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aussi le profond sentiment de leurs droits, et qu'il n'admettaient pas qu'un enfant pût escompter à l'avance l'héritage paternel pour se dispenser de travailler; or, ce serait à ce résultat qu'on en arriverait avec la substitution perpétuelle. Je cite également M. de Ribbe : « Mon père me di>> sait que les père et mère doivent deux choses à leurs >> enfants; les bien endoctriner et nourrir honestement; » qu'avec cela s'ils pouvaient laisser quelque chose, à la >> bonne heure; sinon avec une bonne instruction et nour>> riture pour peu qu'ils ayent ils ont assez... Tout enfant » qui se fie au bien de son père ne mérite pas de vivre (1).» 3o « Elle amoindrit l'autorité du père de famille en le » privant de la faculté de récompenser et de punir. »

Ce n'est pas là le moindre reproche que l'on puisse adresser à la théorie développée dans « les Réflexions sur la Liberté testamentaire. » En fait, tout comme sous le régime du Partage forcé, sous le régime de substitution perpétuelle, le père de famille se trouve désarmé en face des écarts d'un fils qu'aucun sentiment de crainte ne retient dans le devoir. Qu'on ne dise pas après cela, que le droit de faire une substitution perpétuelle augmente les facultés de celui qui veut ou peut faire une substitution! Eh! que m'importe si cette augmentation de faculté dans l'ùn, amoindrit l'autorité paternelle chez tous ses successeurs! je dis qu'une telle liberté est mauvaise, et contraire à la vraie Liberté testamentaire.

<< Enfin, dit M. d'Anthenaise, il est vrai que le possesseur >> d'un bien substitué n'a pas le droit de deshériter l'appelé à >> la substitution... Est-ce un mal? Si tous les peuples pros» pères ont considéré et considèrent que la propriété appar» tient plutôt à la famille qu'à l'individu, c'est un bien de » l'empêcher d'en priver sa famille et de violer ainsi la des>> tination du père de famille fondateur de la fortune (2). »

Je n'ai qu'un mot à répondre; les peuples prospères ont abandonné la pratique de la substitution perpétuelle, ainsi que je le montrerai dans la deuxième partie de ce travail.

« Il est encore vrai, continue le savant auteur de l'article >> dont je parle, que le père n'a pas le choix entre ses en>> fants; mais la théorie de l'héritier associé n'est pas sans >> inconvénients, quand elle est possible, et dans la plupart » des cas elle est impossible. Elle suppose toujours un père » arrivé à la vieillesse, tous n'y arrivent pas, c'est presque >> une exception (3). »

(1) De Ribbe, une famille au XVIe siècle, cité par Le Play, in Réforme sociale, tome 1, livr. 2, chap. XXI, § 5, à la note.

(2) Réflexions sur la Liberté testamentaire, p. 179, 180. (3) Réflexions sur la Liberté testamentaire, p. 180.

J'avoue que je ne vois pas les inconvénients que peut présenter la théorie de l'héritier associé. Voilà un père de famille, industriel, agriculteur ou commerçant, peu importe. « Quand les atteintes de l'âge commencent à se faire sen» tir, il choisit d'après le caractère et les talents, celui de >> ses enfants qui lui paraît le plus digne d'être associé » à ses travaux. A l'aide des épargnes qu'il a faites et de » celles qu'il réalise avec le concours de cet associé, il » règle le sort de ses garçons, de manière à procurer au>> tant que possible, à chacun une profession conforme à ses » aptitudes et en rapport avec la situation de la famille. » Les uns, ayant terminé leur apprentissage et reçu de » leur père la dot nécessaire à l'acquisition des instru>>ments de travail, s'établissent dans les localités contiguës >> cu dans quelqu'autres régions du territoire de la métro» pole. D'autres recrutent l'armée ou la marine. D'autres >> enfin, se transportent aux colonies et y fondent à leur >> tour des familles qui prospèrent en suivant les bonnes >> traditions de la métropole. Les filles demeurent dans la >> maison paternelle jusqu'à l'époque de leur mariage; >> celles qui ne se marient pas, de même que les garçons >> célibataires restent groupés autour du chef de famille. » Quand celui-ci est enlevé par la mort, l'enfant qu'il s'é>> tait adjoint en qualité d'héritier continue les fonctions pa»ternelles, tandis que le foyer reste sous la haute direction » de la mère devenue veuve. La catastrophe frappe les >> membres survivants dans leurs affections; mais elle ne > compromet ni les intérêts de la famille, ni l'organisation » de la propriété (1). »

