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par cet article, s'il était commis sur un objet qui ne serait destiné ni à la fabrication ni à la vente, et qui ne serait pas dans le commerce avec le caractère d'une marchandise.

2600. La question s'est élevée de savoir si sous le mot marchandises on peut comprendre les objets d'art, tels que les tableaux, les dessins, les statues, les bas-reliefs, lorsque ces objets sont encore dans l'atelier de l'artiste et qu'il les destine à la vente. L'affirmative a été décidée par un jugement portant: « que l'expression marchandises, employée dans l'art. 443, comprend toutes les choses mobilières destinées ou livrées au commerce, et qui se trouvent dans les mains soit du producteur, soit de celui qui en fait négoce ; que c'est ce qui résulte du rapprochement et de la combinaison des art. 440, 441, 442, 443 et 479, no 4er, du Code pénal; de là il suit que les tableaux, les dessins, les gravures, les statues et autres objets d'art ont le caractère de marchandises, non-seulement à l'égard de celui qui en fait le commerce, mais encore pour l'artiste qui les produit, parce que l'un ne les achète que pour les revendre, et que l'autre ne les produit le plus ordinairement que dans l'intention de les vendre; qu'à la vérité, considérée au point de vue de la pensée et du génie, l'œuvre de l'artiste se distingue essentiellement de ce que vulgairement on entend par marchandise; mais qu'il en est autrement quand on l'apprécie sous le rapport de l'intérêt et du but matériel de l'auteur, parce que, si l'amour des arts et de la gloire anime, encourage l'artiste dans la création et l'accomplissement de son œuvre, il est évident aussi que le plus souvent il imagine et produit pour satisfaire aux nécessités de la vie, et en considération, dès lors, des avantages pécuniaires qu'il doit naturellement et légitimement trouver dans la vente de son œuvre et dans le droit de la reproduire en la livrant à l'industrie; que, placé à ce point de vue, il est manifeste que l'artiste n'est plus qu'un producteur ordinaire, et sa composition, sa production, son œuvre enfin, qu'une véritable marchandise; d'où la conséquence que, l'artiste produisant comme fabricant, l'œuvre de l'artiste, comme marchandise, se trouve nécessairement sous l'empire des dispositions de l'art. 443;

qu'autrement les objets d'art que confectionne l'artiste, ou que débite le marchand, seraient moins protégés que les marchandises à proprement parler, puisque les mutilations, les dégradations que la méchanceté leur ferait subir, ne serait qu'une simple contravention punie de 15 fr. d'amende, tandis qu'elles constitueraient un délit grave et sévèrement réprimé, si elles atteignaient la marchandise, telle, par exemple, qu'une pièce d'indienne; que c'est là une contradiction. qu'on ne peut supposer à la loi . » Nous ne pouvons rien ajouter à ces motifs pleins de force et de justesse, dont nous adoptons la doctrine. L'œuvre de l'artiste est un objet de commerce en même temps qu'un objet d'art, et il serait étrange que son mérite artistique l'empêchât de profiter d'une protection qui s'étend aux plus viles marchandises. Toutefois, il faut prendre garde que l'objet d'art ne peut revêtir ce caractère de marchandise que lorsqu'il se trouve soit dans l'atelier de l'artiste qui le destine à la vente, soit dans le magasin du marchand qui l'expose pour être vendu. Lorsque cette vente est effectuée, lorsque son placement est définitif, cet objet abdique ce caractère momentanément commercial, il ne conserve que son caractère artistique, et l'art. 443 cesse alors de lui être applicable.

2601. La peine de ce délit est un emprisonnement d'un mois à deux ans, et une amende qui peut s'élever de 16 fr. au quart des dommages-intérêts, Mais cette peine s'aggrave, sans que le délit change de nature, s'il a été commis par un ouvrier de la fabrique ou par un commis de la maison de commerce; l'emprisonnement est alors de deux à cinq ans, sans préjudice de l'amende. Cet ouvrier ou ce commis se rendent coupables, en effet, d'un abus de confiance qui ajoute à la gravité du délit de destruction.

§ IV.

Destructions et dévastations de récoltes, plants, arbres, greffes, grains ou fourrages.

2602. Nous réunissons dans ce paragraphe plusieurs faits

1. Jug. du trib. corr. de la Seine du 22 fév. 1812; Dall., v. Dom. destr., n, 231.

de dévastation qui ont des caractères communs, soit parce qu'ils se rattachent au même intérêt, celui de l'agriculture, soit parce qu'ils concernent tous également des objets qui sont confiés à la foi publique.

Telles sont les dévastations de récoltes sur pied, ou de plants venus naturellement ou faits de main d'homme ;

Le fait d'abattre des arbres, ou simplement de les mutiler, quand la perte de l'arbre peut en résulter ;

La destruction des greffes;

L'action de celui qui coupe des grains ou fourrages qu'il sait appartenir à autrui ;

Les ruptures ou destructions d'instruments d'agriculture. 2603. Les dévastations des récoltes font l'objet de l'article 444. Cet article est ainsi conçu: « Quiconque aura dévasté des récoltes sur pied ou des plants venus naturellement ou faits de main d'homme, sera puni d'un emprisonnement de deux ans au moins, de cinq ans au plus. Les coupables pourront de plus être mis, par l'arrêt ou le jugement, sous la surveillance de la haute police pendant cinq ans au moins et dix ans au plus 1.»

