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liberté diminue nécessairement le droit des héritiers du sang. Et comme la nature ne fixe pas cette liberté à un certain point, le droit écrit l'a étendue jusqu'à disposer de tous les biens au préjudice des collatéraux; et les coutumes l'ont bornée à une certaine partie des biens, quoique ces mêmes coutumes permettent de priver les collatéraux de toute part aux successions par des donations entre-vifs; parce qu'il y a cette différence entre les donations entre-vifs et les dispositions à cause de mort, qu'en celles-ci on ne dépouille que son héritier, et que dans les autres on se dépouille soi-même de ce que l'on donne.

32. Il ne reste, pour finir cette première distinction des lois immuables et des lois arbitraires, que de remarquer que cette distinction renferme celle des lois divines et humaines, et encore celle des lois naturelles et positives, ou plutôt que ces trois distinctions n'en font qu'une seule; car il n'y a de lois naturelles et immuables que celles qui viennent de Dieu, et les lois humaines sont des lois positives et arbitraires, parce que les hommes peuvent les établir, les changer et les abolir.

33. On pourra penser que les lois divines ne sont pas toutes immuables, puisque Dieu a lui-même aboli plusieurs de celles qu'il avait données aux Juifs, parce qu'elles ne convenaient pas à l'état de la loi nouvelle. Mais il est toujours vrai que ces lois mêmes étaient immuables à l'égard des hommes, et que les lois divines, qui règlent notre état présent, ne sont plus susceptibles d'aucun changement. Sur quoi il faut remarquer qu'on réserve la dignité de ce nom de lois divines à celles qui regardent les devoirs de la religion, comme sont les deux premières lois, le décalogue, et tout ce qu'il y a de préceptes dans les livres saints sur la foi et les mœurs; et que pour le détail des règles immuables de l'équité, qui regardent les matières des contrats, des testades prescriptions, et des autres matières des lois civiles, quoique ces règles aient leur justice dans la loi divine qui en est la source, on ne leur donne que le nom de lois naturelles ou du droit naturel, parce que Dieu les a gravées dans notre nature, et qu'il les a rendues tellement inséparables de la raison, qu'elle suffit pour les connaître, et que ceux mêmes qui ignorent les premiers préceptes et l'esprit de la loi divine, connaissent ces règles et s'en font des lois.

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34. Après cette première distinction des lois immuables et des lois arbitraires, il en faut remarquer une seconde, qui comprend aussi toutes les lois sous deux autres idées, l'une des lois de la religion, et l'autre des lois de la police: et ce sont deux distinctions qu'il ne faut pas confondre, comme si toutes les lois de la religion étaient des lois immuables, et que toutes les lois de la police fussent seulement des lois arbitraires; car il y a dans la religion plusieurs lois arbitraires, et la police a beaucoup de lois

immuables. Ainsi il y a dans la religion des lois qui règlent de certaines cérémonies de l'extérieur du culte divin, ou quelque point de la discipline ecclésiastique, qui sont des lois arbitraires établies par l'autorité des puissances spirituelles; et il y a dans la police des lois immuables, telles que sont celles qui commandent l'obéissance aux puissances, celles qui ordonnent de rendre à chacun ce qui lui appartient, et de ne faire tort à personne; celles qui commandent la bonne foi, la sincérité, la fidélité, et qui condamnent le dol et les tromperies, et une infinité de règles particulières qui dépendent de ces premières. De sorte qu'il est commun à la religion et à la police d'avoir tout ensemble l'usage des lois immuables et celui des lois arbitraires, et qu'il faut par conséquent distinguer par d'autres vues les lois de la religion et celles de la police.

Les lois de la religion sont celles qui règlent la conduite de l'homme par l'esprit des deux premières lois, et par les dispositions intérieures, qui le portent à tous ses devoirs, et envers Dieu, et envers soi-même, et envers les autres, soit dans le particulier, ou en ce qui regarde l'ordre public; ce qui comprend toutes les règles de la foi et des mœurs, et aussi toutes celles de l'extérieur du culte divin et la discipline ecclésiastique.

Les lois de la police sont celles qui règlent l'ordre extérieur de la société entre tous les hommes, soit qu'ils connaissent ou qu'ils ignorent la religion, soit qu'ils en observent les lois, ou qu'ils les méprisent.

35. On peut juger, par ces premières remarques des lois de la religion et de celles de la police, qu'elles ont des règles qui leur sont communes, et que l'une et l'autre en ont qui leur sont propres.