Telle est, résumée en quelques lignes, la théorie de l'héritier associé. Je n'y vois aucun inconvénient, mais en revanche j'y aperçois beaucoup d'avantages. La famille protégée, l'atelier de travail sauvé de la destruction, les traditions conservées, sont-ce là des inconvénients? Quant à cette objection que la théorie de l'héritier associé suppose toujours un père parvenu à la vieillesse, que tous n'y arrivent pas et que dès lors ce n'est que par exception que la théorie pourra recevoir une application, je répondrai simplement que dans les familles souches cette exception est tellement fréquente qu'elle devient la règle; et qu'en second lieu la théorie ne suppose pas nécessairement que le père soit parvenu à une extrême vieillesse, mais simplement à l'âge ou il a le droit de prendre du repos. C'est à ce moment là qu'au lieu de pratiquer ce qui arrive presque inévitablement dans les familles instables, au lieu de ven

(1) Réforme sociale, tome 1, chap. XVII, § 3.

dre, quand la vieillesse approche, l'atelier de travail, le père associe un de ses enfants à ses travaux, l'aide des conseils de sa vieille expérience, et conserve ainsi les bonnes coutumes de la race. Cela se voit tous les jours dans ces beaux types de familles prospères si admirablement décrits par Le Play.

40 Enfin elle peut malgré le vœu des interessés, attri» buer des foyers ou des ateliers à des hommes indignes » de leur situation. »

Ceci est parfaitement vrai, dit-on, mais quelles sont les lois humaines qui n'arrivent pas au même résultat? On peut en dire autant de la Liberté testamentaire. Qui peut en effet garantir l'infaillibilité du père de famille? Personne, j'en conviens, mais là n'est pas la question. Toute loi humaine est forcément imparfaite; il ne s'agit donc pas d'arriver à la perfection, mais simplement de s'en rapprocher le plus possible; or, je crois que le danger est moindre avec la Liberté testamentaire qu'avec la substitution perpétuelle. Le père qui fait son testament connaît en effet admirablement bien ce qui convient à chacun de ses enfants; il règlera le sort de sa famille en toute connaissance de cause. Il est donc moins sujet à se tromper qu'un législateur qui statue par voie de disposition générale, ou qu'un testateur qui désigne à perpétuité l'ordre successoral de sa famille, sans connaitre les héritiers qu'il aura.

Mais, dit-on, un enfant peut ne mériter en rien le châtiment de l'exhérédation, seulement il est faible. Resté seul à la tête de ses affaires, il sera insuffisant et ruinera sa famille. Voilà donc une famille déclassée, un foyer détruit! Avec la substitution perpétuelle au contraire le danger est conjuré, la substitution a sauvé la famille !

Mais, dirai-je, pour sauver cette famille, est-il réellement besoin d'avoir recours à la substitution perpétuelle? Quoi! parce qu'un héritier sera faible, ou même je le veux bien, vicieux, vous allez frapper tous ses biens d'inaliénabilité, et enchaîner à perpétuité la liberté de ses successeurs? Je trouve le remède bien dangereux en vérité! N'est-il pas plus rationnel de limiter l'application du remède à l'étendue du mal? et la substitution à deux degrés ne suffit-elle pas à conjurer le danger?

Toutes ces raisons me paraissent donc devoir faire proscrire absolument la liberté dangereuse de la substitution. perpétuelle.

Je viens d'examiner les motifs, du moins les principaux, que l'on invoque en faveur de la Liberté testamentaire, ainsi que les objections faites à ce système. J'ai ensuite indiqué et discuté les arguments que partisans ou adversaires de la substitution perpétuelle, faisaient valoir pour ou

contre cette théorie. Il me reste maintenant pour terminer cette étude, à dire quelles sont les solutions que les peuples libres et prospères ont données à ces difficiles problêmes.

(A suivre.)

DONAT BÉCHAMP, Docteur en droit, avocat à Lille.

LE PROCÈS DE M. L'ABBÉ DE BRETENIÈRES Devant. le Conseil académique de Dijon et le Conseil supérieur de l'Instruction publique.

