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communication de l'incendie pourra s'établir entre les dépendances et la maison. Que sont le plus souvent les granges, écuries, cours, bassescours et autres édifices qui y sont enfermés, sinon les bâtiments contigus ou presque contigus à la maison habitée ?-N'est-ce pas dans ces édifices qne l'incendie commence presque toujours, parce que l'accès en est plus facile, parce qu'ils renferment des matières plus aisément inflammables? Pour quelques cas rares où la dépendance serait hors de portée et où le danger de communication de l'incendie se serait amoindri, faut-il négliger les cas nombreux où la dépendance fait pour ainsi dire partie intégrante de la maison elle-même, et où le principe qui domine l'incrimination de l'incendie existe dans toute sa force? Il est bien vrai que l'avant-dernier paragraphe de l'article 434 aggrave la peine de l'incendie lorsqu'il s'est communiqué à des lieux habités, quel que soit le point où le feu ait été mis. Mais cette aggravation n'est attachée qu'au résultat, et elle sera bien plus efficace si elle demeure indépendante. Nous l'avons ainsi pensé, et, consacrant d'ailleurs une jurisprudence constante de la Cour de cassation, fondée uniquement sur l'interprétation des textes actuels, nous avons compris dans la même incrimination les lieux habités et leurs dépendances.

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Nous avons dû recueillir ces observations, qui manifestent l'opinion de la commission sur une des questions les plus graves que l'interprétation de l'art. 434 ait soulevées, mais elles sont restées stériles et sans aucun effet. Le projet soumis par la commission au Corps législatif ne porte aucune trace de cette opinion; les mots et leurs dépendances annoncés dans le rapport n'y figurent pas, et la loi les a également omis. Que faut-il induire de là? Est-ce que l'opinion émise dans le rapport et personnelle au rapporteur n'aurait point été adoptée par la commission? Est-ce qu'on a pensé qu'il était inutile de l'exprimer en présence d'une jurisprudence qui est aujourd'hui fixée dans ce sens ? Est-ce enfin l'effet d'une erreur ou d'un oubli ? Nous l'ignorons. Le paragraphe 1er a conservé son texte entier et, par conséquence, les diverses interprétations que ce texte avait fait naître demeurent dans les mêmes termes. L'opinion émise dans le rapport de la commission est un renseignement curieux, mais n'est point un élément nouveau de solution.

2529. Quand les lieux sont habités, la loi ne distingue point s'ils sont la propriété d'autrui ou celle de l'auteur même de l'incendie; la peine est la même, qu'ils appartiennent ou n'ap

partiennent pas à l'auteur du crime1. La raison de cette disposition est visible': ce n'est pas la destruction de la propriété par le feu qu'on veut punir, c'est la vie des hommes qu'on veut protéger; or, quand la maison est habitée, le péril et par conséquent le crime est aussi grand, soit que la maison appartienne ou n'appartienne pas à l'incendiaire. Cette addition, toutefois, n'existait pas dans le projet soumis à la Chambre des députés et voté par cette chambre. Le rapporteur de la Chambre des pairs a dit pour la motiver: « Il est bien clair que la pensée du rédacteur du premier paragraphe a été de punir de mort l'incendiaire d'une maison même qui lui appartient, quand elle est habitée. Pour rendre cette pensée plus claire, et qu'il ne pût y avoir d'équivoque, nous avons ajouté ces mots : qu'ils appartiennent ou n'appartiennent pas à l'auteur du crime. Nous n'avons considéré que la vie de l'homme et la protection qu'on lui doit, et dans les deux cas la peine de mort est prononcée.» Cette disposition confirme toutes nos observations précédentes: la loi ne s'occupe nullement du préjudice causé à la propriété; elle n'en fait point un élément de la répression; elle ne voit, elle ne punit que l'attentat contre les personnes.