Ainsi, les lois qui commandent la soumission à la puissance naturelle des parens et à l'autorité des puissances spirituelles et temporelles, selon l'étendue de leur ministère, celles qui ordonnent la sincérité et la fidélité dans le commerce, celles qui défendent l'homicide, le larcin, l'usure, le dol, et les autres semblables, sont des lois qui sont de la religion, parce qu'elles sont essentielles aux deux premières lois; et elles sont aussi de la police, parce qu'elles sont essentielles à l'ordre de la société; ainsi elles sont communes, et à la religion, et à la police. Mais les lois qui regardent la foi et l'intérieur des mœurs, et celles qui règlent les cérémonies du culte divin et la discipline ecclésiastique, sont des lois propres à la religion; et les lois qui règlent les formalités des testamens, le temps des prescriptions, la valeur de la monnaie publique, et les autres semblables, sont des lois propres à la police.

36. Mais il faut remarquer sur le sujet des lois qui sont communes et à la religion et à la police, qu'elles ont en chacune un

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usage différent de celui qu'elles ont dans l'autre. Car, dans la religion, ces lois obligent à une intention droite dans le cœur, qui n'en accomplisse pas seulement la lettre dans l'extérieur, mais qui en observe l'esprit dans l'intérieur: et dans la police, on y satisfait en les observant dans l'extérieur, et n'entreprenant rien contre leurs défenses. De sorte qu'encore que la religion et la po lice aient leur principe commun dans l'ordre divin, et leur fin commune de régler les hommes, elles sont distinguées dans leur conduite, en ce que la religion règle l'intérieur et les mœurs de l'homme pour les porter à tous ses devoirs, et que la police n'exerce son ministère que sur l'extérieur, indépendamment de l'intérieur.

37. Il faut aussi remarquer cette différence entre les lois arbitraires de la religion et les lois arbitraires de la police, que celles-ci s'appellent communément des lois humaines, parce que ce sont des lois que les hommes ont établies, et que c'est la raison humaine qui en est le principe; mais qu'encore que les lois arbitraires de la religion soient établies aussi par des hommes, on ne les appelle pas des lois humaines, mais des constitutions canoniques ou des lois d'Église, parce qu'elles ont leur principe dans la conduite de l'esprit divin qui règle l'Église.

Il n'est pas nécessaire de s'étendre davantage ici sur cette distinction des lois de la religion et des lois de la police: il ne reste que de considérer l'ordre général des lois de la police temporelle, pour y reconnaître le rang des lois civiles.

38. Les lois de la police temporelle sont de plusieurs sortes, selon les différentes parties de l'ordre de la société dont elles sont les règles.

39. Comme tout le genre humain compose une société universelle, divisée en diverses nations qui ont leurs gouvernemens séparés, et que les nations ont entre elles de différentes communications, il a été nécessaire qu'il y eût des lois qui réglassent l'ordre de ces communications, et pour les princes entre eux, et pour leurs sujets; ce qui renferme l'usage des ambassades, des négociations, des traités de paix, et toutes les manières dont les princes et leurs sujets entretiennent les commerces et les autres liaisons avec leurs voisins. Et dans les guerres mêmes il y a des lois qui règlent les manières de déclarer la guerre, qui modèrent les actions d'hostilité, qui maintiennent l'usage des médiations, des trèves, des suspensions d'armes, des compositions, de la sûreté des otages, et d'autres semblables.

Toutes ces choses n'ont pu être réglées que par quelques lois; et comme les nations n'ont aucune autorité pour s'en imposer les unes aux autres, il y a deux sortes de lois qui leur servent de règles : l'une des lois naturelles de l'humanité, de l'hospitalité, de la fidélité, et toutes celles qui dépendent de ces premières, et

qui règlent les manières dont les peuples de différentes nations doivent user entre eux en paix et en guerre ; et l'autre est celle des réglemens dont les nations conviennent par des traités ou par des usages qu'elles établissent et qu'elles observent réciproquement. Et les infractions de ces lois, de ces traités, et des usages, sont réprimées par des guerres ouvertes, et par des représailles, et par d'autres voies proportionnées aux ruptures et aux entreprises.

Ce sont ces lois communes entre les nations qu'on peut appeler et que nous appelons communément le droit des gens, quoique ce mot soit pris en un autre sens dans le droit romain, où l'on comprend sous le droit des gens les contrats mêmes, comme les ventes, les louages, la société, le dépôt et autres, par cette raison qu'ils sont en usage dans toutes les nations (1).

40. La police universelle de la société qui règle les liaisons entre les nations par le droit des gens, règle chaque nation par deux sortes de lois.

