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sidérée comme la vente même ? Est-il nécessaire qu'il y ait vente effective? M. Carnot pense que l'exposition en vente n'est qu'une tentative du débit, et qu'en cette matière la tentative n'est pas un délit punissable 1. M. Renouard pense, au contraire, que le délit résulte suffisamment de ce que les exemplaires de l'édition contrefaite ont été trouvés exposés dans le magasin d'un libraire avec les autres objets de son commerce, et il en donne pour raison que, « par le seul fait de l'achat au contrefacteur avec l'intention de revendre les livres achetés, le libraire débitant a occasionné un préjudice au propriétaire de l'ouvrage contrefait 2. » Ce motif, emprunté à un arrêt de la Cour de Toulouse, du 17 juillet 1835 3, ne nous paraît pas concluant; car ce n'est pas l'achat au contrefacteur que la loi punit, mais bien la revente des livres achetés. Toutefois l'exposition en vente constitue le délit ; car il est évident que la fraude ne serait presque jamais atteinte, s'il était nécessaire de constater le fait même de la vente. La Cour de cassation a décidé, en appliquant la même règle, que la loi qui interdit aux épiciers et droguistes de vendre des médicaments frappe l'exposition en vente comme la vente elle-même ".

Un seul exemplaire de l'ouvrage contrefait saisi chez un libraire suffit pour constituer le délit ; en effet la loi n'a point déterminé le nombre d'exemplaires nécessaire pour qu'il y ait débit; le débit existe donc par la détention d'un seul exemplaire. Il serait peut-être à désirer que la poursuite pût atteindre aussi tout acquéreur ou détenteur, quand il aurait agi sciemment, d'un ouvrage contrefait.

2503. Il est nécessaire que le débit ait été fait sciemment, c'est-à-dire que le débitant ait su que l'ouvrage était contrefait; en effet, aux termes de la loi, le débit d'ouvrages contrefaits est, aussi bien que la contrefaçon même, un délit;

1. Comm. du Code pénal, t 2, p. 433.

2. Traité des droits d'auteur, t. 2, p. 55.

3. Devill. et Car., 36.2.41; Dall., vo Propriété littéraire, n. 486-1°.

4. Cass., 14 niv. an XIII, Dev. et Car., 2.53; J.P.4.323; Dall., v° Médecine, no 170-1".

l'intention frauduleuse du débitant est donc l'un de ses éléments nécessaires. En général, cette intention est présumée lorsqu'il s'agit d'une contrefaçon entière et identique 1. Mais, dans le cas d'une contrefaçon douteuse et partielle, le débitant peut être de bonne foi, et il serait rigoureux de le condamner à une amende, quand on ne pourrait lui imputer aucune fraude et même aucune imprudence.

La peine contre le débitant est moindre que contre le contrefacteur; l'amende n'est, aux termes de l'art. 427, que de vingt-cinq francs au moins et de cinq cents francs au plus ; la confiscation des objets contrefaits saisit ces objets dans tous les cas; les règles relatives aux indemnités sont également les mêmes.

2504. L'introduction en France d'ouvrages français contrefaits à l'étranger est un second délit également assimilé à la contrefaçon.

L'introduction a lieu dès que les ouvrages contrefaits sont entrés sur le territoire français et qu'ils sont destinés à être réexportés. En effet, ce n'est pas la vente que la loi a punie, mais bien la seule introduction indépendamment de ses suites. Ce serait favoriser la fraude que de tolérer l'introduction, à charge de réexportation; ce serait du moins favoriser les contrefaçons étrangères, en donnant à leurs spéculations la facilité du transit de notre territoire.

L'introduction n'est punissable que lorsqu'elle a pour objet des ouvrages qui, après avoir été publiés en France, ont été contrefaits à l'étranger. Ainsi cette disposition ne s'appliquerait pas aux contrefaçons d'ouvrages publiés pour la première fois par des Français à l'étranger; elle ne s'appliquerait pas à la réexpédition en France d'ouvrages imprimés sur notre territoire et expédiés à l'étranger pour les vendre.

L'introduction est passible des mêmes peines que la contrefaçon. Le législateur a pensé qu'il n'était pas moins important de fermer notre territoire aux contrefaçons étrangères que de frapper les contrefaçons fabriquées en France.

1. ** V. les notes pages 46 et 47.

Les droits des auteurs seraient anéantis si les éditions de leurs ouvrages faites à l'étranger pouvaient être introduites en France. On doit seulement déplorer (que la France ne puisse élever des barrières que sur ses seules frontières aux produits de cette honteuse industrie.

La loi ne s'est occupée que de l'introduction des contrefaçons étrangères; elle n'a pas prévu leur débit après qu'elles seraient introduites. Il est évident que ces deux faits ne doivent pas être confondus. L'art. 426 punit, en général, le débit d'ouvrages contrefaits, sans distinguer si ces ouvrages ont été contrefaits en France ou à l'étranger; il s'applique à l'un et à l'autre cas. D'ailleurs, la loi ayant assimilé l'introduction à la contrefaçon même, et ayaut mis une certaine distance entre la contrefaçon et le débit, il est clair que cette même distance doit se retrouver entre le débit et l'introduction; c'est la conséquence directe de la règle légale.

2505. Il nous reste, pour terminer la matière des contrefaçons, à parler de la représentation des ouvrages dramatiques. L'auteur d'un ouvrage dramatique réunit deux droits : celui de publication et celui de représentation. Lorsque son ouvrage est publié par voie d'impression ou de gravure, il est protégé contre la contrefaçon par les dispositions de l'article 425; l'objet spécial de l'art. 428 est de le protéger contre les représentations illicites.

