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l'intérêt de la salubrité, un maire peut prendre un arrêté pour défendre à un fabricant de donner aux eaux de sa fabrique un écoulement qui pourrait être nuisible à la santé publique 1.

2807. Une question plus délicate s'est élevée au sujet du caractère des baux ou des cahiers des charges consentis par les entrepreneurs qui soumissionnent l'éclairage, le balayage, l'enlèvement des immondices d'une ville. Ces baux peuventils être considérés comme des règlements? Leurs infractions doivent-elles être punies comme des contraventions de police? La jurisprudence a varié sur cette question. Un premier arrêt décidait : « que l'individu chargé, en qualité d'adjudicataire, de l'exécution d'un règlement de police, est subrogé à l'obligation des habitants; que, par suite, il est soumis aux peines qu'ils auraient eux-mêmes encourues pour leur contravention à ce règlement 2. » Un second arrêt a jugé, au contraire, que la contravention à un bail ayant pour objet l'enlèvement des immondices d'une ville ne peut rendre l'adjudicataire passible des peines de police, « attendu que les tribunaux de police ne peuvent connaître des contraventions aux arrêtés de l'autorité municipale que relativement à ceux de ces arrêtés qui ont le caractère de règlements, et dont les dispositions portent sur des objets de police attribués par la loi à la surveillance de cette autorité; qu'il est de l'essence des règlements de police de s'étendre à l'universalité ou à une certaine classe de citoyens; que les dispositions particulières qui peuvent y avoir été insérées, concernant des individus considérés préventivement, ne sauraient participer à l'autorité ou aux effets que la loi accorde à ces règlements 3». Un autre arrêt établit à cet égard une distinction : si l'adjudicataire d'un service public s'est soumis par une clause expresse aux peines de police déterminées par les lois, cette clause a la valeur d'un règlement de police, et soumet l'en

1. Cass., 12 nov. 1813, Devil. et Car., 4. 463; 15 déc. 1836, Bull. n. 388.

2. Cass, 21 août 1821, Devill. et Car., 6. 494,

3. Cass., 26 juill, 1837, Dall., 27. 1. 324.

trepreneur à ces peines, Mais, en l'absence d'une pareille stipulation, on ne doit voir dans l'acte d'adjudication qu'un contrat régi par les lois propres aux contrats, et capable seulement de produire des obligations civiles. C'est d'après cette. distinction que la Cour de cassation a décidé que l'acte d'adjudication peut avoir le caractère d'un règlement de police «< attendu que lorsque l'adjudicataire d'un service public, s'est expressément soumis, en cas d'inexécution de l'une des clauses de son bail, aux peines de police prononcées par les lois, l'acte d'adjudication passé entre lui et le délégué de l'administration municipale ne saurait être considéré comme un contrat ordinaire dont la violation se résout en condamnations civiles; que le maire a joint à l'autorité des conventions l'exercice de la puissance publique »; et que l'acte d'adjudication peut avoir un but général et non privé, << attendu qu'il s'applique à l'universalité des citoyens, puisqu'il a en vue les adjudicataires, lesquels se trouvent subrogés à l'obligation des habitants, et sont soumis aux peines que ces derniers auraient encourues 2.

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2808. Cette jurisprudence ne nous paraît pas fondée. Un bail est une convention purement civile, et qui ne peut donner lieu qu'à une action civile. Il importe peu que l'adjudicataire se soit soumis à être traduit devant le tribunal de police en cas d'inexécution de la convention; car, si cette inexécution ne constitue pas par sa nature une contravention de police, si le bail n'a pas le caractère d'un règlement, il ne peut appartenir ni à l'adjudicataire, ni à l'autorité municipale ellemême, de changer la nature d'un fait et le caractère d'un acte; le consentement des parties ne suffit pas pour porter des peines et intervertir les juridictions. Un bail d'ailleurs ne peut jamais être considéré comme un règlement de police. La clause d'un cahier des charges qui ne s'applique qu'à quelques contractants n'a point cette généralité sans

1. Cass., 31 juill. 1830, Journ. du dr. crim., t. 3, p. 84; Devill, et Car., 9. 566; Dall., yo Commune, n. 645; 28 mai 1831, Journ. du dr. crim., t. 3, p. 164. ** V. encore Cass., 24 mars 1876; Bull. n. 92. 2. Cass,, 17 sept. 1841, Bull. n. 286; 1er sept. 184', Bull. n. 286.

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laquelle il n'existe point de règlement : l'intervention dans le bail de la puissance publique dont le maire est revêtu ne modifie nullement la nature du contrat : le bail d'adjudication conserve son caractère civil; il reste un acte passé entre deux parties pour l'exécution d'un service; il ne prend aucun caractère général et réglementaire. On suppose encore que l'adjudicataire se trouve subrogé aux obligations des habitants; d'où l'on conclut que ses infractions doivent être censées celles des habitants; que les habitants sont punis dans sa personne; qu'il est passible des peines dont ils auraient été passibles. Est-il possible d'admettre cette suite de fictions pour arriver à l'application d'une peine? Il n'est pas vrai que l'adjudicataire soit subrogé aux habitants: il n'agit point au nom de ceux-ci, il n'est point leur mandataire; il agit en son nom propre, en vertu de son bail, et les contraventions sont personnelles comme les peines. Le règlement de police qui s'appliquait aux habitants ne peut donc s'appliquer à l'entrepreneur; celui-ci ne puise ses obligations que dans son contrat, et son contrat est un acte personnel et non général, civil et non de police : comment donc pourrait-on y puiser la base d'une pénalité régulière ? Ajoutons toutefois que ces observations, fondées en droit, n'ont point été accueillies par la jurisprudence, qui a dû céder à la nécessité des choses il a fallu, à peine d'inexécution des services publics, attribuer au cahier des charges de l'adjudication d'une entreprise municipale et à l'infraction commise par l'adjudicataire les caractères d'un règlement général et d'une contravention de police. De nombreux arrêts ont statué dans ce sens 1. (Voy. suprà, no 2744.)

