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caractère du fait tel que les jurés l'ont reconnu constant qu'il faut considérer; en effet, d'après l'art, 463, le pouvoir de la Cour d'assises est gradué et déterminé dans chaque espèce sur le résultat de la déclaration du jury. Donc, ou le fait est punissable d'une peine afflictive et infamante, ou d'une peine correctionnelle. Dans le premier cas, et si des circonstances atténuantes sont déclarées, les juges sont tenus d'abaisser la peine dans les limites fixées par la loi; dans le second cas, les juges reprennent la portion de pouvoir qui leur est attribuée en matière correctionnelle. Le jury a épuisé sa puissance en modifiant le caractère du fait; c'est à la Cour seule qu'il appartient de mesurer l'importance de ce fait pour graduer la peine. On ne pourrait s'écarter de cette règle sans confondre toutes les dispositions de la loi ; car elle n'a point posé en principe général que toutes les fois que des circonstances atténuantes seraient déclarées, il y aurait lieu d'abaisser la peine d'un ou deux degrés ; elle a prévu le résultat de chaque déclaration, et a mesuré le degré où chaque fois le juge pourrait descendre. Enfin, quel serait le résultat de la déclaration faite par le jury des circonstances atténuantes,? Les juges devraient-ils, dans le silence de la loi, y avoir égard et abaisser la peine? Mais jusqu'à quel taux? Il s'agit d'une peine correctionnelle, devront-ils ne prononcer qu'une peine de police? Mais si le dernier paragraphe de l'art. 463 porte qu'en aucun cas la peine ne peut être au-dessous des peines de simple police, nulle disposition n'oblige la Cour d'assises à descendre la peine à ce taux; elle demeure libre d'en mesurer la quotité dans l'étendue des peines correctionnelles, c'est-à-dire qu'elle jouira, en définitive, du même pouvoir que si le jury n'eût point déclaré l'existence des circonstances atténuantes. Cette déclaration reste donc tout à fait indifférente.

Telle est aussi l'interprétation que la Cour de cassation a consacrée. Les nombreux arrêts qu'elle a rendus sur cette question. sont fondés « sur ce que, d'après la combinaison de l'art. 341 du Code d'instruction criminelle avec les six premiers paragraphes de l'art. 463 du Code pénal, la déclaration du jury, affirmative sur les circonstances atténuantes, n'oblige

les Cours d'assises à prononcer nécessairement une atténuation de peine qu'autant que le fait déclaré constant par le jury est de nature à entraîner des peines afflictives ou infamantes; qu'au contraire, dans le jugement des affaires correctionnelles, les juges sont seuls investis par le dernier · paragraphe de l'art. 463 du droit d'apprécier les circonstances atténuantes, et de modifier les peines établies par la loi; que, lorsque le fait soumis au jury a été par lui dépouillé des circonstances agggavantes qui le rendaient passible des peines afflictives et infamantes, et ne constitue plus qu'un délit correctionnel, la réponse du jury, affirmative de l'existence des circonstances atténuantes, ne peut lier la Cour d'assises, ni exercer une influence légale sur la décision qu'elle doit porter relativement soit à l'existence de ces circonstances, soit à l'atténuation de la peine qui peut en être le résultat 1.

Mais la Cour d'assises peut s'approprier la réponse du jury sur les circonstances atténuantes; elle est même présumée se l'approprier par cela seul qu'elle la laisse subsister, et qu'elle la rappelle dans son arrêt. Ainsi la Cour de cassation a jugé que cette seule énonciation motivait suffisamment l'atténuation de peine prononcée en faveur du prévenu 2.

1 Cass, 11 août 1832, Dall., vo Instr. crim., n. 2632; 19 janv. 1833, Dall., ibid.. n. 2444; 8 mars 1833; Devill. et Car., 32.1.487, et 33.1.411; Dall., vo Peine, n. 559, 690-1°. V. aussi une dissertation de M. Molinier, Revue critique. t, 1er, p. 230. —**V. encore Cass. 23 décembre 1880; Bull. no 241; 5 mai et 30 décembre 1881; Bull. nos 117 et 272; 29 juin 1882; Bull. no 155. La Cour suprême n'applique pas toutefois la même solution au cas où le fait n'est puni que d'une peine correctionnelle par l'effet de l'excuse de la minorité; elle décide, en pareil cas, que la déclaration des circonstances atténuantes appartient au jury, et voici comment on procède on applique d'abord l'atténuation des circonstances atténuantes ; la Cour a à examiner si elle n'userait que de l'abaissement obligatoire d'un degré ou de l'abaissement facultatif de deux degrés, et, cette question hypothétiquement résolue, elle applique l'atténuation de la minorité. Nous avons cru devoir combattre cette solution (V. notre Précis de droit criminel, 4 édition, p. 522).