Cet article est la reproduction presque textuelle de l'article 29 du titre 2 de la loi du 28 septembre-6 octobre 1791, sur la police rurale. Ce dernier article portait en effet :

Quiconque sera convaincu d'avoir dévasté des récoltes sur pied, ou abattu des plants venus naturellement ou faits de main d'homme, sera puni d'une amende double du dédommagement dû aux propriétaires, et d'une détention qui ne pourra excéder deux années. » Les peines seules ont été modifiées.

On doit distinguer deux choses dans cette disposition : le fait de la dévastation et la nature de l'objet dévasté.

La dévastation, en général, est l'action de ruiner, de saccager, de désoler un pays. Il s'agit donc ici de la ruine, du

1. ** On sait que la surveillance de la haute police a été abolic par la loi de 27 mai 1885 (art. 19) et remplacée par la défense faite au condamné de paraître dans les lieux dont l'interdiction lui aura été signifiée par le Gouvernement.

saccagement, de la destruction des récoltes ou des plants, car on doit supposer que la loi a donné à ce mot son sens naturel et ordinaire; si elle avait voulu lui donner un autre sens, elle l'eût défini. Il faut donc distinguer la dévastation de l'enlèvement partiel de quelques plants, de quelques parties de récoltes on peut enlever pour dévaster, mais l'enlèvement doit être général et avoir pour but la dévastation. Il faut également distinguer la dévastation du vol de récoltes et du maraudage. Dans ce dernier cas, le but principal de l'agent, c'est le vol; s'il dévaste, c'est pour voler dans le premier, au contraire, il ne s'empare pas des récoltes et des plants, il ne vole pas, il saccage, mais pour nuire; il ne cherche pas son propre avantage, mais seulement le préjudice d'autrui.

2604. La question s'est élevée de savoir s'il y a dévastation de récoltes dans le fait d'avoir méchamment répandu une grande quantité d'ivraie dans le champ d'autrui préparé pour être ensemencé 1. On peut soutenir que la solution doit être négative. En premier lieu, le délit de dévastation de récolte suppose nécessairement une récolte existant au moment de la dévastation or un champ ne renferme pas de récolte lorsqu'il est simplement préparé pour l'ensemencement, ou même ensemencé, si les productions qu'il recèle n'apparaissent pas à sa surface. Ensuite, le seul rapprochement du fait que la loi punit et du fait qu'il s'agit de punir prouve que ces deux faits ne sont pas identiques; l'étouffement plus ou moins complet du grain par l'ivraie n'est point une dévastation, dans le sens propre de ce mot; les effets peuvent être les mêmes, mais les actes diffèrent essentiellement. Celui qui sème l'ivraie nuit à la récolte, mais il ne la saccage point; il ne lui nuit même que pour l'avenir, et non pas actuellement; de sorte que, si la graine malfaisante qu'il répand, par quelque accident, ne germait pas, il n'y aurait point de dommage, et par conséquent point de délit. Ce n'est donc point là le fait

1. Trib. corr. de Lille, 24 déc. 1839, Journ. du dr. crim., t. 12, p. 141; Dall., vo Dom. destr., n. 238.

qu'a prévu l'article 444. Au reste, le délit de dévastation suppose nécessairement la méchanceté, l'intention de nuire ; si la dévastation a été le résultat d'un accident, si, par exemple, l'agent l'a causée en laissant passer ses bestiaux ou ses voitures sur le champ couvert de récoltes, il ne sera responsable que d'une négligence, et passible que d'une peine de police, aux termes des articles 471, nos 13 et 14, et 475, no 10 du Code pénal, à moins qu'il ne soit constaté qu'il a agi par malice et à dessein de porter préjudice. Mais nous devons ajouter que cette interprétation n'a pas été adoptée par la Cour de cassation. Dans une espèce où il était constaté que le prévenu avait semé méchamment une grande quantité de graines d'ivraie sur des terres ensemencées de blé et appartenant à un tiers, il a été jugé : « que l'article 444 n'a rien de restrictif ni dans son esprii ni dans son texte; qu'en effet, il ne limite pas les caractères de l'acte qu'il qualifie de dévastation; qu'il lui importe peu dès lors que les effets devant en résulter fatalement soient actuels ou futurs; que, d'un autre côté, en parlant de récolte, et spécialement de récoltes sur pied, l'article 447 n'a pas été plus restrictif et n'a pas entendu limiter le délit au cas unique où la récolte semée serait déjà sortie du sol, et se trouverait dans un état plus ou moins voisin de la maturité; qu'une telle interprétation, qui, du reste, donnerait lieu dans l'application à un grand nombre de distinctions arbitraires, est condamnée par l'ensemble et l'économie de la législation en cette matière; qu'en effet, il ressort de la combinaison de nos lois civiles et de nos lois pénales, que les expressions récoltes sur pied sont employées d'ordinaire en opposition avec les expressions récoltes detachées du sol, et constituent les deux catégories principales dans lesquelles sont rangés les fruits, nés ou à naître, de la terre; que c'est dans ce cas qu'a évidemment disposé l'article 444, puisque, s'il en était autrement, et s'il était vrai qu'il eût distingué entre la récolte ensemencée et la récolte sortie du sol, on arriverait à cette conséquence que, sur deux faits empreints du même caractère intentionnel et moral, et entraînant les mêmes conséquences matérielles, l'un serait ré

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