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rité de la justice, s'il n'y satisfait volontairement. Ainsi, on contraint aux charges publiques dans les villes et les autres lieux, ceux qui sont appelés aux fonctions d'échevins, consuls et autres semblables charges ou commissions (1). Ainsi, on oblige ceux qui sont appelés à une tutelle à l'accepter et à s'en acquitter(2). Ainsi, on contraint les particuliers à vendre ce qu'ils se trouvent avoir de nécessaire pour quelque usage où le public est intéressé (3). Ainsi, on exige justement des particuliers les tributs et les impositions pour les charges publiques (4);

9. Que les engagemens volontaires entre les particuliers de-. vant être proportionnés aux différens besoins qui leur en rendent l'usage nécessaire, il est libre à toutes personnes capables des de se lier par toute sorte de conventions, comme engagemens, bon leur semble, et de les diversifier selon les différences des affaires de toute nature, et selon la diversité infinie des combinaisons que font dans les affaires les conjonctures et les circonstances (5), pourvu seulement que la convention n'ait rien de contraire à la règle qui suit;

10. Que tout engagement n'est licite qu'à proportion qu'il est conforme à l'ordre de la société, et que ceux qui le blessent sont illicites et punissables, selon qu'ils y sont opposés. Ainsi, les emplois contraires à cet ordre sont des engagemens criminels. Ainsi, les promesses et les conventions qui violent les lois ou les bonnes mœurs, n'obligent à rien qu'aux peines que peuvent mériter ceux qui les ont faites (6). (C. civ. 900.)

On verra, dans le détail des matières des lois civiles, quel est l'usage de tous ces principes; et c'est assez de les remarquer ici comme des règles générales d'où dépendent une infinité de règles particulières dans tout ce détail.

11. On n'a pas voulu mêler, parmi les engagemens dont on a parlé jusqu'à cette heure, une autre espèce de liaison qui unit les hommes plus étroitement qu'aucun de tous les engagemens, à la réserve de ceux du mariage et de la naissance. C'est la liaison des amitiés qui produisent dans la société une infinité de bons effets, et par les offices et les services que les amis se rendent l'un à l'autre, et par le secours que chacun tire des personnes qui se trouvent liées à ses amis. Mais, quoique les amitiés fassent un enchaînement de liaisons et de relations d'une grande étendue et d'un grand usage dans la société, on n'a pas dû mêler les amitiés avec les engagemens, parce qu'elles sont d'une nature qui en est distinguée par deux caractères: l'un, qu'il n'y a point d'amitié où l'amour ne soit réciproque; au lieu que dans les engagemens, l'amour qui devrait y être mutuel, ne l'est pas toujours: et

(1) L. 21, ff. ad municip. (2) L. 1, ff. de admin. et peric. ut. (3) V. l. 11, ff. de evict. in verb. v. 1. 12, ff. de relig. v. l'ordonnance de Philippe-le-Bel, de 1303. (4) Matth. 22, 21. Rom. 13, 7. (5) L. 1, ff. de pact. l. 7, § 7, ff. de pact. (6) L. 6, c. de pact., tel était l'engagement de ce prince qui, pour tenir sa parole, fit mourir saint Jean. Matth. 14.

l'autre, que les amitiés ne sont pas une espèce particulière d'engagement, mais sont des suites qui naissent des engagemens. Ainsi, les liaisons de parenté, d'alliance, de charges, de commerces, d'affaires et autres, sont les occasions et les causes des amitiés, et elles supposent toujours quelqu'autre engagement, qui approche ceux qui deviennent amis.

C'est cet usage des amitiés si naturel et si nécessaire dans la société, qui ne permet pas de n'en point parler : et c'est cette différence de leur nature et de celle des engagemens qui a obligé de les distinguer. Ainsi on en a fait la matière du chapitre suivant.

CHAPITRE VI.

De la nature des amitiés et de leur usage dans la société.

