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Un autre arrêt a déclaré non moins explicitement : « que, si la destruction volontaire d'un titre contenant obligation constitue le délit prévu par l'art. 439, il faut cependant, comme condition nécessaire de l'application de cet article, que la destruction des titres ait eu lieu avec l'intention de nuire à autrui; que le jugement attaqué constate que le prévenu a volontairement détruit l'acte obligatoire consenti au profit d'un tiers ; qu'il indique en outre que la remise volontaire que ce tiers aurait faite de cet acte n'impliquerait pas un consentement; que, si de l'ensemble de ces faits résultent les caractères du délit, le même jugement, en déclarant qu'il a été bien jugé quant à la matérialité du fait, lui enlève en même temps la pensée coupable qui seule pouvait lui attribuer les caractères d'un fait punissable; que de ces appréciations contradictoires ne résulte pas la constatation nécessaire de l'intention frauduleuse qui aurait accompagné la destruction volontaire du titre imputée au prévenu; que, dès lors, les motifs ne justifiant pas l'application qui a été faite de l'art. 439, il y a fausse application et violation de cet article 1.

2625. Résumons les conditions que l'art. 439 exige pour son application. Il faut, en premier lieu, que la destruction de fait soit consommée, et que cette destruction, qui peut n'être que partielle, comme la lacération, ait eu pour effet d'anéantir le titre, de lui enlever sa force obligatoire; il est nécessaire ensuite que cette destruction ait porté, soit sur des actes de l'autorité publique, soit sur des effets de commerce, et dans ce cas cette action est qualifiée crime; soit sur des actes privés, et elle ne constitue plus qu'un délit. Une

1. Cass., 20 janv. 1833. Bull. n. 21. **Toutefois, la Cour suprême a jugé que la circonstance de volonté constitutive du crime de destruction de titre résulte suffisamment des énonciations de l'arrêt constatant que l'accusé a fait disparaître un testament qui l'exhérédait, et l'a détruit afin de s'emparer illégalement d'un patrimoine qu'il savait devoir passer ex clusivement aux légataires désignés (Cas., 5 avril 1872; Bull, n. 83). Remarquons, en outre, que le mot volontairement n'implique pas nécessairement l'intention de nuire, et qu'il comprend également l'intention de s'approprier un profit illégitime.

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troisième condition, qui s'étend aux actes publics comme aux actes privés, est que ces actes contiennent ou opèrent obligation, disposition ou décharge; s'ils n'ont pas ce caractère, en effet, il n'y a plus de préjudice, il n'y a plus de délit. Enfin la loi exige que la destruction ait été commise volontairement, c'est-à-dire avec intention de nuire ; c'est là l'élément moral du délit, la condition de la criminalité du fait.

2626. Le concours de ces éléments constitue le crime ou le délit de la destruction de titre; mais, en cette matière, une difficulté grave peut entraver la poursuite: le délit est subordonné à la preuve de l'existence du titre, et comment faire cette preuve par témoins, si ce titre porte une obligation supérieure à la somme de 150 fr. ?

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La Cour de cassation a jugé : « que l'action criminelle est admissible, lorsque le fait qui motive les poursuites a eu précisément pour objet la destruction ou la soustraction de la preuve littérale de l'obligation; que l'art. 1341 du Code civil n'est applicable qu'aux conventions et aux faits dont il a été possible aux parties de se procurer une preuve écrite ; que la soustraction d'un titre est un délit personnel à celui qui le commet, un fait conséquemment susceptible de la preuve testimoniale 2. » Nous avons déjà appliqué cette doctrine en matière d'abus de blanc seing. Le fait de la destruction ne constitue aucune convention, et il a été impossible à celui qui s'en plaint de s'en procurer une preuve par écrit; la preuve testimoniale est donc admissible. A la vérité, le fait de la destruction suppose l'existence de la convention; la preuve de la destruction est donc la preuve de la convention; mais cette preuve n'est qu'implicite, et, par voie de conséquence, ce n'est pas la convention qu'on prouve, c'est le délit le délit consiste dans un fait matériel susceptible de toute espèce de preuves; s'il n'existe qu'à la condition d'une convention préexistante,

1. Cass., 4 oct. 1816, Devill. et Car., 5.240; Dall., v. Dom. destr. n. 200.

2. Cass,, 12 sept. 1816, Ball. n. 64; Devill. et Car., 5.238; Dall., ve Dom. destr., n. 199; 9 mars 1871, Bull. n. 36; Devill. et Car., 72.1.94: Pal. 72. 189; D. P. 71,1.70. ** Adde Cass. civ., 10 mars 1875; S, 75.1.172.

i en est séparé et distinct. Il en serait autrement si la pièce détruite avait été déposée entre les mains du prévenu, car alors le fait du dépôt devrait être prouvé par titres 1.