2 Cass., 19 janv. 1833, Journ. du dr. crim., t. 5, P. 30; J. P. 25.64; Dall., v Instr. crim., n. 2444-1°.

§ III. Application à la matière correctionnelle.

2701. Nous sommes arrivés au dernier paragraphe qui forme la deuxième partie de l'art. 463.

Cet article, en effet, renferme deux parties distinctes, deux séries de dispositions qu'il est impossible de confondre. Dans la première, il embrasse les faits qui sont passibles de peines afflictives ou infamantes; dans la deuxième, les faits qui ne sont passibles que de peines correctionnelles: or, dans l'un et l'autre cas, l'existence de circonstances atténuantes produit des effets différents qui tiennent à la nature même des choses. Dans le premier cas, la gravité de l'accusation et l'élévation des peines ont fait admettre des limites à l'atténuation; elle ne peut descendre que de deux et même d'un degré dans l'échelle des peines. Dans le second, la faculté d'atténuation est pour ainsi dire illimitée, puisqu'elle ne s'arrête qu'au taux des peines de police. Dans la première hypothèse, le jury provoque l'atténuation et concourt à la prononcer: dans la seconde, ce droit est réservé au tribunal correctionnel, ou à la Cour d'assises prononçant comme tribunal correctionnel.

Le dernier paragraphe de l'art, 463 est ainsi conçu : « Dans tous les cas où la peine de l'emprisonnement et celle de l'amende sont prononcées par le Code pénal, si les circonstances paraissent atténuantes: les tribunaux correctionnels sont autorisés, même en cas de récidive, à réduire l'emprisonnement même au-dessous de six jours, et l'amende même au-dessous de seize francs; ils pourront aussi prononcer séparément l'une ou l'autre de ces deux peines, et même substituer l'amende à l'emprisonnement, sans qu'en aucun cas elle puisse être au-dessous des peines de simple police. »

2702. Nous devons consigner ici la modification qui avait été apportée à ce paragraphe par la loi du 13 mai 1863 et qui a été effacée par le décret du 27 novembre 1870.

Le projet du gouvernemeut, plus rigoureux que la disposi

tion définitivement adoptée par le législateur de 1863, proposait de restreindre la faculté d'atténuation à six mois d'emprisonnement et 100 fr. d'amende, si le minimum légal de ces deux peines était de deux ans et de 500 fr., et de le restreindre à trois mois et 25 fr., si le minimum était d'un an et de 100 fr. Les motifs de cette double limite étaient ceux-ci :

« Il implique contradiction, disait l'exposé des motifs, que la loi, dont c'est le devoir et l'attribut essentiel de déterminer d'une manière générale le caractère des infractions et d'y proportionner les peines, remette à un juge, quand on en vient à l'application, le pouvoir d'effacer jusqu'au moindre vestige de cette distribution proportionnelle. L'effet des circonstances atténuantes, le mot même l'indique, ne saurait aller jusque-là : elles atténuent, elles n'effacent point. La théorie des circonstances atténuantes ne saurait être la même dans les deux grandes divisions de notre système pénal; la pénalité des délits doit être plus discrétionnaire que celle des crimes; la loi doit s'y montrer moins jalouse du juge. Nous reconnaissons volontiers cette distinction fondamentale et le projet de loi ne la méconnaît point, il s'y conforme plutôt en ne posant que deux limites, au-dessous desquelles un vaste champ reste ouvert à l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Mais des différences notables de minimum et de maximum entre deux peines, de minimum surtout, expriment une grande inégalité de valeur morale entre les délits auxquels ces peines s'appliquent. Convient-il que la loi, par une sorte d'abdication volontaire et de renoncement d'elle-même, remette au juge un égal pouvoir d'atténuation illimitée sur l'une et sur l'autre, sur la peine de deux à cinq ans, et sur celle de six jours à trois mois d'emprisonnement?

