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nécessaire. Nous admettons que cette perturbation des habitants doit être présumée; mais cette présomption peut s'effacer devant la preuve contraire. S'il est établi que, soit par l'isolement du lieu, soit par la faiblesse du bruit, la tranquillité n'a été nullement inquiétée, comment punir un fait qui n'est répréhensible, aux termes de la loi, que par le trouble qu'il apporte aux habitants? La loi punit la tranquillité enfreinte, l'ordre troublé; et l'ordre et la tranquillité n'auraient éprouvé aucun trouble. La contravention n'existerait pas. C'est là, au surplus, une appréciation de fait à laquelle le juge de police peut toujours se livrer. S'il n'y a pas de procès-verbal régulier, il peut déclarer souverainement que les bruits n'ont pas troublé la tranquillité des habitants 2; s'il y a un procès-verbal qui constate ce trouble, il peut, s'il y a lieu, procéder à une enquête, et décider que la tranquillité n'a pas été troublée: ce point incontestable a été consacré par un arrêt portant: « que les bruits et tapages injurieux ou nocturnes ne constituent une contravention que lorsqu'ils troublent la tranquillité des habitants; que, s'il y a présomption légale que la tranquillité des habitants a été troublée toutes les fois que ces bruits ou tapages sont constatés, cette présomption cède à la preuve contraire; que, dans l'espèce, le juge de police a déclaré après enquête que les bruits et tapages n'avaient pas troublé la tranquillité des habitants; qu'il y a dans cette constatation une appréciation de fait souveraine3., Mais, s'il n'a été produit aucune preuve contraire, le juge est lié le procès-verbal, et de l'existence des bruits et tapa

par

1. ** Peu importe qu'une seule personne ait déclaré avoir été troubléc dans sa tranquillité et ait seule porté plainte (Cass., 25 janv 1878; Bull. n. 23; - 21 juill. 1883: Bull. n. 186.)

2. Cass., 3 juin 1864, Bull. n. 439; Devill. et Car., 65. 1. 200; J. P. 65. 448.

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3. Cass., 28 mars 1867, Bull. n. 74; Devill. et Car., 67. 1. 131; J. P.67. 972. ** Adde Cass., 17 janv. 1874; Bull. n. 19; 3 juill. 1879; Bull. n. 140; 5 mai 1882; Bull. n. 114; 8 déc. 1882; Bull. n. 270; V. toutefois Cass., 21 juill. 1883; Bull. n. 186; - 28 fév. 1885; Bull. n. 72.

- V. encore Cass., 27 fév. 1886; Bull. n. 76 et 83; Bull. n. 76.

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ges doit induire le trouble de la tranquillité, par conséquent la contravention 1.

2868. Il est évident que tous les bruits et tous les tapages ne peuvent être incriminés. Le Code du 3 brumaire an IV exigeait, pour les punir, qu'ils eussent été commis par des attroupements; l'art. 479, en supprimant cette condition, l'a remplacée par celle qui veut que les bruits ou tapages aient été assez graves pour troubler la tranquillité des habitants : ce n'est que lorsqu'ils ont atteint ce degré de gravité qu'ils sont punissables; il faut donc qu'il soit constaté. La jurisprudence a déclaré que cette contravention peut résulter : d'une discussion et d'invectives échangées entre époux dans l'intérieur de leur domicile 2; du fait de sonner du cor pendant la nuit 3; du fait de se livrer, à 9 h. 1/2 du soir, à des chants que le procès-verbal qualitie de hurlements ou qui ont troublé la tranquillité des habitants; de querelles bruyantes sur la voie publique 5; de tapages dans l'intérieur des maisons 6; d'injures proférées ou de disputes engagées sur la voie publique, lorsqu'elles ont occasionné un rassemblement considérable 7; du fait d'avoir battu du tambour ou sonné du cor à onze heures du soir 8; du fait d'avoir participé à un charivari 9.

1. Cass., 17 mars 1866, Bull. n. 80.

2. Cass., 8 août 1856, Bull. n. 280; Devill. et Car., 56. 1. 845; J. P. 57. 304; 1er mai 1863, Bull. n. 138; Devill. et Car., 63. 1. 320; J. P. 63. 892; D. P. 63. 5. 367; 13 mars 1863, Bull. n. 89; D. P. 63. 5. 367.