2530. Tels sont les caractères du crime d'incendie (qui fait l'objet du § 1er de l'art. 434. La loi exige, dans l'auteur de l'incendie, la volonté d'incendier; elle exige, ensuite, que les lieux incendiés soient habités ou servent à l'habitation; la réunion de ces deux éléments suffit pour motiver la peine de mort. Il n'est point nécessaire que l'auteur du crime ait eu la volonté spéciale d'attenter à la vie des habitants de la mai

1. ** Jugé que la circonstance d'habitation est constitutive du crime d'incendie quand l'édifice incendié appartient à l'accusé, aggravante dans le cas contraire, et qu'alors elle doit faire l'objet d'une question séparée (Cass., 19 décembre 1872; Bull. n. 327). Jugé encore que le jury ne peut, sans complexité, être interrogé par une seule et même question à l'effet de décider si l'accusé est coupable « d'avoir inis le feu à une maison habitée et appartenant à autrui », l'incendie d'une maison habitée et l'incendie d'une maison appartenant à autrui constituant deux crimes distincts, qui doivent faire l'objet de questions séparées (Cass., 10 avril 1873, n. 97).

son qu'il a incendiée; il a mis leur existence en péril volontairement, il est puni comme s'il avait eu le dessein d'y attenter. Il n'est point nécessaire que l'édifice qu'il a détruit soit la propriété d'autrui ; il lui appartiendrait, que son crime ne changerait point de nature; l'attentat contre les personnes absorbe et fait disparaître l'attentat contre la propriété. De là il suit que, dans les accusations d'incendie, il est important de distinguer, avant toutes choses, si le bâtiment incendié est la propriété d'autrui ou la propriété de l'accusé. Si le bâtiment est la propriété d'autrui, le fait principal de l'accusation est d'avoir volontairement mis le feu à un édifice appartenant à autrui, et le fait que cet édifice est habité où dépend d'une maison habitée est une circonstance aggravante qui doit être posée séparément au jury 1. Si le bâtiment est la propriété de l'accusé, le fait que ce bâtiment serait habité ou dépendrait d'une maison habitée devient constitutif du crime, et doit par conséquent entrer dans la question principale 2. Cette distinction, qui résulte de la nature des choses, a donné lieu à de fréquentes difficultés: nous avons indiqué ailleurs comment les questions doivent être posées en cette matière 3.

2531. L'art. 434 assimilait à l'incendie des maisons habitées celui de certains édifices publics. Le deuxième paragraphe de cet article portait : « Sera puni de la même peine quiconque aura volontairement mis le feu à tout édifice servant à des réunions de citoyens. >>>

Ce paragraphe avait été introduit par amendement dans la discussion de la Chambre des députés; son auteur dit à l'appui «< mon intention est d'assimiler à l'incendie d'une maison habitée l'incendie d'un bâtiment public destiné à des réunions de citoyens. Je suppose que le feu soit mis dans un bâtiment de ce genre au moment où les citoyens y sont as

1. Cass., 9 mai 1844, Bull. n. 164; 3 déc. 1852, Bull. n. 385; Devill.53. 1.451; Pal., 53.2.673; D.P.52.5.173; 9 mars 1855, Bull. n. 89. — Et V. n. 3522.

