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tion définitivement adoptée par le législateur de 1863, proposait de restreindre la faculté d'atténuation à six mois. d'emprisonnement et 100 fr. d'amende, si le minimum légal de ces deux peines était de deux ans et de 500 fr., et de le restreindre à trois mois et 25 fr., si le minimum était d'un an et de 100 fr. Les motifs de cette double limite étaient ceux-ci :

« Il implique contradiction, disait l'exposé des motifs, que la loi, dont c'est le devoir et l'attribut essentiel de déterminer d'une manière générale le caractère des infractions et d'y proportionner les peines, remette à un juge, quand on en vient à l'application, le pouvoir d'effacer jusqu'au moindre vestige de cette distribution proportionnelle. L'effet des circonstances atténuantes, le mot même l'indique, ne saurait aller jusque-là : elles atténuent, elles n'effacent point. La théorie des circonstances atténuantes ne saurait être la même dans les deux grandes divisions de notre système pénal; la pénalité des délits doit être plus discrétionnaire que celle des crimes; la loi doit s'y montrer moins jalouse du juge. Nous reconnaissons volontiers cette distinction fondamentale et le projet de loi ne la méconnaît point, il s'y conforme plutôt en ne posant que deux limites, au-dessous desquelles un vaste champ reste ouvert à l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Mais des différences notables de minimum et de maximum entre deux peines, de minimum surtout, expriment une grande inégalité de valeur morale entre les délits auxquels ces peines s'appliquent. Convient-il que la loi, par une sorte d'abdication volontaire et de renoncement d'elle-même, remette au juge un égal pouvoir d'atténuation illimitée sur l'une et sur l'autre, sur la peine de deux à cinq ans, et sur celle de six jours à trois mois d'emprisonnement?

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Le rapport de la commission du Corps législatif, après avoir analysé les propositions qui précèdent et après avoir constaté que la législation tendait sans cesse à étendre le pouvoir d'atténuation conféré aux juges, ajoutait :

En 1832, après une longue expérience et à la suite d'une discussion approfondie, le système des circonstances atténuantes gagna encore du terrain et reçut une consécration complète. On peut dire qu'à partir de cette époque, ce système, arrivé à l'apogée de son développement, est sorti du domaine de la théorie pour entrer dans celui de la pratique, et il convient de se demander quels en ont été les résultats. Si nous consultons à cet égard les statistiques officielles, nous y voyons que, dans la période décennale qui s'est écoulée de 1850 à 1860, les crimes et le

