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gereuse que celle du maximum? On peut le soutenir dans la matière du grand criminel; mais non lorsque l'atténuation ne s'applique qu'aux délits qui consistent dans des voies de fait ou dans des fraudes et qui ne conservent pas, comme les faits qualifiés crimes, un caractère propre et tranché, même au milieu des circonstances qui les modifient. La criminalité des actes et la culpabilité des agents ont des degrés si multiples que toute limite précise peut froisser la justice et cela sans profit pour l'ordre, puisque le plus ou moins de gravité de la peine dans la répression des petits faits qualifiés délits n'intéresse l'ordre que secondairement. Quant aux peines arbitraires, cette qualification n'appartient qu'à celles qui, illimitées et indéfinies, sont laissées au choix et à la discrétion des juges. La faculté d'atténuer le minimum sans pouvoir dépasser le maximum est précisément le contraire de ce qui se faisait autrefois. Les juges avaient, dans notre ancien droit, la puissance d'aggraver les peines et de prononcer celles qu'ils voulaient, sans être coutenus par un maximum. Ils n'ont aujourd'hui que le pouvoir de les atténuer, même au delà du minimum légal. Le motif de cette double faculté est peut-être le même. C'était sans doute autrefois, c'est assurément aujourd'hui d'établir le rapport du délit et de la peine. Mais du moins aujourd'hui ce pouvoir, quelque étendu qu'il soit, n'est plus arbitraire, puisqu'il est défini et réglé, et s'il constitue un élément essentiel de la juste application de la peine, il ne coûte rien à l'humanité.

2704. Le texte du Code pénal de 1832 a été rétabli dans le dernier paragraphe de l'art. 463 par un décret du 27 novembre 1870. Ce décret est ainsi conçu :

Considérant que la loi

« Le gouvernement de la défense nationale : du 13 mai 1863, dans le but d'aggraver, au lieu d'adoucir, suivant le progrès de nos mœurs, notre système pénal, a restreint la liberté accordée aux juges correctionnels par l'art. 463 du C. pén., de modérer les peines dans le cas d'admission des circonstances atténuantes; Décrète : Les trois derniers paragraphes de l'art. 463 du C. pén., sont abrogés et remplacés par les dispositions suivantes : Dans tous les cas où la peine de l'emprisonnement et celle de l'amende sont prononcées par le Code pénal, si les circonstances paraissent atténuantes, les tribunaux correctionnels sont

autorisés, même en cas de récidive, à réduire l'emprisonnement même au-dessous de six jours et l'amende même au-dessous de seize francs ; ils pourront aussi prononcer séparément l'une ou l'autre de ces peines, et même substituer l'amende à l'emprisonnement, sans qu'en aucun cas elle puisse être au-dessous des peines de simple police. »>

L'Assemblée nationale a chargé une commission de rechercher parmi les décrets du gouvernement de la défense nationale ceux qui seraient susceptibles d'être modifiés. Le rapport de cette commission s'est exprimé en ces termes sur le décret du 27 novembre 1870:

« Ce décret, qui modifie les trois derniers paragraphes de l'art. 463, n'est en réalité que l'abrogation, en ce qui concerne cet article, de la loi du 13 mai 1863 et le retour au texte de la loi du 28 avril 1832, qui différait peu du texte primitif de 1808. L'art. 463, révisé en 1832, était appliqué depuis plus de trente années sans susciter de plaintes sérieuses, lorsque la loi de 1863 est venue restreindre la liberté qu'il avait laissée aux juges dans la confiance qu'ils n'en useraient que pour mieux proportionner la gravité de la peine à celle du délit. La magistrature n'avait pas vu sans regrets resserrer dans des limites plus étroites la gradation des peines laissées à sa disposition. En vertu du décret du 27 novembre 1870, nous sommes donc revenus à une loi qui a pour elle une longue expérience, et nous sommes convaincus que, pour obtenir une répression efficace, la société n'a pas besoin de l'abrogation de ce décret. »

2705. Nous signalerons maintenant une différence essentielle qui sépare ce paragraphe de la première partie de l'article 463. Nous avons vu que cette première partie s'applique à tous les crimes qui sont portés devant les assises, soit qu'ils soient prévus par le Code pénal, soit qu'ils le soient par des lois particulières; et il eût été, en effet, sans objet de créer des exceptions à ce principe général, puisque la peine même réduite préserve la société du danger de l'impunité, et qu'il importait d'ailleurs d'étendre ce principe d'atténuation au petit nombre des lois spéciales qui ont puni des faits qualifiés crimes, et dont la sévérité est souvent excessive. Mais il eût été peut-être dangereux d'étendre le même principe aux nombreuses législations spéciales qui ont prévu des délits et infligé des peines simplement correctionnelles. 19

TOME VI.

Ces législations ont des règles à part, une certaine mesure dans leurs peines, une échelle graduée d'application; permettre subitement de descendre ces peines au taux des peines de police, c'eût été affaiblir une répression jugée nécessaire, déroger à des règles particulières et appropriées à des faits spéciaux. D'ailleurs le législateur ne pouvait aveuglément faire une telle application, sans connaître et méditer les lois qu'il eût modifiées; or un pareil travail eût été immense, et ne pouvait rentrer dans le cercle qu'il s'était tracé.

