère et de toute place à la nomination du pouvoir exécutif, les membres des législatures et du tribunal de cassation, pendant les quatre années qui suivront leur sortie de fonctions. Prieur, Lanjuinais, Guillaume et Roederer appuient cette proposition. Elle est combattue par Thouret, Tracy et Duport. Goupil demande, par amendement, que les membres du corps-législatif ne puissent accepter du gouvernement, pendant la durée de la législature, aucun don, place ou emploi, même en donnant leur démission. Custine et Chabroud votent pour l'exclusion des seuls membres du corps constituant, et présentent des modifications pour les législatures. Sur la proposition de Buzot, décret portant que les membres de l'assemblée actuelle, et ceux des prochaines législatures, ne pourront être élus à aucune des places données par le pouvoir exécutif que deux ans après la fin de leur session.

[M. Guillaume. L'agitation qui a régné dans cette assemblée depuis que la discussion est ouverte sur l'acte constitutionnel, vient de plusieurs omissions graves que les vrais amis de la liberté ont cru apercevoir.... (On applaudit dans l'extrémité gauche de la partie gauche, et dans quelques parties des tribunes.) Une très-vive agitation se manifeste dans tout le côté gauche.

T. XI.

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