délits ont subi une décroissance constante. Nous avons cru pouvoir tirer de ce fait incontestable la conclusion logique que la répression était suffisante, qu'elle n'était pas énervée par l'usage des circonstances atténuantes, qu'aucun abus ne trahissait sa présence, en un mot, que les intérêts de la société étaient parfaiiement sauvegardés. Ces enseignements pratiques, qui ont été pour votre commission la raison décisive, autorisent en outre les réflexions qui vont suivre. En fait de culpabilité ordinaire et lorsqu'il ne s'agit pas de grands crimes, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de déterminer d'avance des limites précises et des règles fixes: il est difficile de chiffrer mathématiquement le le minimum de la culpabilité et de dire que, pour tel ou tel délit, la peine ne doit jamais descendre au-dessous du chiffre de six mois ou de trois mois d'emprisonnement. Si l'on arrive à un minimum de deux mois ou au-dessous, on est conduit à se demander le grand intérêt qu'il peut y avoir à empêcher les tribunaux de mesurer eux-mêmes et de décider dans leur prudence s'il faut donner quinze jours de plus ou de moins d'emprisonnement. Du point où il est placé, le législateur ne peut mesurer la peine que sur le fait matériel; le juge, au contraire, la mesure à la perversité de l'acte, à la perversité de l'agent et aux besoins du moment : la gravité de la même infraction et son danger peuvent varier à l'infini, ils se nuancent à chaque fait et dans chaque espèce, et la culpabilité humaine peut être représentée comme une échelle s'élevant de 0 à 1,000 par des degrés multipliés. En résumé, malgré l'usage parfois extrême qu'on a pu faire des circonstances atténuantes, malgré les critiques qu'elles ont parfois soulevées, nous croyons que l'opinion publique est favorable à leur maintien. C'est ainsi que, cherchant sa règle principalement dans les faits, votre commission a été amenée à penser qu'il n'y avait pas lieu d'enlever à la magistrature le témoignage de confiance dont la loi l'investit et dont elle est jalouse. La société peut, en toute sécurité, rester sous sa sauvegarde; le soin de la défendre ne saurait être confié à des mains plus dignes, plus capables et plus sûres. Toutefois, entre le maintien absolu de l'art. 463, tel qu'il est, ou l'adoption des modifications proposées par le projet, il y avait un moyen terme auquel votre commission a cru devoir s'arrêter. Nous divisons les délits en deux classes la première comprend tous ceux qui sont punis d'un an d'emprisonnement ou d'une amende de cinq cents francs au moins, la seconde comprend tous ceux qui ne sont punis que d'une peine moindre. Nous déclarons que la classification résultera de la peine prononcée par la loi, soit à raison de la nature du délit poursuivi, soit à raison de l'état de récidive du prévenu. Nous décidons que, pour les délits de la première classe, les juges ne pourront pas abaisser l'emprisonnement au-dessous de six jours et l'amende au-dessous de seize francs, ni substituer l'amende à l'emprisonnement. Pour les délits de la seconde catégorie, nous leur laissons toute la latitude qu'ils ont aujourd'hui. Par ce moyen, on ne verra plus la peine d'une simple amende appliquée à des délits dont la nature répugne à ce genre de répression; les grandes in

fractions correctionnelles ne pourront pas dégénérer en de simples contraventions; et, dans la plupart des cas, la récidive aura cette conséquence obligée de soumettre au moins les récidivistes à un emprisonnement de six jours. Nous espérons qu'avec de tels tempéraments la modification apportée à l'art. 463 pourra désarmer les préventions. et échapper à la critique.

Voici le texte des paragraphes proposés par la commission et qui ont été en définitive adoptés par le Corps législatif:

Dans tous les cas où la peine de l'emprisonnement et celle de l'amende sont prononcées par le Code pénal, si les circonstances paraissent atténuantes, les tribunaux correctionnels sont autorisés, même en cas de récidive, à réduire ces deux peines comme suit : si la peine prononcée par la loi, soit à raison de la nature du délit, soit à raison de l'état de récidive du prévenu, est un emprisonnement dont le minimum ne soit pas inférieur à un an ou une amende dont le minimum ne soit pas inférieur à 500 francs, les tribunaux pourront réduire l'emprisonnement jusqu'à six jours où l'amende jusqu'à seize francs. Dans tous les autres cas, ils pourront réduire l'emprisonnement même au-dessous de six jours et l'amende même au-dessous de seize francs. Ils pourront aussi prononcer séparément l'une ou l'autre de ces peines et même substituer l'amende à l'emprisonnement, sans qu'en aucun cas elle puisse être au-dessous des peines de simple police.

2703. Il serait sans objet de reproduire ici la discussion très vive et très prolongée à laquelle cette proposition donna lieu.

Ce qui ressort d'abord de toute cette discussion, ce que nous aimons à constater, c'est que le système des circonstances atténuantes, un moment attaqué, est sorti de cette épreuve avec une force nouvelle. Tous les orateurs, soit qu'ils aient critiqué, soit qu'ils aient défendu la loi, ont proclamé à l'envi que cette institution, utile et féconde, est une précieuse conquête de notre législation moderne, qu'elle a préservé l'ordre en diminuant l'impunité, assuré la répression en permettant qu'elle fût plus juste, et concilié ainsi le double devoir de la justice pénale, qui est de punir avec discernement et mesure. Cette opinion est écrite dans l'exposé des motifs et dans le rapport, elle a été éloquemment

développée dans plusieurs discours nulle voix ne s'est élevée pour la contredire, nulle critique ne s'est fait entendre. Il nous a paru utile de constater ce résultat de la discussion.