2627. Mais ici se présente une autre question: si la pièce détruite a été confiée à un tiers, et détruite par ce tiers, quel délit constituera ce fait? celui de détournement prévu par l'art. 408, ou celui de destruction d'actes prévu par l'art. 439? Il semble, au premier abord, que ce dernier article doit seul être appliqué, car seul il punit la destruction des actes, et sa disposition est générale; mais il faut remarquer que cette disposition n'a qu'un but, c'est de punir une voie de fait, un acte de violence destructif d'une propriété. Or cette destruction prend un tout autre caractère quand elle est précédée de la remise volontaire, du dépôt de l'acte détruit; elle perd son caractère de violence pour revêtir celui de l'abus de confiance; l'agent ne fait alors, en effet, que détourner, que dissiper les billets, les quittances, les écrits contenant ou opérant obligation ou décharge, et qui lui ont été remis à titre de dépôt; qu'importe qu'il les ait détournés en les détruisant ou de toute autre manière? l'effet est le même pour le propriétaire ; le délit ne peut donc emprunter au seul mode de détournement un caractère différent. D'ailleurs, par le seul fait du dépôt, le propriétaire a commis une faute qu'il doit s'imputer, et il a été la cause du délit; cette circonstance imprimé en général aux abus de confiance un caractère qui les distingue des autres délits contre les propriétés. La destruction qui suit le dépôt n'est donc qu'un abus de confiance 2.

1.** Comp. toutefois, Cass., 20 nov. 1873; Bull. n. 279.

2. Conf. Cass., 23 sept. 1853, Bull. n. 481; Devill. et Car., 54.1.213; Pal.55.1.178.

TOME VI.

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CHAPITRE LXXXVIII.

DE LA DESTRUCTION DES ANIMAUX.

(Commentaire des art. 452, 453, 454 et 455 du Code pénal.)

2628. Objet de ce chapitre: texte de l'art. 452.

2629. Éléments du délit prévu par cet article.

2630. L'énumération des animaux qu'il fait est limitative.

2631. De la destruction par d'autres moyens que l'empoisonnement (ar

ticle 453).

2632. Ceux qui ont blessé sans les tuer les animaux désignés par la loi sont-ils passibles d'une peine?

2633. Application faite par la jurisprudence de l'art. 30, titre 2, de la loi du 28 septembre-6 octobre 1791.

2634. Il n'y a plus de délit quand il y a eu nécessité.

2635. Il est nécessaire de constater qué la destruction à été volontaire. 2636. Le lieu où l'animal a été tué peut devenir une circonstance aggravante ou atténuante du délit.

2637. De la destruction des animaux domestiques. Ce qu'il faut entendre par cette expression (art. 454).

2638. Caractère de cette destruction.

2639. Caractères particuliers de la destruction des animaux domestiques.

2628. Le Code pénal, après avoir puni la destruction des diverses propriétés, punit celle des animaux ; il les divise en deux catégories :

La première comprend les chevaux ou autres bêtes de voiture ou de charge, les bestiaux à cornes, les moutons, les chèvres, les porcs, enfin les poissons;

La deuxième comprend les animaux domestiques.

A l'égard des animaux de la première catégorie, la loi prévoit deux modes de destruction, l'empoisonnement et la destruction par tout autre moyen; ces deux modes de destruction font l'objet de deux dispositions distinctes.

La législation de 1791 avait également fait cette distinction. L'article 36 de la section 2 du titre 2 du Code du 25 septembre-6 octobre 1791 prévoyait, par une disposition spéciale, l'empoisonnement de certains animaux: << Quiconque sera convaincu d'avoir, par malice ou vengeance, et à dessein de nuire à autrui, empoisonné des chevaux et autres bêtes de charge, moutons, porcs, bestiaux, et poissons dans les étangs, rivières ou réservoirs, sera puni de six années de fers. »

L'art. 452 du Code pénal a fidèlement reproduit cette disposition, en modifiant seulement la gravité du fait et en ne lui laissant que le caractère d'un simple délit : « Quiconque aura empoisonné des chevaux ou autres bêtes de voiture, de monture ou de charge, des bestiaux à cornes, des moutons, des chèvres ou porcs, ou des poissons dans les étangs, rivières ou réservoirs, sera puni d'un emprisonnement d'un à cinq ans, et d'une amende de 16 francs à 300 francs. Les coupables pourront être mis, par l'arrêt ou le jugement, sous la surveillance de la haute police, pendant deux ans au moins et cinq ans au plus 1. »>

2629. Il résulte de cette disposition que le délit se compose de deux éléments: le fait de l'empoisonnement, et la qualité de l'animal empoisonné.

:

Deux conditions sont nécessaires pour qu'il y ait empoisonnement l'intention de porter atteinte à la vie, l'attentat consommé par l'administration d'une substance capable de donner la mort.

La volonté de donner la mort est une eirconstance essentielle du délit ; car celui qui administre un poison en ignore souvent la puissance, et on ne peut lui imputer un accident qu'il n'aurait pas prévu; il faut donc qu'il soit constaté que l'agent a connu les effets de la substance vénéneuse, et qu'il l'a administrée pour les lui faire produire. Il ne s'agit pas

1. ** On sait que la surveillance de la haute police a été abolie par la loi du 27 mai 1885 (art. 19) et remplacée par la défense faite au condamné de paraître dans les lieux dont l'interdiction lui aura été signifiée par le Gouvernement avant sa libération.

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