Si le procès fait à M. l'abbé de Bretenières ne fournissait qu'une nouvelle décision sur la thèse étrange de l'immoralité professionnelle, inventée par l'Université pour ruiner l'enseignement libre, il suffirait de transcrire les sentences successivement rendues par le Conseil académique de Dijon et par le Conseil supérieur de l'instruction publique. Mais cette affaire présente, suivant nous, un bien autre et plus vif intérêt. Elle nous fait assister à une stratégie savante dirigée pendant plus de deux ans contre l'école Saint-Ignace; à un véritable siége conduit avec une infatigable ténacité, et avec une habileté que rien ne déconcertait. Si l'assaut final a échoué, ce n'est certes pas la faute des assaillants qui avaient tout préparé pour emporter la place et qui croyaient tenir le succès. Le récit. de cette entreprise ne sera pas sans utilité pour les directeurs d'écoles libres, qui apprendront à connaître le mélange de ruse et d'audace qui se déguise sous l'apparence d'une prétendue légalité, et il leur révélera les dangers chaque jour plus grands et plus redoutables que leur fait courir la haine de leurs ennemis.

La conquête prussienne avait exilé les Jésuites de Metz; elle les avait chassés d'un collège qu'ils avaient élevé à un très haut degré de prospérité, et où les vainqueurs craignaient qu'ils ne continuassent à inspirer à leurs élèves l'amour de la France. Réfugiés à Dijon, les Pères du collège Saint-Clément avaient ouvert quelques classes dans les conditions les plus modestes; inais la confiance des familles multiplia auprès d'eux des sollicitations telles qu'ils durent songer à former un établissement durable et com

plet, et que quelques années plus tard, ils édifièrent dans un vaste emplacement, situé aux portes de la ville, une maison considérable et de nature à satisfaire à toutes les exigences. La propriété de cet immeuble appartint à une société civile constituée par acte authentique le 16 octobre 1876.

Vinrent les décrets du 29 mars 1880. On sait que leur exécution, brutalement opérée le 30 juin en ce qui concernait les résidences, fut retardée jusqu'à la fin de l'année scolaire pour les maisons d'éducation.

L'émotion et l'inquiétude furent extrêmes à Dijon, parmi les pères de famille qui se demandaient avec anxiété ce qu'il adviendrait de leurs enfants auxquels leur volonté bien arrêtée était d'assurer le bienfait d'une éducation chrétienne. Seraient-ils contraints de les livrer à l'enseignement sceptique et irréligieux des lycées de l'Etat ? Devraient-ils et pourraient-ils s'en séparer pour les confier, dans d'autres localités, à des maîtres leur inspirant toute sécurité? Ces perplexités étaient aussi celles du vénérable Evêque du diocèse qui, ayant charge devant Dieu des âmes des fidèles confiés à ses soins, recevait chaque jour l'expression des alarmes bien légitimes de ses diocésains.

Un ecclésiastique paraissait tout naturellement indiqué par l'opinion générale pour prendre à l'école Saint-Ignace la direction que les Pères de la Compagnie de Jésus étaient forcés d'abandonner. C'était M. l'abbé Christian de Bretenières. Petit-fils d'un premier président de la Cour royale de Dijon, fils d'un magistrat démissionnaire en 1830, il avait fait à la maison paternelle de solides et brillantes études qui l'avaient mis à même de conquérir en 1861 le grade de licencié ès lettres. Tandis que son frère Just, élevé avec lui et comme lui, était appelé à l'honneur d'évangéliser les infidèles de la Corée, apostolat qui fut couronné du martyre, M. Christian de Bretenières entra en 1863 au séminaire de Saint-Sulpice, continua et acheva ses études théologiques à Rome, fut ordonné prêtre en 1867, obtint le diplôme de licencié en théologie, et revenu en France, se mit modestement en 1868 à la disposition de son Evêque. Il fut immédiatement placé comme professeur au petit séminaire où il occupa successivement les classes de seconde et de rhétorique. Après dix années d'enseignement, la fatigue qu'il avait éprouvée l'obligea de quitter le petit séminaire; il alla demeurer dans la paroisse de Fontaineles-Dijon, où de concert avec quelques amis il avait acheté la maison où était né saint Bernard, et il travailla à y fonder un établissement de Missionnaires diocésains. C'est de cette retraite obscure et laborieuse que Mgr de Dijon voulut le tirer. A la demande qui lui fut adressée, M. de

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