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De l'incendie des lieux habités ou servant à
l'habitation.

2521. Le § 1er de l'art. 434 est ainsi conçu: « Quiconque aura volontairement mis le feu à des édifices, navires, bateaux, magasins, chantiers, quand ils sont habités ou servant à l'habitation, et généralement aux lieux habités ou servant à l'habitation,' qu'ils appartiennent ou n'appartiennent pas à l'auteur du crime, sera puni de mort. »

C'est l'incendie qui fait courir des risques à la vie des hommes, que ce paragraphe a eu pour but de punir; le feu est considéré comme un instrument, comme un moyen d'homicide: « C'est ici, disait le rapporteur à la Chambre des pairs, la vie de l'homme que la loi protége, et non l'attentat à la propriété qu'elle punit. » C'est cette pensée qui a motivé l'application de la peine de mort; elle va d'ailleurs ressortir de tous les termes de cette disposition.

Deux éléments concourent pour l'existence du crime, la volonté et le fait matériel de l'incendie.

Il n'y a point de crime sans volonté; mais quelle est ici la signification de ce mot? L'incendie peut avoir plusieurs résultats différents. Est-il nécessaire que la volonté soit en rapport avec le résultat obtenu ? Le Code de 1791 voulait, en général, que l'incendie eût été commis par malice ou vengeance et à dessein de nuire à autrui; tel est aussi le sens du mot volontairement dans le premier paragraphe de l'article 434. La loi n'exige pas que celui qui a mis le feu à une maison habitée ait eu l'intention de donner la mort aux habitants de cette maison; elle exige seulement qu'il l'ait mis volontairement, c'est-à-dire avec l'intention d'incendier, et par conséquent avec le dessein de nuire: elle suppose dans cette intention la prévision des résultats possibles de l'incendie; elle en fait peser la responsabilité sur l'agent. Ainsi l'action de mettre le feu, même avec l'intention de tuer, à un lieu qui n'est pas réputé lieu habité par la loi, n'est punie que comme un attentat à la propriété, si l'incendie n'a occasionné la mort de personne. Ainsi l'incendie mis à une maison habitée,

même sans intention de tuer, et avec la seule volonté de causer un préjudice matériel, est puni comme un assassinat, quels que soient ses résultats. Il n'est donc pas nécessaire qu'il y ait une relation directe de cause à effet entre la volonté et le résultat de l'incendie; il suffit que l'agent ait mis le feu avec connaissance de son action, et pour satisfaire en général sa vengeance ou sa cupidité, sans même qu'il en ait prévu les résultats.

2522. Cette doctrine a été consacrée dans l'espèce suivante : Une chambre d'accusation, en admettant une accusation d'incendie, avait écarté un seul chef de tentative d'homicide volontaire avec préméditation, en se fondant sur ce que, « si le fait d'avoir mis le feu volontairement à une maison habitée est passible de la peine capitale, c'est que ce crime est dirigé contre la vie et la sûreté des individus ; que, dès lors, il implique nécessairement l'intention coupable de donner la mort, et ne saurait par conséquent être envisagé tout à la fois comme crime d'incendie et comme tentative d'homicide.»> Cet arrêt a été cassé: « attendu que ce motif de l'arrêt repose sur une fausse interprétation de l'article 434; qu'en effet il résulte de l'économie des dispositions du Code pénal que le crime d'incendie volontaire a été considéré par le législateur comme ayant presque toujours pour but la destruction des propriétés plutôt qu'un attentat contre les personnes, et que, s'il a prononcé la peine capitale contre ce crime, lorsqu'il s'agit d'une maison habitée ou destinée à l'habitation, c'est parce qu'il a vu dans cette circonstance aggravante un motif d'élever la peine au plus haut degré possible contre un attentat qui, quoique dirigé contre la propriété, met souvent aussi en péril la vie des hommes ; que cette peine est applicable à l'individu déclaré coupable d'incendie volontaire d'une maison habitée ou destinée à l'habitation, alors même qu'il aurait agi sans volonté homicide envers les personnes ; que tout attentat contre la vie des personnes, quoiqu'il ait eu lieu en même temps que le crime d'incendie, n'en doit pas moins être distingué de ce crime et former un chef d'accusation séparé 1. »

1. Cass., 17 déc. 1812, Bull. n. 333; Devill.44.1.92; Pal.44.1.517.

Cette doctrine est confirmée par un autre arrêt qui dispose: « qu'en matière d'incendie le fait d'avoir volontairement mis le feu à des bâtiments appartenant à autrui et le fait d'avoir volontairement mis le feu à des bâtiments habités sont deux crimes distincts, l'un constituant un attentat contre la propriété, l'autre constituant un attentat contre les personnes ; que, lorsque l'un et l'autre se rencontrent simultanément dans un seul et même fait et sont compris dans une seule et même accusation, l'incendie volontaire de la maison d'autrui conserve son caractère de fait principal, et il vient s'y joindre le fait que la maison était habitée comme circonstance qui l'aggrave dans sa criminalité comme dans ses conséquences pénales 1. >>