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Le rapport de la commission du Corps législatif, après avoir analysé les propositions qui précèdent et après avoir constaté que la législation tendait sans cesse à étendre le pouvoir d'atténuation conféré aux juges, ajoutait :

En 1832, après une longue expérience et à la suite d'une discussion approfondie, le système des circonstances atténuantes gagna encore du terrain et reçut une consécration complète. On peut dire qu'à partir de cette époque, ce système, arrivé à l'apogée de son développement, est sorti du domaine de la théorie pour entrer dans celui de la pratique, et il convient de se demander quels en ont été les résultats. Si nous consultons à cet égard les statistiques officielles, nous y voyons que, dans la période décennale qui s'est écoulée de 1850 à 1860, les crimes et le

délits ont subi une décroissance constante. Nous avons cru pouvoir tirer de ce fait incontestable la conclusion logique que la répression était suffisante, qu'elle n'était pas énervée par l'usage des circonstances atténuantes, qu'aucun abus ne trahissait sa présence, en un mot, que les intérêts de la société étaient parfaiiement sauvegardés. Ces enseignements pratiques, qui ont été pour votre commission la raison décisive, autorisent en outre les réflexions qui vont suivre. En fait de culpabilité ordinaire et lorsqu'il ne s'agit pas de grands crimes, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de déterminer d'avance des limites précises et des règles fixes: il est difficile de chiffrer mathématiquement le le minimum de la culpabilité et de dire que, pour tel ou tel délit, la peine ne doit jamais descendre au-dessous du chiffre de six mois ou de trois mois d'emprisonnement. Si l'on arrive à un minimum de deux mois ou au-dessous, on est conduit à se demander le grand intérêt qu'il peut y avoir à empêcher les tribunaux de mesurer eux-mêmes et de décider dans leur prudence s'il faut donner quinze jours de plus ou de moins d'emprisonnement. Du point où il est placé, le législateur ne peut mesurer la peine que sur le fait matériel; le juge, au contraire, la mesure à la perversité de l'acte, à la perversité de l'agent et aux besoins du moment la gravité de la même infraction et son danger peuvent varier à l'infini, ils se nuancent à chaque fait et dans chaque espèce, et la culpabilité humaine peut être représentée comme une échelle s'élevant de 0 à 1,000 par des degrés multipliés. En résumé, malgré l'usage parfois extrême qu'on a pu faire des circonstances atténuantes, malgré les critiques qu'elles ont parfois soulevées, nous croyons que l'opinion publique est favorable à leur maintien. C'est ainsi que, cherchant sa règle principalement dans les faits, votre commission a été amenée à penser qu'il n'y avait pas lieu d'enlever à la magistrature le témoignage de confiance dont la loi l'investit et dont elle est jalouse. La société peut, en toute sécurité, rester sous sa sauvegarde; le soin de la défendre ne saurait être confié à des mains plus dignes, plus capables et plus sûres. Toutefois, entre le maintien absolu de l'art. 463, tel qu'il est, ou l'adoption des modifications proposées par le projet, il y avait un moyen terme auquel votre commission a cru devoir s'arrêter. Nous divisons les délits en deux classes la première comprend tous ceux qui sont punis d'un an d'emprisonnement ou d'une amende de cinq cents francs au moins, la seconde comprend tous ceux qui ne sont punis que d'une peine moindre. Nous déclarons que la classification résultera de la peine prononcée par la loi, soit à raison de la nature du délit poursuivi, soit à raison de l'état de récidive du prévenu. Nous décidons que, pour les délits de la première classe, les juges ne pourront pas abaisser l'emprisonnement au-dessous de six jours et l'amende au-dessous de seize francs, ni substituer l'amende à l'emprisonnement. Pour les délits de la seconde catégorie, nous leur laissons toute la latitude qu'ils ont aujourd'hui. Par ce moyen, on ne verra plus la peine d'une simple amende appliquée à des délits dont la nature répugne à ce genre de répression; les grandes in

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