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3. Cass 21 août 1857, Bull. n. 312; Devill. et Car., 57. 1. 785; J. P. 58. 375; D. P. 57. 1. 413; 30 août 1860, Bull. n. 216; Devill. et Car. 61. 1. 1013; J. P. 61. 1. 172; D. P 60. 1. 518; 16 nov. 1854, Bull. n. 317. 4. Cass., 29 août 1857, Bull. n. 328; Devill. et Car., 58. 1. 251; J. P. 58. 986; 15 avril 1853, Bull. n. 137; 8 juill. 1852, Bull. n. 229; 9 avril 1868, Bull. n. 95; 2 déc. 1869, Bull. n. 251; 31 mars 1870, Bull. n. 78. 5. Cass., 10 janv. 1857, Bull. n. 24.

6. Cass, 28 janv. 1858, Bull. n. 22; 16 avril 1864, Bull. n. 102.

7. Cass., 4 fév., 19 nov. 1858, Bull. n. 33 et 178; 17 août 1865, Bull. n. 178.

8. Cass., 21 sept. 1854, Bull. n. 288; 24 nov. 1865, Bull. n. 211. 9. Cass.. 4 juin 1852, Bull. n. 182.

Mais il a été décidé en même temps que la contravention ne peut résulter du fait d'avoir chanté la Marseillaise à une fenêtre à deux heures de l'après-midi 1; du fait d'un bal privé, qui est un droit légitime des habitants 2; ou des aboiements ou hurlements d'un chien pendant la nuit, lorsqu'ils ne sont la conséquence d'aucun mauvais traitement3; du fait d'avoir causé du bruit dans un concert, lorsqu'il n'en est résulté aucun trouble sur la voie publique ; du fait d'un ivrogne qui jette pendant le jour ses meubles par sa fenêtre 5 ; de simples chants nocturnes même à voix très élevée ; du fait d'avoir annoncé sans publicité une fausse nouvelle dont la divulgation amène un rassemblement 7; du fait d'avoir sonné le soir à la porte des habitants 8; du fait d'exécuter des morceaux de musique sur des instruments de cuivre à onze heures du soir, toutes fenêtres ouvertes 9. Au reste, nous l'avons déjà dit, le juge, lorsque le procès-verbal est débattu par la preuve contraire, apprécie souverainement si le tapage a été injurieux ou s'il a troublé la tranquillité des habitants 10; mais, à défaut de preuve contraire, il ne peut repousser la prévention en se fondant sur des usages locaux 11.

1. Cass., 28 mai 1851, Bull. n. 193; Devill. et Car., 52. 1. 63; J. P. 52. 2. 78.

2. Cass., 28 avril 1859, Bull. n. 106; Devill. et Car., 59. 1. 777; J. P. 60. 290; D. P. 59. 5. 8.

3. Cass., 15 avril 1859, Bull. n. 98; Devill. et Car., 59. 1. 778; 5 avril 1867, Bull. n. 81; Devill. et Car., 67. 1. 361; J. P. 67. 972; D. P. 67. 1. 289.

4. Cass., 13 juin 1863, Bull. n. 164; Devill. et Car., 63. 1. 408; J. P. 64. 50.

5. Cass., 12 mars 1866, Bull. n. 82.

6. Cass., 27 avril 1866, Bull. n. 122; Devill. et Car., 66. 1. 456 ; J. P. 66. 1218; D. P. 66. 1. 368.

7. Cass., 21 déc. 1866, Bull. n. 273; Devill. et Car., 67. 1. 310; J. P. 67. 784; D. P. 67. 1. 144.

8. Cass., 24 janv. 1868, Bull. n. 23; Devill. et Car., 68. 1. 350; J. P. 68.915.

9. Cass., 21 juill. 1870, Bull. n. 150. 10. Cass., 17 nov. 1860, Bull. n. 242. 11. Cass., 3 nov. 1859, Bull. n. 236.

Les bruits nocturnes qui sont l'effet inévitable de l'exercice d'une profession ne peuvent être mis dans la classe des bruits ou tapages prohibés. Ainsi les travaux d'un menuisier à quatre heures du matin 1, ceux d'une fabrique à la même heure 2, ne peuvent constituer aucune contravention, quand aucun règlement n'a fixé l'heure de ces travaux. Mais, si les bruits n'étaient pas nécessaires à l'exercice de la profession, s'il s'agit, par exemple, de boulangers qui auraient pris l'habitude de pousser, en pétrissant le pain, des hurlements affreux et bizarres, ces cris pourraient constituer la contravention 3. Il en est de même du fait d'un manufacturier qui fait tirer d'une corne, à toutes les heures de la nuit, des sons correspondant aux différentes heures".