2523. Mais faut-il que l'intention de nuire ait pour objet le dommage causé par la communication directe du feu ? Tout autre dommage, dont l'incendie serait le prétexte et non l'instrument, ne pourrait-il constituer l'intention qui forme l'élément du crime? Ainsi, lorsque l'agent met le feu avec l'intention de dénoncer un tiers comme auteur de ce crime, est-ce là l'intention de nuire exigée par la loi ? La Cour de cassation a décidé dans cette hypothèse: « que le fait reconnu que le feu avait été mis dans l'intention d'accuser une autre personne d'être l'auteur de l'incendie, ne constitue pas ce que la loi a entendu par le dessein de nuire à autrui ; qu'il ne pouvait en résulter qu'un délit d'une nature tout à fait différente, et ne pouvant donner lieu qu'à une action distincte, soit que l'accusation eût été calomnieusement intentée, soit qu'à raison de cette accusation il eût été porté de faux témoignages 2. »> Cette solution peut être contestée. L'action qui faisait l'objet de cette espèce était complexe et renfermait deux faits distincts, l'incendie et la dénonciation calomnieuse. L'incendie consiste dans le seul fait d'avoir mis le feu volontairement; l'imputation de ce fait à un tiers est un acte postérieur, indépendant du crime, et qui ne s'accomplit que par la dénoncia

1. Cass., 13 avril 1866, Bull. n. 111; 9 juill. 1868, Bull. n. 155; D. P.69 5.240.

2. Cass., 2 flor. an II, Devill. et Car., 1.792.

tion du faux témoignage. Ces deux actes ne peuvent donc être considérés comme un seul et même crime. Et puis, de ce que l'incendie a été commis avec l'intention de l'imputer à un tiers, il ne suit pas qu'il n'ait pas été commis volontairement, avec la prévision de ses conséquences matérielles ; l'agent doit donc encourir une double responsabilité à raison du fait de l'incendie et du fait de la calomnie. Cette doctrine se trouve confirmée dans une autre espèce. Deux détenus avaient mis le feu à des monceaux de bois déposés près d'une porte, afin que cette porte incendiée facilitât leur évasion l'arrêt qui les avait mis en accusation pour la tentative d'évasion seulement a été censuré sur ce point: << attendu que ce fait caractérisait de la manière la plus manifeste la volonté de mettre le feu à une porte faisant partie intégrante d'un édifice habité, et qu'en ne tenant compte, dans de telles circonstances, que du but d'évasion qu'avaient les détenus, l'arrêt a substitué à la seule condition de la volonté, expressément déterminée par la loi pour constituer le crime d'incendie, la considération d'une intention ultérieure, et qu'il a ainsi méconnu les dispositions formelles de l'art. 434 4. »

:

2524. Le deuxième élément du crime consiste dans l'action matérielle de mettre le feu à des édifices, navires, bateaux, magasins, chantiers, quand ils sont habités ou servant à l'habitation, et généralement aux lieux habités ou servant à l'habitation, qu'ils appartiennent ou n'appartiennent pas à l'auteur du crime.

Le crime est légalement consommé dès que l'agent met le

1. Cass., 21 août 1845, Bull. n. 263; Devill. 45.1.848; Pal.46.1.145; D. P. 45.4.502. ** Il faut rapprocher de cette décision un arrêt de la Cour suprême du 15 juin 1871, décidant que le fait d'avoir mis volontairement le feu à la cabane habitée par deux individus vivant en concubinage, dans le but de les forcer, en détruisant leur refuge, à quitter la commune, constitue le crime d'incendie d'un édifice habité; et que l'intention de nuire n'existe pas moins en pareil cas, quoique l'incendiaire ait pris des précautions pour préserver de la destruction une partie de l'édifice et du mobilier qu'il contenait, et ait même réparé le préjudice causé par l'incendie (Cass., 15 juin 1871; S.72.1.147; D.71.1.363).

feu à l'un des objets énumérés par la loi ; il n'est pas nécessaire que cet objet ait été détruit, que l'incendie même ait éclaté; le fait seul de mettre le feu volontairement suffit pour consommer le crime, quel que soit le résultat ; ce sont les termes mêmes de la loi.

Il n'est d'aucune importance de rechercher ici les objets qui doivent être compris dans les termes d'édifices, navires, magasins et chantiers (voy. infrà, no 2298); ces termes ne sont indiqués dans le paragraphe que par forme d'exemple, puisque la loi ajoute généralement tous les lieux habités ou servant à l'habitation. Ce qu'il faut rechercher, c'est le sens de ces dernières expressions, c'est leur signification légale.

2525. Cette question n'existait point sous le Code de 1810; ce Code punissait en effet de la même peine l'incendie des édifices habités ou inhabités et destinés ou non à l'habitation. Cette distinction fut introduite par la loi du 28 avril 1832. On doit même remarquer que, dans la discussion qui précéda cette loi, le garde des sceaux essaya de restreindre sous un rapport les termes du premier paragraphe de l'article 434 à l'incendie des maisons actuellement habitées et à l'incendie des maisons servant à l'habitation. Cette distinction ne fut point acceptée. Le législateur confondit ces expressions différentes dans la même formule et ne les définit point.

De là sont nées plusieurs difficultés. Dans son sens propre, une maison habitée est celle dans laquelle se trouvent actuellement des habitants; une maison servant à l'habitation est celle qui est actuellement employée à cet usage, lors même que ses habitants ne s'y trouveraient pas. Est-ce là le sens véritable de l'expression légale ? Faut-il restreindre dans ce cercle sa portée et son application? Faut-il, au contraire, comprendre dans la maison habitée, non-seulement les bâtiments employés à l'habitation, mais les dépendances de cette maison? Faut-il, enfin, comprendre dans le même terme les bâtiments qui, sans servir encore à l'habitation, sont seulement destinés à cet usage?

La Cour de cassation a résolu affirmativement ces deux der

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