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dique cette pensée. L'examen des textes conduit même à une conclusion contraire. Si le rédacteur de l'art. 434 avait eu l'art. 390 sous les yeux, il se fût servi des expressions et des formules de cet article; or, l'expression de lieux habités ou servant à l'habitation n'est point celle adoptée par l'art. 390; l'art. 434 ne s'y référait donc pas. Ensuite, pourquoi le législateur, aux lieux habités ou servant à l'habitation, n'eût-il pas ajouté leurs dépendances? Cette addition se trouve dans l'article 276 du Code; elle se trouve dans les art. 381 et 384; est-elle donc un pléonasme dans ces articles? Aucun terme de la loi n'est inutile. Il faut donc conclure, puisque la loi a énoncé, dans ces articles, les dépendances à côté de la maison habitée, que ces dépendances ne sont pas nécessairement comprises dans la maison habitée, et que l'omission de leur énonciation doit les en exclure.

Et puis il est évident que l'art. 390 ne peut avoir qu'un seul objet, la répression du vol; il trace un cercle immense autour du domicile; il enferme dans cette enceinte, pour ainsi dire, non-seulement les bâtiments destinés à l'habitation, mais encore tout ce qui en dépend, les cours, les basses-cours, les granges, les écuries, les jardins, les enclos; sa surveillance est égale à l'égard de tous ces objets, parce que les voleurs, une fois introduits dans l'enclos, peuvent s'avancer de l'un à l'autre, parce que la sûreté des propriétaires est menacée par le seul effet de cette introduction. Mais comment le législateur eût-il prévu l'incendie d'une cour, d'une basse-cour, d'un jardin, d'un enclos? Comment le feu mis à une grange, à une écurie, à un édifice quelconque, quelque isolé qu'il fût, serait-il puni comme l'incendie d'une maison habitée, par cela seul que cet édifice serait compris dans le même enclos que cette maison?

Le principe qui domine l'incrimination de l'incendie est entièrement distinct. Lorsque le feu n'est pas mis à la maison habitée elle-même, le crime ne peut puiser une intensité identique que dans la facilité de sa communication à cette maison. L'objet incendié est-il placé de manière à favoriser cette communication? il est évident que l'incendie doit être puni comme s'il avait été mis à la maison même. Est-il au

contraire hors de portée ? il faut examiner la nature particulière de cet objet, pour apprécier le caractère et le degré de gravité de l'action. Il est tout à fait indifférent que le bâtiment incendié soit ou ne soit pas une dépendance de la maison habitée; qu'importe, en effet, pour l'aggravation de l'incendie, qu'il soit situé dans le même enclos, dans une cour attenant à la maison, dans un jardin compris dans la même enceinte ? Il n'en est pas ici comme des auteurs d'un vol qui, une fois introduits dans l'enceinte, menacent la sûreté des habitants mêmes de la maison; l'incendie ne peut se communiquer de la dépendance à la maison principale que lorsque les deux bâtiments attiennent, ou du moins approchent l'un de l'autre ; c'est ce voisinage, c'est ce lien matériel de communication qui devient la base de l'aggravation, ce n'est plus la dépendance. Ainsi il serait étrange de punir, comme mis à une maison habitée, le feu mis à un pavillon inhabité et isolé au milieu d'un parc, par cela seul que ce parc dépendait de la maison; et il serait également absurde de ne pas appliquer l'aggravation lorsque l'incendie a été allumé de manière à communiquer, parce que l'objet incendié ne serait pas une dépendance de cette maison. En matière de vol, c'est donc la dépendance; en matière d'incendie, c'est la possibilité de la communication qui fait l'aggravation. Ces deux matières ne peuvent donc être soumises à la même règle, et ce n'est qu'en méconnaissant ce caractère distinct des deux crimes qu'on a pu tenter d'étendre l'art. 390 au crime d'incendie.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue qu'en matière de vol, la circonstance que la maison est habitée ou sert à l'habitation n'est point, par elle-même, une circonstance aggravante; elle contient seulement un principe d'aggravation qui se développe et modifie le caractère du délit, lorsqu'elle se réunit à l'effraction, à l'escalade, aux circonstances de la nuit ou de la complicité; et, dans ce cas même, la peine ne s'élève que d'un seul degré. En matière d'incendie, au contraire, la circonstance de la maison habitée change radicalement le caractère du crime si la maison n'est pas habitée, l'incendie n'est qu'un attentat contre la propriété ; si elle est