2. Cass., 13 janv. 1660, Bull. n. 12; D P.60.5.99; 7 janv. 1860, Bull. n. 7; D.P.60.5.98.

3. Traité de l'instr. crim., t. VIII, p. 103. - ** V. Supra, p. 89, no 1.

semblés; la maison n'est-elle pas réellement habitée ? et cependant la loi la considérerait comme inhabitée, Vous voyez que l'incendie alors n'est pas seulement une atteinte à la propriété, mais qu'il devient une atteinte à la vie des citoyens. >> Un membre proposa, par un sous-amendement, d'ajouter à ces mots, édifices servant à des réunions de citoyens, ceux-ci, pendant le temps de ces réunions. « Quand le local n'est pas habité, disait-il, quand il ne s'y trouve personne, quand l'incendie ne fait pas courir de danger à la vie des hommes, c'est le cas du troisième paragraphe, c'est un attentat à la propriété. » Ce sous-amendement fut écarté sous le prétexte qu'il eût dérangé le système de la loi. Il fut reproduit à la Chambre des pairs; mais le commissaire du gouvernement le combattit encore : « Tout édifice, dit cet orateur, servant à une réunion de citoyens, ne peut être censé abandonné ; le principe de la loi est de protéger la vie des hommes, et la vie des hommes serait compromise si l'on ne portait point de peines très graves contre ceux qui mettraient le feu à un édifice consacré à la réunion des citoyens, et dans lequel un individu peut se trouver soit accidentellement, soit comme gardien.» On peut répondre à ces observations, d'abord, qu'un édifice ne peut être réputé habité par présomption, et qu'une présomption ne peut servir de base à la peine de mort; ensuite, que, si l'incendie d'un édifice servant à des réunions, mais commis hors du temps des réunions, cause la mort d'une personne, cette circonstance suffit pour entraîner la peine capitale, d'après le dernier paragraphe de l'article. Le garde des sceaux ajouta : « Il y a une très grande importance à placer les édifices publics sous la sanction de laloi la plus sévère. Indépendamment du danger que l'incendie fait courir à la vie des hommes, soit qu'il y ait réunion de citoyens, soit qu'il n'y ait que les gardiens, soit enfin qu'il se trouve accidentellement d'autres individus dans l'édifice, il faut reconnaître que les édifices publics méritent une protection spéciale; que les églises, que les établissements qui décorent une ville, qui ont été élevés à grands frais, méritent d'être placés sous la protection de la loi la plus sévère. » Cette dernière considération, échappée sans doute à la rapi

dité de la discussion, ne peut avoir aucun poids; car, (si elle était fondée, elle renverserait le système de la loi. La peine de mort a été réservée par le législateur au seul attentat contre les personnes, et il résulterait de ces paroles qu'elle pourrait être appliquée à un attentat contre une propriété.

2532. Que doit-on entendre par édifice servant à des réunions de citoyens ? On a cité, dans la discussion, les églises, les palais des chambres, les tribunaux, les bourses de commerce, les théâtres; on aurait pu ajouter les amphithéâtres, les écoles, les corps de garde, etc. Un membre de la chambre des pairs a demandé si une halle devait être considérée comme un édifice public; le garde des sceaux a répondu qu'une halle n'est pas fermée et ne peut être considérée comme un édifice. « On entend par édifice, a-t-il ajouté, un corps de bâtiment qui se trouve avoir des clôtures complètes.>> Cette définition ne nous paraît pas exacte. Tous les bâtiments qui servent à des réunions de citoyens peuvent rentrer dans les termes de la loi, pourvu qu'ils soient employés habituellement à cet usage; il n'est pas nécessaire qu'ils soient publics, c'est-à-dire qu'ils appartiennent à l'État; mais il faut, tel est, nous le croyons, l'esprit de la loi, que les réunions soient officielles et légales.

2533. Mais ce deuxième paragraphe de l'art. 434 n'existe plus; une inadvertance du législateur l'a fait disparaître du Code. Il figurait dans le projet de la loi du 23 mai 1863. Ce projet rectifiait ce paragraphe en ces termes : « Sera puni de la même peine quiconque aura volontairement mis le feu, soit à des voitures ou wagons, soit à des convois de voitures ou wagons contenant des personnes, soit à tout édifice servant à des reunions de citoyens. » Mais ce dernier membre de la phrase ne se retrouve plus dans le projet de la commission, ce qui est d'autant plus étrange que ce projet portait, en regard des articles modifiés, les articles du Code. Et ce dernier projet ayant servi de base à la délibération, l'omission est entrée dans la loi. Quelle sera la conséquence de cette lacune? C'est que les édifices servant à des réunions de citoyens n'étant pas de plein droit assimilés aux édifices habités, il sera nécessaire, pour appliquer l'aggravation pénale, de poser la

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