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fiscation des moules. Cette interprétation est confirmée par un arrêt qui déclare : « que si l'art. 1o de la loi du 19 juillet 1793 ne dénomme pas les sculpteurs parmi les auteurs au profit desquels il garantit la propriété exclusive de leurs œuvres pendant leur vie, cet article doit être interprété et expliqué d'abord par les raisons d'analogie qui ne militent pas moins en faveur de la protection due aux produits de la sculpture que de celle des ouvrages de peinture et de dessin; puis par sa combinaison; 1° avec l'art. 3 qui, après avoir répété l'énumération des auteurs, compositeurs, peintres ou dessinateurs, comprise en l'art. 1o, exprime suffisamment, par l'addition des mots et autres, la pensée que l'art. 1er n'est qu'énonciatif, et que ses effets doivent être étendus à d'autres artistes que ceux qui y sont nominativement désignés; 2o avec l'art. 7, qui reconnaît le même droit de propriété exclusive pendant dix années aux héritiers de l'auteur d'un ouvrage de littérature, de gravure ou de toute autre production de l'esprit ou du génie appartenant aux beaux-arts, ce qui s'étend nécessairement aux productions de la sculpture, et ce qui présuppose à fortiori la préexistence du même droit au profit de l'auteur de son vivant; que cette interprétation se trouve en outre corroborée par la généralité des termes de l'art. 425 et par la disposition de l'art. 427, qui ordonne la confiscation des moules servant à la contrefaçon 1. »

2473. La même lacune atteindrait les ouvrages de peinture. La copie à la main d'un tableau pour la répandre dans le commerce est assurément une contrefaçon; il en est de même de la reproduction soit d'une gravure, soit d'un tableau, par les procédés de la lithographie ou de la lithochromie. En effet, l'art. 1er de la loi du 19 juillet 1793 accorde aux auteurs un droit exclusif sur leurs ouvrages, et l'art. 425 punit toute reproduction, au préjudice de ce droit, d'une peinture ou d'un dessin. Cependant, si l'on se renfermait rigoureusement dans les termes de ce dernier article, il faudrait décla

1. Cass., 21 juillet 1855, Bull. n. 260; Devill, et Car., 55. 1. 859; Journ. du Päl., 56. 2. 375; Dall. 55. 1. 335.

rer que dans ces deux hypothèses le délit n'existe pas; car la lithographie, la lithochromie et la copie à la main ne peuvent être considérées ni comme des impressions, ni comme des gravures.

Enfin l'impression lithographique, l'autographie et l'écriture peuvent suppléer l'impression; elles peuvent opérer la même reproduction, et dans certains cas porter le même préjudice. L'emploi de ces procédés placera-t-il cependant la contrefaçon à l'abri de toute répression, parce que la loi ne les a pas énumérés ? S'ils ont été les instruments d'un dommage réel, protégeront-ils l'auteur de ce dommage ?

Nous ne pouvons admettre que le délit dépende de la nature de l'instrument employé pour le commettre; cet instrument n'est point un élément du délit ; la culpabilité du contrefacteur n'est pas plus grande parce qu'il a fait choix de tel ou tel procédé. Le principe de cette culpabilité est dans le fait même de la reproduction; les moyens employés pour y parvenir sont indifférents. Cette reproduction, qui est le seul objet de l'incrimination, le seul élément du délit, il importe peu qu'elle ait été faite de telle ou telle manière; il suffit qu'elle ait été faite, et qu'elle ait pu causer quelque préjudice à l'auteur. Il nous paraît donc certain que l'énumération des moyens de reproduction énoncés dans l'art. 425 est plutôt démonstrative que limitative 1.

2474. Ces expressions imprimées ou gravées, qui se trouvent dans l'art. 425, donnent lieu à une autre question : faut-il en conclure que le fait de la fabrication suffit à lui seul, et indépendamment de toute mise en vente, pour constituer la contrefaçon ? La Cour de cassation a jugé l'affirmative dans une espèce où les feuilles d'une édition contrefaite avaient été saisies avant que l'impression eût été terminée. Le pourvoi formé par le prévenu contre le jugement qui l'avait condamné fut rejeté, « attendu qu'il n'y a pas simple tentative dans le fait dont il s'agit, mais contrefaçon réelle, puisque

1. V. dans ce sens M. Renouard, Traité des droits d'auteur, p. 79 Gastambide, Traité des contrefaçons. p. 204.

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des feuilles imprimées et contrefaites ont été saisies 1. Cette décision nous semble fondée. D'après les termes de l'art. 425, ce n'est pas la publicité, mais le seul fait de l'impression des écrits ou de la gravure contrefaits qui forme la condition du délit. La loi, en effet, eût été illusoire, si la publicité de l'édition contrefaite eût seule constitué le délit, puisqu'il eût fallu attendre cette publicité pour saisir, et que le contrefacteur aurait toujours pu faire disparaître les exemplaires contrefaits. A la vérité, tant que l'édition n'est pas mise en vente, l'auteur n'a éprouvé aucun préjudice; mais, ainsi que l'a fait remarquer M. Renouard, «< ce n'est pas seulement sur le préjudice déjà éprouvé, c'est aussi sur le préjudice possible que doit s'étendre la garantie assurée au privilége. Si l'on s'en tenait à la réparation du préjudice déjà causé effectivement, il faudrait donc, quand une édition contrefaite est saisie, n'accorder de réparations qu'eu égard au nombre d'exemplaires qui auraient été réellement vendus; ce serait éluder la loi et presque consacrer l'impunité. Le caractère de contrefaçon s'attache à toute fabrication illicite, de manière à porter préjudice à l'exploitation vénale de l'auteur, et à troubler cette exploitation par des risques dont la loi a expressément voulu la garantir 2. » Si les feuilles n'étaient pas encore imprimées ou gravées, le fait d'une reproduction partielle n'existant pas, les préparatifs ne constituent tout au plus qu'une simple tentative qui échapperait à toute répression, puisque la tentative d'un délit n'est punissable qu'autant qu'elle a été expressément prévue par la loi.