La seule question qui ait été controversée est celle de savoir quelle doit être la limite du pouvoir d'atténuation en matière correctionnelle. Ce droit du juge, en ce qui concerne les délits passibles d'un emprisonnement dont le minimum légal est d'un an, ou d'une amende dont le minimum légal est de 500 fr., doit-il s'arrêter à la limite de ces deux peines qui, en matière correctionnelle, est de six jours et de 16 fr.? Doit-il aller au delà, substituer l'amende à l'emprisonnement, et descendre l'une ou l'autre peine au niveau des peines de police ?

Il ne faut pas oublier que le législateur avait, en 1810, décidé cette question dans ce dernier sens, avec la seule condition que le préjudice n'excéderait pas 25 fr. L'exposé des motifs du Code disait à cette époque : « Au moyen de cette précaution, la conscience du juge sera rassurée, et la peine sera proportionnée au délit. » La loi du 28 avril 1832 n'a fait que maintenir la disposition du Code, en en effaçant la restriction du chiffre du préjudice, et en l'étendant aux cas de récidive. On a dit que ce paragraphe, qui composait alors tout l'art. 463, n'avait pas été débattu à cette dernière époque. Il résulte au contraire de la délibération des chambres qu'il fut l'objet de plusieurs amendements qui proposaient de l'étendre encore et qui furent écartés. Mais son principe n'était point en discussion, puisqu'il était déjà dans le Code, et ne constituait par conséquent aucune innovation: il n'y avait donc rien à débattre à ce sujet. ^

Etait-il nécessaire, après une expérience qui a duré plus de trente ans, et qui n'a signalé aucune application excessive de cette disposition, de restreindre une faculté qui était entrée dans le domaine habituel du juge? Etait-il utile d'apporter une limite à un pouvoir dont il n'avait pas abusé? Cette limite assurément a été posée avec une grande modération. Il y a une énorme distance entre le projet adopté par le Conseil d'Etat et le projet adopté par le Corps législatif. Il

faut savoir gré à la commission de la résistance qu'elle a opposée au premier projet. L'amendement auquel elle s'est ralliée n'a rien d'excessif.

Mais, même ainsi circonscrite, c'est encore une limite, c'est une restriction du pouvoir du juge; et la question de savoir si, en matière de délits, en matière purement correctionnelle, il est bien qu'une telle disposition vienne enchaîner le droit d'atténuation, se pose encore, non point sans doute avec la même gravité qu'en face du premier projet, mais cependant dans les mêmes termes.

Les principaux arguments qui ont été apportés dans ce débat peuvent se réduire à ceux-ci d'une part, on invoquait la nature variable des délits, dont les nuances sont infinies, qui, par les mille circonstances qui les modifient et les mille formes qu'ils revêtent, peuvent s'amoindrir jusqu'à la plus minime valeur, et dont la criminalité a des degrés aussi incalculables que les degrés qui séparent l'ombre de la lumière; d'où l'on concluait, si l'on veut que la peine tienne compte des faits moraux, à la nécessité de descendre l'échelle de la pénalité jusqu'au dernier échelon. D'une autre part, on opposait l'utilité de fixer une limite à cette faculté pour maintenir l'effet préventif de la peine, pour rétablir entre les deux parties de l'art. 463 l'harmonie résultant de l'application d'une même règle, pour retenir le juge qui serait disposé à céder à des sollicitations ou à la pitié. pour sauvegarder l'égalité dans la distribution des peines.

Le droit du législateur de relever le minimum d'une peine n'a été contesté par personne. Toute la question était de savoir s'il y avait lieu de le faire. On a cité, pour l'affirmer, le nombre assez considérable des cas où le juge a descendu la répression jusqu'à une simple amende, lorsque le titre du délit était le vol ou l'escroquerie. Comment la loi pénale conserverait-elle une salutaire intimidation, s'il dépend du juge d'affranchir le prévenu d'escroquerie ou de vol de la peine d'emprisonnement? Est-ce que l'amende est une répression suffisante de délits aussi graves? Assurément non ;

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