1. L'amitié est une union qui se forme entre deux personnes par l'amour réciproque de l'une envers l'autre; et, comme il y a deux principes qui font aimer, les amitiés sont de deux espèces : l'une, de celles qui ont pour principe l'esprit des premières lois; et l'autre, de toutes celles qui, n'étant pas fondées sur ce principe, ne sauraient en avoir d'autre que l'amour-propre. Car, si l'amitié manque de l'attrait qui tourne l'union des amis à la recherche du souverain bien, elle aura d'autres vues qui ramperont sur des biens qu'on ne saurait aimer que par l'amourr-propre. Ainsi, ceux qui, sans amour du souverain bien, paraissent n'aimer leurs amis que par l'estime de leur mérite ou par le désir de leur faire du bien, et ceux mêmes qui donnent pour leurs amis leur bien ou leur vie, trouvent dans ces effets de leur amitié, ou quelque gloire, ou quelque plaisir, ou quelque autre attrait qui est leur bien propre, et qui se trouve toujours mêlé à celui que leurs amis peuvent tirer d'eux. Au lieu que ceux qui s'entr'aiment par l'esprit de l'union au souverain bien, ne gardent pas leur bien propre, mais un bien commun à l'un et à l'autre, et un bien dont la nature est en cela différente de celle de tout autre bien, qu'aucun ne peut l'avoir pour soi, s'il ne le désire aussi pour les autres, et s'il ne fait sincèrement tout ce qui dépend de Îui pour les aider à y parvenir. Ainsi, ceux qui sont unis à leurs amis par ce lien, cherchent réellement le bien et l'avantage de ceux qu'ils aiment; et, comme ils méprisent tout autre bien que ce seul qu'ils aiment uniquement et de tout leur cœur, ils sont bien plus disposés à donner, et leurs biens, et leurs vies pour leurs amis, s'il en est besoin, que ne sauraient l'être ceux qui n'aiment que par l'amour-propre.

Cette distinction des amitiés, qui se lient par l'esprit des premières lois, et de celles que fait l'amour-propre, n'est pas si exacte qu'on puisse dire que toute amitié soit, ou entièrement de

l'une, ou entièrement de l'autre de ces deux espèces; car, dans le petit nombre de celles où se trouve l'esprit des premières lois, il y en a peu de si accomplies que l'amour-propre n'y ait quelque part; et on voit même des amitiés où l'un des amis ne met de sa part que de l'amour-propre, quoique l'autre y soit conduit un autre esprit; et toutes ces sortes d'amitiés s'assortissent à l'état présent de la société, selon les différentes dispositions de ceux qu'elles lient.

par

2. Il est facile de juger, par cette nature de l'amitié, que, comme c'est une liaison réciproque entre deux personnes, il y a bien de la différence entre l'amitié et l'amour que commande la seconde loi; car le devoir de cet amour est indépendant de l'amour réciproque de celui qu'on est obligé d'aimer; et quoique, de sa part, il n'aime point, ou que même il haïsse, la loi veut qu'on l'aime: mais l'amitié ne pouvant se former que par un amour réciproque, elle n'est commandée à personne en particulier; car ce qui dépend de deux personnes, ne peut être matière de commandement pour un des deux seul; et d'ailleurs, comme l'amitié ne peut se former que par l'attrait que chacun des amis trouve en son ami, personne n'est obligé de lier une amitié où cet attrait ne se trouve point. Et aussi ne voit-on aucune amitié qui n'ait pour fondement que les qualités que les amis cherchent l'un dans l'autre, et qui ne s'entretienne par les offices, les services, les bienfaits et les autres avantages qui font, en chaque ami, le mérite qui attire et entretient l'estime et l'amour de

l'autre.

C'est à cause de cette correspondance nécessaire entre les amis que les amitiés ne se forment qu'entre les personnes qui, se rencontrant dans quelques engagemens où ils s'approchent les uns des autres, se trouvent d'ailleurs dans des dispositions propres à les unir comme l'égalité des conditions, la conformité d'âge, de mœurs, d'inclinations et de sentimens, la pente réciproque à aimer et à servir, et les autres semblables. Et on voit, au contraire, que les amitiés ne se lient et ne s'entretiennent que difficilement et assez rarement entre les personnes que leur condition, leur âge et les autres qualités distinguent; de sorte que l'état naturel de l'amitié ne s'y trouve pas, par le défaut de correspondances et de la liberté que doivent avoir les amis d'user l'un de l'autre.

3. Mais, quoiqu'il soit vrai que les amitiés ne sont commandées à personne en particulier, elles ne laissent pas d'être une suite naturelle de la seconde loi; car, cette loi commandant à chacun d'aimer son prochain, elle renferme le commandement de l'amour mutuel (1); et lorsque les engagemens particuliers lient des personnes qui sont animées de l'esprit de cette loi, il se (1) Joan. 15, 12.

forme d'abord entre eux une union proportionnée aux devoirs réciproques des engagemens où ils se rencontrent; et si chacun trouve dans l'autre des qualités propres à les unir plus étroitement, leur liaison forme l'amitié.

4. On trouve, par ces remarques sur la nature des amitiés, qu'elles ont deux caractères essentiels : l'un, qu'elles doivent être réciproques, et l'autre, qu'elles doivent être libres. Elles sont réciproques, puisqu'elles ne peuvent se former que par l'amour mutuel de deux personnes; et elles sont libres, puisqu'on n'est pas obligé de se lier à ceux qui n'ont pas les qualités qui peuvent former l'amitié.

