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les richesses des Égyptiens par l'ordre du maître de l'univers qui les leur donna (1).

3. On ne peut prendre une voie plus simple et plus sûre pour découvrir les premiers principes des lois, qu'en supposant deux premières vérités qui ne sont que de simples définitions : l'une, que les lois de l'homme ne sont autre chose que les règles de sa conduite; et l'autre, que cette conduite n'est autre chose que les démarches de l'homme vers sa fin.

Pour découvrir donc les premiers fondemens des lois de l'homme, il faut connaître quelle est sa fin: parce que sa destination à cette fin sera la première règle de la voie et des démarches qui l'y conduisent, et par conséquent sa première loi et le fondement de toutes les autres.

Connaître la fin d'une chose, c'est simplement savoir pourquoi elle est faite; et on connaît pourquoi une chose est faite si, voyant comme elle est faite, on découvre à quoi la structure peut se rapporter, parce qu'il est certain que Dieu a proportionné la nature de chaque chose à la fin pour laquelle il l'a destinée.

Nous savons et sentons tous que l'homme a une ame qui anime un corps, et que dans cette ame il y a deux puissances, un entendement propre pour connaître, et une volonté propre pour aimer. Ainsi, nous voyons que c'est pour connaître et pour aimer que Dieu a fait l'homme, que c'est par conséquent pour s'unir à quelque objet, dont la connaissance et l'amour doivent faire son repos et son bonheur; et que c'est vers cet objet que toutes ses démarches doivent le conduire. D'où il s'en suit que la première loi de l'homme est sa destination à la recherche et à l'amour de cet objet qui doit être sa fin, où il doit trouver la félicité, et que c'est cette loi qui, étant la règle de toutes ses démarches, doit être le principe de toutes ses lois.

Pour connaître donc quelle est cette première loi, quel en est l'esprit, et comment elle est le fondement de toutes les autres, il faut voir à quel objet elle nous destine.

De tous les objets qui s'offrent à l'homme dans tout l'univers, en y comprenant l'homme lui-même, il ne trouvera rien qui soit digne d'être sa fin. Car en lui-même, loin d'y trouver la félicité, il n'y verra que les semences des misères et de la mort; et autour de lui, si nous parcourons tout cet univers, nous trouverons que rien ne peut y tenir lieu de fin, ni à notre esprit, ni à notre cœur; et que, bien loin que les choses que nous y voyons puissent être regardées comme notre fin, nous sommes la leur; et ce n'est que pour nous que Dieu les a faites (2): car, tout ce que renferment la terre et les cieux n'est qu'un appareil pour tous nos besoins, qui périra quand ils cesseront. Aussi voyons-nous que tout y est si peu digne de notre esprit et de notre cœur que, (1) Exod. 11, 2, 12, 36. (2) Deut. 4, 19.

pour l'esprit, Dieu lui a caché toute autre connaissance des créatures que de ce qui regarde les manières d'en bien user; et que les sciences qui s'appliquent à la connaissance de leur nature, n'y découvrent que ce qui peut être de notre usage, et s'obscurcissent à mesure qu'elles veulent pénétrer ce qui n'en est pas (1); et pour le cœur, personne n'ignore que le monde entier n'est pas capable de le remplir, et que jamais il n'a pu faire le bonheur d'aucun de eeux qui l'ont le plus aimé et qui en ont le plus possédé. Cette vérité se fait si bien sentir à chacun, que personne n'a besoin qu'on l'en persuade; et il faut enfin apprendre de celui qui a formé l'homme, que c'est lui seul qui, étant son principe, est aussi sa fin (2), et qu'il n'y a que Dieu seul qui puisse remplir le vide infini de cet esprit et de ce cœur qu'il a faits pour lui (3).

C'est donc pour Dieu même, que Dieu a fait l'homme (4); c'est pour le connaître, qu'il lui a donné un entendement; c'est pour l'aimer, qu'il lui a donné une volonté; et c'est par les liens de cette connaissance et de cet amour qu'il veut que les hommes s'unissent à lui pour trouver en lui, et leur véritable vie, et leur unique félicité (5).

C'est cette construction de l'homme, formé pour connaître et pour aimer Dieu, qui fait sa ressemblance à Dieu (6). Car, comme Dieu est le seul souverain-bien, c'est sa nature qu'il se connaisse et s'aime soi-même : et c'est dans cette connaissance et dans cet amour que consiste sa félicité. Ainsi, c'est lui ressembler que d'être d'une nature capable de le connaître et de l'aimer, et c'est participer à sa béatitude, que d'arriver à la perfection de cette connaissance et de cet amour (7).

