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CHAPITRE XCI.

de l'incendie CAUSÉ PAR NÉGLIGENCE OU IMPRUDENCE.

(Commentaire de l'art. 458 du Code pénal.)

2658. Disposition de la législation sur les faits d'imprudence ou de négligence qui peuvent occasionner des incendies.

2659. Ces faits prennent le caractère d'un délit lorsqu'un incendie en est la conséquence (art. 458).

2660. Défaut de nettoyage des fours, cheminées, forges, maisons ou usines prochaines, 471, n. 2.

2661. Feux allumés dans les champs à une distance prohibée.

2662. Feux et lumières portés et laissés sans précaution suffisante.

2663. Pièces d'artifice tirées avec imprudence.

2658. Nous avons exposé dans notre chapitre LXXXVI la matière de l'incendie volontaire.

La prévoyance de la loi s'est étendue jusqu'à l'incendie qui ne provient point d'une volonté coupable, mais qui est le résultat d'une simple faute, d'une imprévoyance ou d'une négligence.

Cette faute peut consister soit dans la vétusté ou le défaut de réparation ou de nettoyage des fours, cheminées, forges, maisons ou usines;

Soit dans les feux allumés dans les champs à moins de cent métres de distance des maisons, forêts, bruyères, vergers, plantations, etc.;

Soit dans les feux portés ou laissés sans précaution suffisante;

Soit dans le fait d'allumer et de tirer des pièces d'artifice sans précaution,

Chacun de ces actes d'imprudence ou de négligence constitue une simple contravention, lorsqu'il n'en est résulté aucun fait d'incendie.

Ainsi l'art. 471 punit des peines de police, dans les paragraphes 1 et 2: « Ceux qui auront négligé d'entretenir, réparer ou nettoyer les fours, cheminées ou usines où l'on fait usage du feu; ceux qui auront violé la défense de tirer en certains lieux des pièces d'artifice. »>

Ainsi l'art. 10 du titre 2 du Code rural punit d'une amende égale à la valeur de douze journées de travail : << toute personne qui aura allumé du feu dans les champs plus près que 50 toises des maisons, bois, bruyères, vergers, haies, meules de grains, de paille ou de foin. »>

Ainsi l'art. 448 du Code forestier dispose que « Il est défendu de porter ou allumer du feu dans l'enceinte et à la distance de 200 mètres des bois et forêts, sous peine d'une amende de 20 à 200 francs, sans préjudice, en cas d'incendie, des peines portées par le Code pénal. »

2659. Si l'acte d'imprudence ou de négligence a eu pour résultat un incendie, il prend le caractère d'un délit, et devient l'objet de l'art. 458 du Code pénal.

Cet article est ainsi conçu :

« L'incendie des propriétés mobilières et immobilières d'autrui, qui aura été causé par la vétusté ou le défaut soit de réparation, soit de nettoyage des fours, cheminées, forges, maisons ou usines prochaines, ou par des feux allumés dans les champs à moins de cent mètres des maisons, édifices, forêts, bruyères, bois, vergers, plantations, haies, meules, tas de grains, pailles, foins, fourrages ou tout autre dépôt de matières combustibles, ou par des feux ou lumières portés ou laissés sans précaution suffisante, ou par des pièces d'artifice allumées ou tirées par négligence ou imprudence, sera puni d'une amende de 50 francs au moins et de 500 francs au plus 1. »

Il faut distinguer, comme éléments constitutifs du délit, le

1. ** L'art. 309 du Code pénal allemand porte, d'une manière plus génénérale Celui qui, par négligence ou imprudence, aura occasionné un incendie... sera puni de l'emprisonnement pendant un an au plus ou d'une amende de 300 thalers au plus; si cet incendie a occasionné la mort d'une personne, le coupable sera puui d'un emprisonnement d'un mois à trois ans. »

fait de l'incendie, la nature de l'objet incendié, enfin l'imprudence ou la négligence qui l'a occasionné.

L'incendie est une circonstance essentielle du délit ; c'est l'incendie que la loi punit; s'il n'a point éclaté, l'imprudence ou la négligence n'est plus qu'une simple contravention.

Il faut, en second lieu, que l'incendie ait consumé les propriétés mobilières ou immobilières d'autrui; la loi confond ici ce qu'elle distingue dans les art. 434 et 440, l'incendie des choses mobilières ou immobilières, et elle exige dans les deux cas que ces choses soient la propriété d'autrui. Ainsi celui qui, par négligence ou imprudence, met le feu à sa propre chose, n'est passible d'aucune peine.