habitée, il constitue un attentat contre les personnes; dans la première, la peine est celle des travaux forcés; dans la seconde, c'est la peine de mort.

En effet l'incendie, lorsqu'il attaque une maison habitée, attaque la vie de ceux qui l'habitent; la loi ne le punit plus comme une dévastation, mais comme une tentative d'homicide. « Il est nécessaire, disait le rapporteur de la loi du 28 avril 1832 à la Chambre des députés, il est nécessaire que la peine de mort protége la vie de l'homme, lorsque l'incendie peut la mettre en danger; mais, si la vie de l'homme n'a pas même été menacée, l'incendie n'est autre chose qu'une dévastation avec circonstances aggravantes; et n'y a-t-il pas une suffisante aggravation de peine à punir des travaux forcés à temps et même des travaux forcés à perpétuité une simple dévastation? » Le rapporteur de la Chambre des pairs déclarait également : « L'incendie des lieux habités ou servant à l'habitation, qu'ils appartiennent ou n'appartiennent pas à l'auteur du crime, sera puni de mort; c'est ici la vie de l'homme que la loi protége, et non l'attentat à la propriété qu'elle punit. >>

Il suit de cette différence, d'une part, que les expressions maison habitée ou servant à l'habitation doivent être d'autant plus restreintes, dans l'art. 434, qu'elles sont la base d'une aggravation plus grande de la peine; et, d'un autre côté, que la maison habitée donnant à l'incendie le caractère d'un attentat contre les personnes, d'un véritable assassinat, toute fiction qui assimilerait à la maison habitée un bâtiment qui ne l'est réellement pas, doit être rejetée; car, si cette fiction est admissible quand il s'agit de protéger la propriété, elle ne l'est plus quand il s'agit de protéger la vie de l'homme: cette vie est menacée ou elle ne l'est pas; dans ce dernier cas, comment punir un assassinat, quand il n'existe qu'une dévastation? Comment punir un attentat contre les personnes, quand la sûreté d'aucune personne n'a été compromise? La fiction ne peut plus ici remplacer la réalité : il faut que le fait corresponde au titre du crime; et, quand la loi a entendu punir un homicide, l'interprétation même la plus habile ne saurait étendre ses termes à une simple dévastation.

Il paraît donc que les mots lieux habités ou servant à l'habitation ne devraient s'entendre que des maisons ou bâtiments quelconques qui sont actuellement habités, soit que les habitants s'y trouvent au moment de l'incendie, soit qu'ils ne s'y trouvent pas. Dans le premier cas, le lieu est réellement habité; dans le second, il est employé à l'habitation, et l'agent a pu ignorer l'absence des habitants. Ce n'est que dans ces deux hypothèses que l'incendie emporte la présomption d'un attentat contre les personnes; hors de là il ne s'attaque qu'à la propriété, et, s'il en résulte la mort accidentelle d'une ou de plusieurs personnes, le dernier paragraphe de l'art. 434 a prévu ce nouveau cas de responsabilité.