4, 5, 6. Ainsi, nous découvrons, dans cette ressemblance de l'homme à Dieu, en quoi consiste sa nature, en quoi consiste sa religion, en quoi consiste sa première loi : car sa nature n'est autre chose que cet être créé à l'image de Dieu, et capable de posséder ce souverain-bien qui doit être sa vie et sa béatitude; sa religion, qui est l'assemblage de toutes ses lois, n'est autre chose que la lumière et la voie qui le conduisent à cette vie (8); et sa première loi, qui est l'esprit de la religion, est celle qui lui commande la recherche et l'amour de ce souverain-bien, où il doit s'élever de toutes les forces de son esprit et de son cœur qui sont faits pour le posséder (9).

7. C'est cette première loi qui est le fondement et le premier principe de toutes les autres: car cette loi qui commande à l'homme la recherche et l'amour du souverain-bien, étant commune à tous les hommes, elle en renferme une seconde qui les oblige à s'unir et s'aimer entre eux; parce qu'étant destinés pour

(1) Eccles. 3, 22. (2) Apoc. 22, 16. Is. 41, 4. (3) ps. 16 17. (4) Prov. 16,4. Deut. 26, 19. Is. 43, 7. (5) Deuter. 30, 20. Joan. 17, 3. (6) Gen. 1, 26. Sap. 2, 23. Eccles, 17, 1. Coloss. 3, 10. (7) 1. Joan. 3, 2. (8) Prov. 6, 23. (9) Matth. 22, 38. Sap. 6, 18.

être unis dans la possession d'un bien unique, qui doit faire leur commune félicité, et pour y être unis si étroitement qu'il est dit qu'ils ne feront qu'un (1), ils ne peuvent être dignes de cette unité dans la possession de leur fin commune s'ils ne commencent leur union, en se liant d'un amour mutuel dans la voie qui les y conduit. Et il n'y a pas d'autre loi qui commande à chacun de s'aimer soi-même, parce qu'on ne peut s'aimer mieux qu'en gardant la première loi, et se conduisant au bien où elle nous appelle.

8. C'est par l'esprit de ces deux premières lois que Dieu, destinant les hommes à l'union dans la possession de leur fin commune, a commencé de lier entre eux une première union dans l'usage des moyens qui les y conduisent; il a fait dépendre cette dernière union, qui doit faire leur béatitude, du bon usage de cette première qui doit former leur société.

C'est pour les lier dans cette société, qu'il l'a rendue essentielle à la nature. Et comme on voit dans la nature de l'homme sa destination au souverain-bien, on y verra aussi sa destination à la société et les divers liens qui l'y engagent de toutes parts; et que ces liens, qui sont des suites de la destination de l'homme à l'exercice des deux premières lois, sont en même temps les fondemens du détail des règles de tous ses devoirs et les sources de toutes les lois.

Mais, avant que de passer outre et de faire voir l'enchaînement qui lie toutes les lois à ces deux premières, il faut prévenir la réflexion qu'il est naturel de faire sur l'état de cette société qui, devant être fondée sur les deux premières lois, ne laisse pas de subsister sans que l'esprit de ces deux lois y règne beaucoup, de sorte qu'il semble qu'elle se maintienne par d'autres principes. Cependant, quoique les hommes aient violé ces lois capitales, et que la société soit dans un état étrangement différent de celui qui devait être élevé sur ces fondemens et cimenté par cette union il est toujours vrai que ces lois divines et essentielles à la nature de l'homme subsistent immuables, et qu'elles n'ont pas cessé d'obliger les hommes à les observer; et il est certain aussi, comme la suite le fera voir, que tout ce qu'il y a de lois qui règlent la société dans l'état même où nous la voyons, ne sont que des suites de ces premières. Ainsi, il a été nécessaire d'établir ces premiers principes; et d'ailleurs il n'est pas possible de bien comprendre la manière dont on voit maintenant subsister la société, sans connaître l'état naturel où elle devait être, et y considérer l'union que les divisions des hommes ont rompue et l'ordre qu'elles ont troublé.

Pour juger donc de l'esprit et de l'usage des lois qui maintiennent la société dans l'état présent, il est nécessaire de tracer un (1) Joan. 17, 21.

plan de cette société sur le fondement des deux premières lois, afin d'y découvrir l'ordre de toutes les autres et leurs liaisons à ces deux premières. Et puis on verra de quelle manière Dieu a pourvu à faire subsister la société dans l'état où nous la voyons, et parmi ceux qui, ne s'y conduisant pas par l'esprit des lois capitales, ruinent les fondemens qu'il y avait mis.

CHAPITRE II.

Plan de la société sur le fondement des deux premières lois par deux espèces d'engagemens.