Enfin, et c'est le troisième élément du délit, il faut que la cause de l'incendie soit puisée dans une faute de l'agent, et que cette faute rentre dans l'une des quatre hypothèses prévues par l'art. 458.

2660. La première de ces hypothèses est la vétusté ou le défaut, soit de réparation, soit de nettoyage des fours, cheminées, forges, maisons ou usines prochaines. Il faut, dans ce cas, que l'édifice soit réellement en état de vétusté, ou qu'il y ait eu défaut de réparation et de nettoyage, et que l'incendie qui s'est manifesté ait été causé par cet état de vétusté ou de défaut de réparation. La loi exige de plus que les forges, cheminées, maisons qui ont causé l'incendie, fussent prochaines des propriétés incendiées : cette condition est essentielle; car, si la chose par laquelle le feu a été communiqué n'avait pas été prochaine, la communication n'aurait pu être prévue, et la faute ne serait pas aussi grave. Carnot veut que toutes les choses qui ne sont pas à plus de cent mètres de distance soient considérées comme prochaines 1. Cette distance n'a été formulée par l'article que relativement à la deuxième hypothèse, et les termes de la loi ne doivent point être étendus d'un cas à un autre. En général, les propriétés sont prochaines quand elles sont susceptibles de se communiquer l'incendie; cette proximité donne à la négligence un

1. Commentaire du Code pénal, t. 2, p. 516,

caractère plus intense, attendu que son auteur a pu prévoir qu'il mettait en péril les propriétés d'autrui; lorsque la distance est telle, au contraire,qu'il n'a pu penser que la communication fût possible, la négligence cesse d'avoir le caractère d'un délit.

2661. La deuxième des fautes prévues par l'article 458 est d'avoir allumé des feux dans les champs à moins de cent mètres des maisons, édifices, forêts, bruyères, bois, vergers, plantations, haies, meules, tas de grains, pailles, foins, fourrages, ou de tout autre dépôt de matières combustibles. L'acte d'imprudence consiste donc dans les feux allumés à la distance prévue par la loi; si ces feux avaient été allumés à plus de cent mètres, et que néanmoins le vent eût porté l'incendie à des objets situés à cette distance, cet incendie cesserait de constituer un délit.

2662. La troisième faute consiste dans le fait de porter ou de laisser des feux et lumières sans précaution suffisante. Ainsi, il ne suffit pas que l'incendie ait été causé par les feux ou lumières qui ont été portés ou laissés non loin de matières combustibles; il faut, pour l'existence du délit, que ces feux ou lumières aient été portés sans précaution suffisante; c'est ce défaut de précaution qui constitue l'imprudence, signe caractéristique du délit. La deuxième et la troisième hypothèse posées par l'article diffèrent donc en ce point, que le seul fait d'allumer des feux à la distance prohibée constitue le délit, s'il en est résulté un incendie; tandis que le fait de porter ou de laisser des feux, même à une distance moindre, n'a le caractère du délit qu'au seul cas où c'est par l'effet d'une précaution nécessaire, mais négligée, que l'incendie a éclaté. Il a été jugé que cette disposition s'applique aux incendies causés par les étincelles qui jaillissent de la locomotive d'un chemin de fer: « Attendu que les termes de l'article 458 sont généraux et absolus; qu'ils s'appliquent à tous les faits de dispersion des feux ou lumières laissés ou portés par la main de l'homme, et nécessairement aussi à l'aide des machines que sa main dirige; que, l'imprudence et le défaut de

précaution étant constatés, l'application faite de l'article est régulière 1».

2663. Le quatrième fait prévu par l'article 458 est l'acte d'allumer ou de tirer avec imprudence ou négligence des pièces d'artifice. La loi exige donc, non-seulement que l'incendie ait été causé par les pièces d'artifice, mais que ces pièces aient été lancées avec négligence ou imprudence; si aucune faute n'est imputable à celui qui les a tirées, l'incendie qu'il a accidentellement allumé ne constitue aucun délit.

Telles sont les quatre fautes qui, réunies au fait de l'incendie, peuvent constituer le délit prévu par l'art. 458. La loi ne demande point ici une intention de nuire, elle n'exige même pas la volonté d'incendie; elle suppose que l'incendie est purement involontaire, mais elle punit l'imprudence ou la négligence qui l'a occasionné: c'est cette faute qui constitue la moralité du délit.

1. Cass., 23 juin 1859, Bull. n. 149; Devill. et Car., 59.1.781; J.P.60.109 D.P.59.1.329.

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