2869. Le § 8 ne punit pas seulement les auteurs des bruits ou tapages, il punit aussi les complices. Que faut-il entendre ici par complices? La Cour de cassation a décidé : « que, d'après l'art. 479, ce ne sont pas les seuls individus porteurs d'instruments quelconques et ceux qui font entendre des cris, qui sont punissables, puisque ceux-là sont évidemment les auteurs mêmes des bruits ou tapages; que l'article est encore applicable aux individus qui, sans être porteurs d'instruments et sans que leurs voix soient entendues, font partie du rassemblement, fortifient et encouragent par leur présence les auteurs du bruit, les aident ainsi et les assistent dans la consommation de l'action, et sont conséquemment leurs complices 5. » Mais cette décision n'étend-elle pas les termes de la loi pénale au delà de leur véritable portée ? Est-il vrai que tous les individus qui, sans être porteurs d'instruments et sans que leurs voix soient entendues, font partie du rassemblement, doivent être réputés complices? Les simples

1. Cass., 12 sept. 1822, Dev. et Car., 7.137; J.P. 17.6i ; Dall., vo Contr., 477.

2. Cass., 16 avril 1825, Bull. n. 77; 3 mars 1865, Bull. n. 56; Devill. et Car., 65.1.195; J.P.65.439; D.P.68.1.235.

3. Cass., 21 nov. 1828, Dall., vo Contrav., n. 477 c.

4. Cass., 8 janv. 1839, Bull. n. 9.

5. Cass., 4 juill. 1822, Devill. et Car., 7.106; J.P.17.473; 24 janv. 1835,

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témoins que la curiosité aura conduits au milieu du rassemblement recevront-ils donc cette qualification? La peine de la complicité ne peut, en droit, s'appliquer qu'à ceux qui ont donné aide et assistance aux auteurs du fait. Voilà la circonstance matérielle qu'il faut établir avant d'arriver à l'application de la peine; si elle n'est pas constatée, le lien de la complicité n'existe pas, les peines de la contravention n'atteindront pas les spectateurs silencieux du désordre. Ainsi ceux qui ont procuré les instruments, ceux qui ont hautement encouragé les auteurs du tapage, qui les ont fortifiés, nonseulement par leur présence, mais par des actes d'approbation et par leur appui, ceux-là sont assurément des complices dans le sens de l'art. 479, no 8; mais la seule circonstance d'avoir fait partie du rassemblement et d'avoir été spectateur du trouble n'entraîne évidemment aucune présomption de cette complicité.

La Cour de cassation a persisté dans sa jurisprudence et déclaré de nouveau « que par cette expression complices on doit entendre, non-seulement ceux qui prennent une part active aux bruits et tapages, mais encore tous ceux qui, par leur présence ou par leur fait, ont favorisé ou facilité la perpétration de la contravention . » Elle a, par conséquent, appliqué le paragraphe 8 aux habitants d'une maison qui ont laissé un charivari s'exécuter sans s'y opposer 2; au propriétaire d'un parc dans lequel un tiers a sonné du cor pendant la nuit 3; au cabaretier qui a laissé se perpétrer la contravention dans son établissement 4.

La peine d'emprisonnement peut être prononcée pendant

1. Cass., 8 nov. 1855, Bull. n. 349; D.P.55.5.452. **Toutefois un arrêt plus récent, du 26 mai 1882 (Bull. n. 132) décide « que le seul fait d'avoir été vu un instant parmi les auteurs d'un tapage injurieux ou nocturne ne suffit pas pour constituer la complicité prévue et punie par l'article 479-8°; et que cette complicité doit, conformément à l'article 60 du même Code, s'affirmer par un acte de provocation, d'aide ou d'assistance. >>

2. Même arrêt.

3. Cass., 24 déc. 1858, Bull. n. 322.

4. Cass., 25 juin 1858, Bull. n. 183.

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