2327. Néanmoins nous devons noter que la jurisprudence a continué d'appliquer l'interprétation consacrée par l'arrêt du 14 août 1839 4. C'est donc à l'art. 390 qu'il faut demander dans la pratique le sens de l'art. 434; c'est dans la définition dn premier de ces articles qu'il faut chercher celle des expressions «< habités ou servant à l'habitation » du second. Il importe de remarquer seulement qu'en étendant le caractère de la maison habitée à tout ce qui en dépend, la loi a voulu que cette dépendance fût formellement constatée, car elle constitue le seul motif de l'aggravation: il ne suffirait donc pas de déclarer que l'accusé est coupable d'incendie d'un bâtiment attenant à une maison habitée, car la contiguïté n'est pas la dépendance. Il a été jugé dans ce sens : « que l'article 390, qui explique ce qui doit être réputé maison habitée, ne fait rentrer dans son assimilation que les lieux qui dépendent de l'habitation, comme cours, basses-cours, granges, écuries et édifices qui y sont enfermés, quand même ils auraient une clôture particulière dans la clôture ou enceinte, générale,lesquels ne forment réellement qu'un seul tout avec

1. Cass., 8 août 1814, Bull. n. 284; Devill. 45.1.59; Pal.44.2.420; D.P.44. 1.357; 25 sept. 1846, Bull. n. 257; Dev.47.1.5; Pal.47.1.576 D.P.47.1.12 ch. réun., 18 janv. 1847, Bull. n. 10; Devill.47.1.5 ; Pal.47.1.576; D.P.47. 1.12; 15 juin 1849, Bull. n. 138; D.P.49.5.248; 18 mai 1854, Bull. n. 160; D. P.54.5.430; 14 août 1856, Bull. n. 286; D.P.56.1.381; 11 mars 1858, Bull. n. 85; D.P.58.5.208.

115 et 224.

** Adde Cass., 24 avril et 8 août 1873; Bull. n.

la maison et réclament, dans l'intérêt des habitants, la même protection; mais qu'être attenant à une maison habitée n'est pas la même chose qu'en dépendre; que, au premier cas, les deux bâtiments se touchent, mais sans corrélation nécessaire, et peut-être même sans corrélation entre eux, tandis que, au second cas, les édifices renfermés dans la même enceinte constituent en réalité deux parties de la même habitation 1. >>

2528. Nous devons ajouter que la jurisprudence de la Cour de cassation a reçu une adhésion du rapporteur de la loi du 13 mai 1863. On lit, en effet, dans le rapport ce qui suit:

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" Puisque nous touchons à l'art. 434, nous avons jugé utile de le soumettre à deux modifications qui n'étaient pas proposées par le projet. Le § premier punit de mort l'incendie des lieux habités ou servant à l'habitation, sans définir ce qu'il faut entendre par lieux habités. — Cependant l'art. 390, placé dans la section des vols, donne cette définition en déclarant qu'il faut réputer maison habitée « tout bâtiment, logement, loge, cabane, même mobile, qui, sans être actuellement habité, est destiné à l'habitation, et tout ce qui en dépend, comme cours, basses-cours, granges, écuries, édifices qui y sont enfermés, quel qu'en soit l'usage, et quand même ils auraient une clôture particulière dans la clôture ou enceinte générale. On s'est demandé si cette définition faite pour les vols était applicable aux incendies, et si, dans les deux cas, la dépendance d'une maison habitée devait être assimilée à la maison elle-même. On comprend que, voulant régler aujourd'hui cette question par une disposition législative, nous n'ayons pas à rechercher si, d'après les textes existants, cette assimilation existe, et qu'il nous suffit d'examiner s'il convient de l'établir. Si l'on consulte les motifs de la loi de 1832, on voit que l'incendie d'une maison habitée a été puni plus sévèrement, parce qu'il peut mettre la vie de l'homme en danger : C'est la vie de l'homme que la loi protége, et non l'attentat à la propriété qu'elle punit », disait le rapporteur de la Chambre des pairs. - La préoccupation de cet intérêt est portée si loin que la peine de mort demeure, alors même que la maison n'est pas réellement habitée, pourvu qu'elle soit destinée et qu'elle serve à l'habitation. Or le feu mis à la dépendance d'une maison habitée exposera le plus souvent celui qui l'habite au même danger que s'il était mis à la maison elle-même, à cause de la facilité avec laquelle la

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1. Cass., 25 mai 1848, Bull. n. 159; 17 déc. 1846, Bull. n. 319; D.P.47.

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