I, 2. Quoique l'homme soit fait pour connaître et pour aimer le souverain-bien, Dieu ne l'a pas mis d'abord dans la possession de cette fin, mais il l'a mis auparavant dans cette vie, commne dans une voie pour y parvenir; et, comme l'homme ne peut se porter à aucun objet par d'autres démarches que par des vues de son entendement et par les mouvemens de sa volonté, Dieu a fait dépendre la connaissance claire et l'amour immuable du souverain-bien qui doit faire la félicité de l'esprit et du cœur de l'homme, de l'obéissance à la loi qui lui commande de méditer et d'aimer ce bien unique, autant qu'il peut en être capable pendant cette vie; et il ne la lui donne que pour en tourner tout l'usage à la recherche de cet objet, seul digne d'attirer, et toutes ses vues et tous ses désirs (1).

On n'entre pas ici dans l'explication des vérités que la religion nous apprend sur la manière dont Dieu conduit et élève l'homme à cette recherche. Il suffit, pour donner l'idée du plan de la société, de les supposer, et de remarquer que c'est tellement pour occuper l'homme à l'exercice de cette première loi et de la seconde que Dieu lui donne l'usage de la vie dans cet univers, que tout ce qu'il peut y voir en soi-même et dans tout le reste des créatures, sont autant d'objets qui lui sont donnés pour l'y engager. Car, pour la première loi, il doit sentir, dans la vue et dans l'usage de tous ces objets, qu'ils sont autant de traits et d'images de ce que Dieu veut qu'on connaisse et qu'on aime en lui; et pour la seconde loi, Dieu a tellement assorti les hommes entre eux, et l'univers à tous les hommes, que les mêmes objets qui doivent les exciter à l'amour du souverain-bien, les engagent aussi à la société et à l'amour mutuel entre eux; car on ne voit et on ne connaît rien, ni hors de l'homme, ni dans l'homme, qui ne marque sa destination à la société.

Ainsi, hors de l'homme, les cieux, les astres, la lumière, l'air, sont des objets qui s'étalent aux hommes comme un bien commun à tous, et dont chacun a tout son usage; et toutes les choses que (1) Deut. cap. 6, v. 4, 5, 6, 7, 8, 9; idem. cap. 11, v. 18.

la terre et les eaux portent ou produisent, sont d'un usage commun aussi, mais de telle sorte qu'aucun ne passe à notre usage que par le travail de plusieurs personnes; ce qui rend les hommes nécessaires les uns aux autres, et forme entre eux les différentes liaisons pour les usages de l'agriculture, du commerce, des arts, des sciences, et pour toutes les autres communications que les divers besoins de la vie peuvent demander.

Ainsi, dans l'homme, on voit que Dieu l'a formé, par un lien inconcevable, de l'esprit et de la matière, et qu'il l'a composé, par l'union d'une ame et d'un corps, pour faire de ce corps uni à l'esprit, et de cette structure divine des sens et des membres, l'instrument de deux usages essentiels à la société.

Le premier de ces deux usages est celui de lier les esprits et les cœurs des hommes entre eux, ce qui se fait par une suite naturelle de l'union de l'ame et du corps; car c'est par l'usage des sens unis à l'esprit, et par les impressions de l'esprit sur les sens et des sens sur l'esprit que les hommes se communiquent les uns aux autres leurs pensées et leurs sentimens. Ainsi, le corps est en même temps, et l'instrument, et l'image de cet esprit et de ce cœur qui sont l'image de Dieu.

Le second usage du corps est celui d'appliquer les hommes à tous les différens travaux que Dieu a rendus nécessaires pour tous leurs besoins; car c'est pour le travail que Dieu nous a donné des sens et des membres ; et, quoiqu'il soit vrai que les travaux qui exercent maintenant l'homme, lui sont une peine dont Dieu le punit, et que Dieu n'ait pas donné à l'homme un corps propre au travail pour le punir par le travail même, il est certain que l'homme est si naturellement destiné au travail qu'il lui était commandé de travailler dans l'état d'innocence (1). Mais l'une des différences des travaux de ce premier état et de ceux du nôtre, consiste en ce que le travail de l'homme innocent était une occupation agréable, sans peine, sans dégoût, sans lassitude, et que le nôtre nous a été imposé comme une peine (2). Ainsi, la loi du travail est également essentielle à la nature de l'homme et à l'état où l'a mis sa chute, et cette loi est aussi une suite naturelle des deux premières, qui, appliquant l'homme à la société, l'engagent au travail qui en est le lien, et ordonnent à chacun le sien pour distinguer, par les différens travaux, les divers emplois et les diverses conditions qui doivent composer la société.

3. C'est ainsi que Dieu, destinant les hommes à la société, a formé les liens qui les y engagent: et comme les liaisons générales qu'il fait entre tous les hommes par leur nature et par leur destination à une même fin, sous les mêmes lois, sont communes à tout le genre humain, et qu'elles ne forment en chacun aucune relation singulière qui l'engage aux uns plus qu'aux autres, il (1) Gen. 2, 15. (2) Gen. 3, 19.

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