2809. Les règles que nous venons d'indiquer ont pour effet, quand elles sont exactement observées, de rendre le règlement régulier; mais cette régularité ne suffit pas pour qu'il soit obligatoire, il faut encore qu'il ait été pris dans

1. Cass., 27 juin et 22 nov. 1856, Bull. n. 228 et 365; 3 juill. 1857, Bull. n. 254; 29 déc. 1860, Bull. n. 311; 9 nov. 1861, Bull. n. 223; Devill. et Car., 62. 1. 750; J. P. 62. 398; D. P. 63. 5, 40.-* * Adde Cass., 23 janv. 1874; Bull. n. 25.

l'exercice des attributions légales de l'autorité municipale: telle est la cinquième règle de la matière.

Mais dans quels cas les attributions municipales sont-elles respectées ou excédées ? voilà la véritable difficulté de la législation.Les attributions municipales sont excédées, lorsque les arrêtés ne portent pas sur des objets confiés à la vigilance et à l'autorité des maires, ou lorsque, même en portant sur l'un de ces objets, ces arrêtés se trouvent en opposition avec quelque loi existante. Ces deux principes, inattaquables en eux-mêmes, vont nous servir de point d'appui pour parcourir cette immense et difficile matière.

Nous disons, en premier lieu, que les arrêtés cessent d'être légaux, lorsqu'ils ne portent pas sur des objets qui sont confiés à l'autorité municipale. En théorie, cette règle est évidente. La loi a pris soin de la poser elle-même lorsqu'elle a examiné les objets qui sont confiés à la vigilance des maires.

Mais les expressions de la loi qui renferme l'énumération de ces objets sont larges et générales; elles embrassent une foule d'objets qui ne sont pas nominativement désignés 1. Ainsi tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places, etc., est confié à la vigilance de l'autorité municipale; ce qui comprend, ajoute la loi, le nettoiement, l'éclairage, l'enlèvement des encombrements, etc. Or cette énumération est explicative et non limitative; il est incontestable que, dès qu'un fait est de nature à nuire à la sûreté ou à la commodité de la circulation, l'arrêté municipal peut le prohiber, bien que ce fait ne rentre ni dans le nettoiement, ni dans l'éclairage, ni dans l'enlèvement des encombrements. C'est ainsi encore que « le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique, telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues,

1. * * Rappelons que, dans l'art. 97 de la loi nouvelle du 5 avril 1884, le mot notamment a été ajouté, précisément pour bien indiquer qu'il n'y a pas de limitation dans le droit et le devoir du maire d'assurer le bon ordre, la sûreté et la salubrité publics (Chambre des députés, séance du 26 février 1883).

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le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique,... le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics » peuvent donner lieu à une foule de mesures qu'il serait impossible de déterminer à l'avance avec exactitude. Il peut se présenter une variété infinie de circonstances qui se rattachent à ces objets, qui sollicitent l'intervention de la police municipale, et qui peuvent ne rentrer qu'avec plus ou moins de peine dans les prévisions de la loi.

2810. Rien de plus délicat à déterminer que la limite entre l'exercice légal du pouvoir municipal et l'abus de ce pouvoir. Rien de plus délicat aussi que l'appréciation de la légalité des arrêtés municipaux par l'autorité judiciaire. Quelques esprits ont cru apercevoir dans cette appréciation un empiétement sur les pouvoirs de l'autorité administrative. Nous pensons que, constitutionnellement, au pouvoir judiciaire appartient le droit de refuser l'application d'un arrêté illégal 4. Mais les caractères de l'illégalité sont tellement variables, que poser des limites en théorie, ce serait créer des difficultés plutôt que préparer des solutions. C'est au pouvoir judiciaire à protéger la liberté individuelle, la liberté de l'industrie et du commerce, contre des actes arbitraires du pouvoir municipal; c'est à la haute sagesse de la Cour de cassation, à la longue et précieuse expérience de ses membres, qu'est confié le soin de maintenir le pouvoir municipal dans ses véritables limites. La jurisprudence de cinquante années de cette Cour répond de la modération avec laquelle elle usera toujours d'un droit aussi important.

Le juge de police a le droit d'examiner la légalité et le sens des règlements de police: 1° parce que ces règlements ne sont point des actes administratifs, mais bien des actes qui, rendus en vertu d'une délégation législative, participent du caractère de la loi, dont l'interprétation appartient au pouvoir

1. V. notre Traité de l'instr. crim., t. 6, n. 2537,

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