La première est de celles qui regardent l'ordre public du gouvernement, comme sont ces lois qu'on appelle les lois de l'état, qui règlent les manières dont les princes souverains sont appelés au gouvernement, ou par succession, ou par élection; celles qui règlent les distinctions et les fonctions des charges publiques, pour l'administration de la justice, pour la milice, pour les finances, et de ces charges qu'on appelle municipales, celles qui regardent les droits du prince, son domaine, ses revenus, la police des villes, et tous les autres réglemens publics.

41. La seconde est de ces lois qu'on appelle le droit privé, qui comprend les lois qui règlent, entre les particuliers, les conventions, les contrats de toute nature, les tutelles, les prescriptions, les hypothèques, les successions, les testamens, et les autres matières semblables.

42. Ce sont ces lois qui règlent ces matières entre particuliers, et les différens qui en peuvent naître, qu'il semble que la plupart entendent communément par le droit civil. Mais cette idée comprendrait aussi dans le droit civil plusieurs matières du droit public, du droit des gens, et même du droit ecclésiastique, puisqu'il arrive souvent des affaires et des différends entre les particuliers dans des matières du droit public, comme, par exemple, dans les fonctions des charges, dans la levée des deniers publics, et en d'autres semblables; et qu'il en arrive aussi dans des matières du droit des gens, par des suites des guerres, des représailles, des traités de paix, et même dans des matières ecclésiastiques, comme pour les bénéfices et autres. Et enfin la distribution de la justice aux particuliers renferme l'usage de plusieurs lois qui sont des réglemens généraux de l'ordre public, (1) L. 5, ff. de just. et jur. § 2, in fin. inst. de jur. nat. gent. et civ.

comme celles qui établissent les peines des crimes qui règlent l'ordre judiciaire, les devoirs des juges, et leurs différentes juridictions. De sorte qu'il est difficile de se former une juste idée, qui distingue nettement et précisément les lois civiles du droit public et des autres espèces des lois.

43. C'est ce mélange de toutes ces diverses sortes de lois qui diversifie les manières de les distinguer, et qui fait qu'il est difficile d'accorder le sens qu'on donnait dans le droit romain à ce mot de droit civil, avec celui que nous y donnons ; comme il est difficile aussi de concilier les idées que nous avons communément du droit naturel et du droit des gens, avec celles qu'en donnent les distinctions qu'on trouve dans le droit romain (1).

44. On distinguait les lois dans le droit romain en droit public, qui regardait l'état de la république, et en droit privé, qui regardait les particuliers: on divisait celui-ci en trois parties; la première, du droit nature!; la seconde, du droit des gens; et la troisième, du droit civil (2). On réduisait le droit naturel à ce qui est commun aux hommes et aux bêtes (3); on étendait le droit des gens à toutes les lois qui sont communes à tous les peuples, et on y comprenait les contrats dont toutes les nations connaissent l'usage (4); et on restreignait le droit civil aux lois qui sont propres à un peuple (5), ce qui devait exclure du droit civil les contrats et les autres matières qui sont communes à tous les peuples, et qui étaient comprises dans le droit des gens.

45. On voit que cette distinction, de la manière qu'elle est expliquée dans le droit romain, semble différente de notre usage, qui ne met pas au nombre des lois qu'on appelle le droit des gens celles qui règlent les matières des conventions, et qui ne borne pas le droit naturel à cette idée qu'on en donne dans le droit romain. Mais, comme il n'y a rien de plus arbitraire que les manières de diviser et de distinguer les choses qui peuvent être regardées par diverses vues, et que les différentes distinctions peuvent avoir leurs divers usages, pourvu qu'on ne conçoive pas de fausses idées de ce qui est essentiel dans la nature des choses, il importe peu de s'arrêter aux réflexions qu'on pourrait faire sur ces différentes manières de distinguer les lois; et il suffit d'avoir fait les remarques qui sont les plus essentielles sur leur nature et leurs caractères, d'en avoir donné ces idées générales, sur lesquelles chacun peut s'en former les distinctions qui lui paraîtront les plus justes et les plus naturelles. Et pour ce qui est de l'idée qu'ou doit concevoir du droit civil, il suffit de remarquer que nous ne bornons jamais le sens de ce mot aux lois propres d'une ville ou (1) L. 1, S2, ff. de just. et jur. § 4, inst. eod. (2) L. 1, § 2, in fin. ff. de just. et jur. § ult. inst. eod. (3) L. 1, § 3, ff. de just. et jur. inst. de jure nat. gent. et civ. (4) L. 5, ff. de just. et jur. § 2, inst. de jure nat. gent. et civ. (5) § 1 et 2, inst. de jure nat. gent. et civ. L. 6, ff. de just. et jure.

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