2475. Nous avons analysé les principaux caractères de la reproduction: ce n'est là que l'un des éléments du délit de contrefaçon. Le deuxième élément de ce délit est le préjudice réel ou possible produit par cette reproduction.

Ce préjudice prend sa source dans la violation des droits de l'auteur.

1. Cass., 2 juill. 1807, Devill. et Car., 2. 407; Dall., vo Propr. litt., n. 366. 2. Traité des droits d'auteur, 2, p. 51.

TOME VI.

Ces droits furent pendant longtemps établis d'une manière assez obscure dans l'ancienne législation. Les défenses d'imprimer aucun livre nouveau sans permission remontent à l'époque où l'imprimerie commença à prendre son essor et à multiplier les livres. Les permissions étaient d'abord indistinctement délivrées par le roi, le parlement et l'université. Une ordonnance du 17 mars 1539 porte: « Voulons que aucuns livres nouveaux ne soient imprimés sans permission de nous ou de justice. » L'ordonnance de Moulins de février 1566 ajoute aux permissions les lettres de privilége, et consacre un usage qui s'était peu à peu introduit : « Défendons à toutes personnes d'imprimer ou faire imprimer aucun livre ou traité sans notre congé et permission et lettres de privilége expédiées sous notre grand scel (art. 78). » On doit distinguer dans cette disposition souvent renouvelée les permissions et priviléges. Les permissions avaient pour but de prévenir les écarts de la presse; elles supposaient la censure; elles proclamaient l'examen, la surveillance, la prohibition. Les priviléges accordaient, sous la forme d'une concession aux auteurs, ou plus souvent aux libraires, la jouissance exclusive des ouvrages qu'ils avaient composés, ou qu'ils voulaient éditer. Ces priviléges étaient les seuls titres de la propriété. Ainsi l'art. 33 du règlement de 1618, l'arrêt du conseil du 20 décembre 1649, l'art. 65 du titre 14 du règlement général de 1686, et l'art. 109 du règlement du 28 février 1723, portent à peu près dans les mêmes termes : « Défendons à tous imprimeurs ou libraires de contrefaire les livres pour lesquels il aura été accordé des priviléges ou continuation de priviléges, de vendre ou débiter ceux qui seront contrefaits, sous les peines portées par lesdits priviléges, lesquelles peines ne pourront être diminuées ni modérées par les juges. » Au reste, toutes les permissions n'étaient pas accompagnées de priviléges les livres imprimés sans privilége pouvaient être réimprimés par tous les libraires.

Cette législation fut modifiée par les arrêts du conseil du 30 août 1777. Jusque-là toutes les lois avaient plutôt supposé la propriété des auteurs qu'elles ne l'avaient consacrée ; les

priviléges étaient des actes de faveur, et leur continuation une pure tolérance. Les arrêts de règlements consacrent la propriété à perpétuité des auteurs; mais la condition de cette propriété est qu'ils ne cèdent pas l'ouvrage, soit euxmêmes, soit leurs héritiers et ayants cause; s'ils se sont dessaisis de leur privlléges par une cession, le fait de cette cession réduit le privilége à la durée de la vie de l'auteur. Si le privilége était accordé à un imprimeur ou à un libraire, il durait pendant toute la vie de l'auteur, ou, s'il était décédé, jusqu'au terme fixé par le privilége,terme qui ne pouvait être moindre de dix ans. A l'expiration des priviléges, tous les ouvrages tombaient dans le domaine public. Les possesseurs ou cessionnaires des priviléges avaient le droit de plainte, de recherche et de saisie.

2476. Telle fut la législation jusqu'aux décrets d'août 1789, qui abolirent tous les priviléges et proclamèrent la liberté de la presse. Les droits des auteurs demeurèrent sans protection et sans garantie, parce qu'on avait placé un droit sacré de propriété sous la protection d'une forme privilégiée; la loi du 19 juillet 1793 restreignit ces droits dans des bornes fort étroites, au lieu de les déclarer illimités comme tous les autres. Les articles 1, 2 et 7 de cette loi sont ainsi conçus : «< Article 1or. Les auteurs d'écrits en tous genres, les compositeurs de musique, les peintres et dessinateurs qui feront graver des tableaux ou dessins, jouiront, durant leur vie entière, du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer leurs ouvrages dans le territoire de la république, et d'en céder la propriété en tout ou en partie. Article 2. Leurs héritiers ou cessionnaires jouiront du même droit durant l'espace de dix ans après la mort des auteurs. Article 7. Les héritiers de l'auteur d'un ouvrage de littérature ou de gravure, ou de toute autre production de l'esprit ou du génie qui appartient aux beaux-arts, en auront la propriété exclusive pendant dix années. >>

Le décret du 5 février 1810 renouvela et modifia en ces termes quelques-unes de ces dispositions : « Article 39. Le droit de propriété est garanti à l'auteur et à sa veuve pendant leur vie, si les conventions matrimoniales de celle-ci

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