Aussi, dans la discussion de la loi du 28 avril 1832, les rédacteurs du projet combattirent cette extension. Un député avait proposé de substituer, au commencement de l'art. 341 du Code d'instruction criminelle, à ces mots: en toute matière criminelle, ceux-ci : en toutes matières soumises au jury. « Vous savez, dit-il, que les délits de la presse et les délits politiques rentrent dans la compétence des Cours d'assises. Il est donc nécessaire qu'on applique à ces délits les mêmes dispositions qu'aux crimes ordinaires, et que ceux-ci ne jouissent pas d'une faveur qui serait refusée aux autres. » Cet amendement fut repoussé, par le motif que le système des circonstances atténuantes suppose des peines échelonnées et graduées, et qu'en matière correctionnelle cette gradation n'existe pas. Un autre député proposa ensuite d'étendre à tous les délits jugés par les tribunaux correctionnels la deuxième partie de l'art. 463. Cet amendement fut encore rejeté, par les motifs que cette faculté illimitée d'atténuation eût atteint un grand nombre de cas dont il était impossible de déterminer la nature et l'étendue, et qu'il eût, à l'insu même du législateur, porté le désordre dans les lois spéciales qui n'étaient pas même connues des Chambres. Enfin la commission de la Chambre des députés avait adhéré à un amendement qui étendait la deuxième partie de l'article 463 au délit de diffamation. Ce dernier amendement ne fut pas adopté.

Les termes de la loi ont, au reste, exprimé avec précision cette restriction. Ainsi nous avons vu que l'article 463 porte dans son premier paragraphe ces expressions générales :

« Les peines prononcées par la loi contre celui ou ceux des accusés reconnus coupables, etc.; » ce qui comprend évidemment les peines prononcées soit par le Code pénal, soit en dehors de ce Code. Le dernier paragraphe porte, au contraire « Dans tous les cas où la peine de l'emprisonnement et celle de l'amende sont prononcées par le Code pénal, si les circonstances paraissent atténuantes, etc. » Or ces termes restreignent visiblement dans les limites du Code l'application des circonstances atténuantes aux simples délits, soit par la Cour d'assises, soit par les tribunaux correctionnels. Il est donc reconnu jusqu'à l'évidence que, si l'intention du législateur a été d'établir une faculté illimitée d'atténuation en matière de crimes, il a eu en même temps la volonté formelle de limiter cette faculté, en matière de délits, à ceux qui sont prévus par le Code pénal.

2706. Cette interprétation a été confirmée par la Cour de cassation. Ainsi cette Cour a décidé, en matière de délits de la presse, avant les lois nouvelles, « que l'article 463 n'est déclaré applicable qu'aux délits punis d'emprisonnement et d'amende par le Code pénal; qu'il ne peut dès lors s'appliquer aux délits prévus par les lois spéciales; qu'à l'égard des délits de la presse, l'article 14 de la loi du 25 mars 1822 n'en permet l'application qu'aux délits prévus par les 1er, 2o et 4o paragraphes de l'art. 9; que conséquemment il l'exclut pour tous les autres cas 1. » La même décision a été successivement étendue aux délits forestiers 2, aux délits de fabrication et de détention des poudres 3, aux délits de diffamation ", etc. 5.

Il faut donc regarder comme une règle de la matière que

1. Cass., 13 sept. crim., t. 4, p. 199;

1832, Devill. et Car., 33. 1. 191; Journ. du dr. Dall., vo Peine, n. 331; 12 sept. 1833. Bull. n. 370.

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3. Cass., 18 avril 1835, Bull. n. 142; Devill. et Car., 35. 1. 369; Dall., vo Peine, n. 562.

4. Cass., 7 sept. 1837, Bull. n. 262; Devill. et Car., 37. 1. 944; J. P. 37. 2. 597; Dall., v° Peine, n. 565-1o.

5. ** V. encore Cass., 10 mai 1872; Bull. n. 111; Bull. n. 307.

12 déc. 1873;

la disposition du dernier paragraphe de l'art. 463 est restreinte aux délits prévus et spécifiés par le Code, et que cette disposition ne peut en général être étendue aux délits prévus par des lois spéciales, à moins que ces lois n'en autorisent formellement l'application. Nous venons de voir que le Code forestier repoussait cette application; il faut en dire autant de la législation militaire et des lois relatives aux délits commis en matière de douanes, de contributions indirectes, de postes, de poudres et salpêtres. Les lois du 21 mars 1832 sur le recrutement, du 10 avril 1834 sur les associations, du 24 mai 1834 sur les détenteurs d'armes et de munitions de guerre, du 2 mai 1837 sur les télégraphes, du 30 juin 1838 sur les aliénés, déclarent, au contraire, qu'il pourra être fait application de l'art. 463 aux délits que ces lois ont prévus.

2707. Cette distinction a continué de régir la matière correctionnelle. La plupart des lois nouvelles, qui renferment des dispositions pénales, ont étendu l'art. 463 aux peines qu'elles édictaient on trouve cette application dans l'article 5 de la loi du 9 septembre 1848, sur la durée du travail dans les ateliers; dans l'art. 117 de la loi du 15 mars 1849 et l'art. 48 du décret du 2 février 1852, sur la police des élections; dans l'art. 80 de la loi du 15 mars 1850, sur l'enseignement; dans l'art. 6 de la loi du 19 décembre 1850, sur l'usure; dans l'art. 7 de la loi du 27 mars 1851, sur les fraudes dans les ventes des denrées; dans l'art. 14 de la loi du 30 mai 1851, sur la police du roulage; dans l'art. 13 du décret du 27 décembre 1851, sur les lignes télégraphiques; dans l'art. 3 du décret du 28 mars 1852, sur la contrefaçon des ouvrages étrangers, dans l'art. 6 de la loi du 10 juin 1854, sur la police du drainage; dans l'art. 17 de la loi du 14 juillet 1860, sur les armes de guerre, etc. Mais, lorsque les lois spéciales gardent le silence, l'art. 463 n'est point applicable, puisque son application n'est plus autorisée c'est ainsi qu'il a été jugé qu'il n'était pas permis de l'étendre aux contraventions à la loi du 13 fructidor an V, sur les poudres à feu, bien que l'art. 11 de la loi du 24 mai

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