Il s'ensuit de ces deux caractères des amitiés que, devant être réciproques et libres, on est toujours dans la liberté de ne pas s'engager dans des amitiés, et qu'on doit même éviter celles qui pourraient avoir de mauvaises suites; et il s'ensuit aussi que les amitiés les plus solides et les plus étroites peuvent s'affaiblir et s'anéantir, si la conduite d'un des amis y donne sujet; et nonseulement les refroidissemens et les ruptures ne sont pas illicites, mais quelquefois même ils sont nécessaires, et par conséquent justes à l'égard de celui des amis qui ne manque, de sa part, à aucun devoir. Ainsi, lorsqu'un des amis viole l'amitié, ou par quelque infidélité, ou manquant à des devoirs essentiels, ou exigeant des choses injustes, il est libre à l'autre de ne plus considérer comme ami celui qui, en effet, a cessé de l'être; et, selon les causes des refroidissemens et des ruptures, on peut, ou rompre l'amitié, ou la dissoudre sans rupture, pourvu seulement que celui qui en a un juste sujet de la part de l'autre, n'en donne point de la sienne; et que, dans ce changement, il conserve, au lieu de l'amitié, cette autre espèce d'amour dont rien ne dispense.

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5. Tous ces caractères de l'amitié, qu'il est libre de former et libre de rompre, et qui ne subsistent que par la correspondance mutuelle des deux amis, font voir qu'on ne peut donner le nom d'amitié à l'amour qui unit le mari et la femme, ni à celui qui lie les parens à leurs enfans ( C. civ., 203, s. ), et les enfans à leurs parens; car ces liaisons forment un amour d'une autre nature bien différente de celui qui fait l'amitié et qui est bien plus fort (C. civ. 212, s.); et, quoiqu'il soit vrai que le mari et la femme se choisissent l'un l'autre (C. civ. 75.), et s'engagent librement dans le mariage, leur union étant formée, elle devient nécessaire et indissoluble. (C. civ. 227.)

6. On voit bien aussi quelles sont les différences qui distinguent l'amitié de l'amour des parens envers les enfans et des enfans envers les parens; car, outre que cet amour n'est pas réciproque pendant que les enfans ne sont pas encore capables d'aimer, il a d'autres caractères qui font assez voir qu'il est d'une

nature toute différente de celle des amitiés; et, quoique le choix des personnes ne s'y trouve pas, il a d'autres fondemens bien plus solides que les amitiés les plus fermes et les plus étroites.

Ce qu'on vient de remarquer des distinctions entre les amitiés, et l'amour que forment les liaisons du mariage et de la naissance, ne s'étend pas à l'amour des frères et des autres proches; car, encore que la nature forme entre eux une liaison sans leur propre choix, qui les oblige naturellement à l'amour mutuel, cet engagement n'est suivi de l'amitié que lorsqu'ils trouvent l'un dans l'autre de quoi la fonder. Mais, lorsque la proximité se trouve jointe aux autres qualités qni font les amis, les amitiés des frères et des autres proches sont beaucoup plus fermes que celles des

autres.

7. On voit, par ce peu de remarques générales sur les amitiés, quelle est leur nature et les principes qui en dépendent; mais, comme ce n'est pas une matière des lois civiles, on ne doit pas entrer dans le détail des règles particulières des devoirs des amis ; il suffit d'avoir remarqué sur les amitiés, ce qui s'en rapporte à l'ordre de la société et on voit que, comme les amitiés naissent des diverses liaisons qui assemblent les hommes, elles sont en même temps les sources d'une infinité d'offices et de services qui entretiennent ces liaisons mêmes, et qui contribuent en mille manières à l'ordre et aux usages de la société, et par l'union des amis entre eux, et par les avantages que chaque personne peut trouver dans les liaisons qu'ont ses amis à d'autres personnes.

8. Pour achever le plan de la société, il reste à donner l'idée des successions qui la perpétuent, et celle des troubles qui en blessent l'ordre; et on verra ensuite comment Dieu la fait subsister dans l'état présent.

CHAPITRE VII.

Successions.

On ne parle pas ici des successions pour entrer dans le détail de cette matière, mais pour en donner seulement la vue dans le plan de la société où elle doit être distinguée; parce que les successions font une grande partie de ce qui se passe dans la société, et qu'elles font une des plus amples matières des lois civiles.

1. L'ordre des successions est fondé sur la nécessité de continuer et de transmettre l'état de la société, de la génération qui passe à celle qui suit; ce qui se fait insensiblement, faisant succéder de certaines personnes à la place de ceux qui meurent, pour entrer dans leurs droits, dans leurs charges et dans leurs relations et engagemens qui peuvent passer à des successeurs.

2, 3. Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer les différentes manières

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