Cet article est ainsi conçu: « Tout directeur, tout entrepreneur de spectacles, toute association d'artistes qui aura fait représenter sur son théâtre des ouvrages dramatiques au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, sera puni d'une amende de cinquante francs au moins, de cinq cents francs au plus, et de la confiscation des rerecettes. >>

Remarquons, d'abord, que la loi ne veut atteindre que les directeurs et entrepreneurs de spectacles, ou, à défaut de directeurs et d'entrepreneurs, les associations d'artistes. Ceux-là seuls sont frappés de la prohibition de représenter - des ouvrages dramatiques sans l'assentiment des auteurs, parce que seuls ils lèsent, par leurs représentations publiques et par leur exploitation, les droits de ces auteurs.Toutes autres

personnes peuvent donc représenter les ouvrages dramatiques d'autrui, si les représentations ont lieu sur des théâtres de société où le public n'est point admis, et si aucun prix n'est exigé des spectateurs 1.

Néanmoins, l'application de cet article a donné lieu à quelques difficultés. Il a d'abord été reconnu qu'il ne saurait atteindre le cafetier qui, sollicité par des musiciens ambulants de les laisser exécuter quelques compositions musicales sur la porte et en dehors de son établissement, les y a autorisés sans exiger ni recevoir aucune rétribution 2; mais si le cafetier met son établissement à la disposition des artistes, s'il les autorise à y donner un concert dont il a connu d'avance la composition, il devient responsable vis-à-vis des auteurs des morceaux exécutés dont le consentement n'avait pas été obtenu. L'arrêt qui consacre cette application de la loi déclare « que les mots entrepreneurs de spectacles, dans le sens de l'art. 428, ne doivent pas être limités aux industriels qui font de l'exploitation d'une entreprise théâtrale leur profession spéciale, mais qu'ils s'appliquent également à ceux qui, accidentellement ou d'une manière plus ou moins permanente, entreprennent de faire jouir le public de la vue ou de l'audition d'œuvres dramatiques ou musicales 3. » Toutefois cette

1. V. dans des hypothèses diverses, l'application de cette règle : Cass., 16 déc. 1854, Bull. n. 348; D.P.55.1.45; 19 mai 1859, Bull. n. 133; Devill. 60.1.88; Pal. 59.1063; D.P.59.1.430; 11 mai 1860, Bull. n. 124; Devill.61. 1.295; Pal.60.1167; D.P.60.1.293.

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** Adde Cass.,

2. Cass., 16 janv. 1863, Bull. n. 22; D. P.63.1.108. 4 février 1881; Bull. n. 30. Il a été décidé, dans le même sens, qu'on ne peut considérer comme complice du délit prévu par l'art. 428 C. pén., celui qui a donné en location aux administrateurs d'un cercle le local où des concerts ou représentations ont eu lieu sans le consentement des auteurs, s'il lui a été impossible de prévoir, au moment où il consentait ce bail, que les représentations seraient organisées par les preneurs et s'il n'a pris aucune part au fait incriminé (Cass., 28 janvier 1881; Bull. n. 23)).

3. Cass., 22 janv. 1869, Bull. n. 23; Dev.70.1.45; Pal.70.72; D. P.69.1. 384. ** Jugé que le président d'un cercle qui permet à un artiste de donner, dans les salons de la société, un concert où sont exécutés plu

jurisprudence ne s'applique qu'aux représentations ou exécutions qui ont le caractère de la publicité: ainsi, les concerts donnés chez les particuliers, ceux mêmes qui sont donnés par une société philharmonique, lorsque l'admission y est gratuite, et qu'aucune spéculation ne s'y attache, ne rentrent nullement dans les termes de la loii.

2506. La représentation n'est prohibée même à une association d'artistes que lorsqu'elle a lieu au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs. Nous devons rappeler ces lois et ces règlements.

Les art. 2 et 3 de la loi des 13 et 19 janvier 1791 portent que les ouvrages des auteurs morts depuis cinq ans et plus sont une propriété publique, et peuvent être représentés sur tous les théâtres indistinctement, et que les ouvrages des auteurs vivants ne pourront être représentés sur aucun théâtre public, dans toute l'étendue de la France, sans le consentement formel et par écrit des auteurs, sous peine de confiscation du produit total des représentations au profit de ces auteurs. La loi du 19 juillet-6 août 1791 répète cette dernière disposition

sieurs morceaux de musique, sans l'autorisation de la société des auteurs et compositeurs de musique, ne peut pas être condamné pour complicité du délit prévu par l'art. 428 du Code pénal, quand il n'est pas établi qu'il a eu connaissance du délit, alors surtout que le jugement déclare en fait qu'il est resté complétement étranger au concert (Cass., 14 nov. 1873; Bull. n. 274).

1. Cass, 7 août 1863, Bull. n. 217; Dev.64.1.151; Pal.64.629; D.P.63.1. 484. ** Comp. Nancy, 18 juin 1870; S. 71.2.116, et Cass., 3 mars 1873 ; S.73.1.152. Mais il a été jugé que la prohibition de représenter les ouvrages des auteurs vivants sans le consentement formel et par écrit de ces auteurs s'applique à toute exécution publique d'œuvres littéraires ou musicales non tombées dans le domaine public, et peu importe que la représentation ait eu lieu ou non sur un théâtre proprement dit, ou qu'elle ait été gratuite. Il en est ainsi notamment à l'égard des concerts et représentations théâtrales organisés par un cercle dans un but de distraction ou de bienfaisance, alors du moins que les sociétaires n'y ont pas seuls été admis et qu'elles ont eu lieu en présence de personnes qui, quoique nominativement invitées, ne font pas partie du cercle et n'ont, soit entre elles, soit avec la plupart des membres du cercle, aucun lien de relation habituelle (Cass., 28 janv. 1881; Bull. n. 23). Comp. Cass., 1er avril 1882; Bull. n. 94.

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