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la peine de mort, c'était l'attentat à la vie des personnes, ou la destruction de la propriété d'autrui; que c'est dans ces deux cas seulement que le crime prend un caractère assez dangereux pour motiver l'application de cette peine; mais, lorsqu'il se propose uniquement de causer un préjudice indirect, en faisant naître un cas des responsabilité pour un tiers, l'incendie ne doit plus être considéré que comme une manœuvre frauduleuse constitutive du délit d'escroquerie. Cette distinction puisée dans la raison de la loi prévalut sur ses termes, quelque absolus qu'ils fussent; et la Cour de cassation rendit, après partage, un nouvel arrêt qui déclara : « que l'art. 434 suppose que le feu aura été mis volontairement à des édifices appartenant à autrui, ou à des matières combustibles placées de manière à communiquer le feu à ces sortes de propriétés; d'où il suit qu'il faut avoir incendié ou tenté d'incendier les édifices d'autrui pour être passible de la peine portée par cet article ; qu'il ne prévoit pas le cas où l'on aurait mis le feu à ses propres édifices lorsqu'ils sont isolés, en sorte que le feu ne puisse s'étendre à des édifices ou autres objets spécifiés audit article et appartenant à autrui; qu'il ne prévoit pas davantage celui où l'on aurait mis le feu à ses propres édifices assurés; et que, si dans ce cas on nuit aux droits incorporels d'un tiers, ce n'est pas là l'espèce de dommage causé à autrui que la loi punit de mort, puisque l'action du feu n'a pas atteint ou détruit la maison ou l'édifice d'autrui; qu'un édifice assuré n'est pas en effet la propriété de l'assureur, et qu'on ne peut, par voie d'interprétation ou d'analogie, atteindre et punir un fait qui n'est pas qualifié crime ou délit par la loi 4. »

Il résulta de cette nouvelle jurisprudence une véritable lacune dans le Code pénal. L'exposé des motifs de la loi du 28 avril 1832 l'énonçait en ces termes : « Les contrats d'assurance contre l'incendie, et les évaluations trop souvent exagérées, dans ces contrats, des immeubles qui en sont l'objet, ont donné naissance à un crime d'une nature toute particu

1. Cass., 19 mars 1831, Bull. no 55; Devill. et Car., 31.1.115; Dall., vo Dom. destr., n. 29.

lière. Le propriétaire met lui-même le feu à sa maison pour obtenir de la compagnie avec laquelle il a traité le capital de l'assurance: il importe de réprimer avec sévérité un tel attentat, dont il est si difficile de convaincre les auteurs; car, gardiens de leurs propriétés, ils choisissent le moment qui convient le mieux à leurs coupables projets. La jurisprudence avait assimilé d'abord ce crime au crime ordinaire d'incendie, et la peine de mort devait atteindre celui qui avait incendié sa propre maison dans la pensée de dépouiller une compagnie d'assurance, comme celui qui avait incendié la maison d'autrui. Ces crimes ne sont pas les mêmes : ils ne supposent pas la même perversité dans leurs auteurs. Le projet de loi propose de prononcer la peine des travaux forcés à perpétuité contre celui qui a incendié sa propre maison dans la pensée de porter préjudice à autrui; si quelqu'un a péri dans l'incendie, la peine sera la mort. »

2548. La Chambre des pairs substitua à cette proposition unique plusieurs distinctions. En premier lieu, elle pensa que la peine de mort devait continuer d'être appliquée à l'incendie de toute maison habitée, soit qu'elle appartînt à l'auteur de l'incendie ou à un tiers; car, suivant les expressions du rapporteur, «< ce n'est pas ici la destruction de la propriété par le feu qu'on veut punir, c'est la vie des hommes qu'on veut protéger. Quand on met le feu à une maison habitée, plusieurs personnes peuvent s'y trouver et périr; il faut se défendre de ce grand crime par la peine capitale. Quand la maison est habitée, le crime est aussi grand, que la maison appartienne ou n'appartienne pas à l'incendiaire. » M. le garde des sceaux jugea cette disposition trop rigoureuse : « Que résulte-t-il de là? dit-il. Que l'individu qui incendie sa maison dans une pensée de lucre, lors même qu'il n'y a personne dans sa maison, est menacé de la peine capitale. Je trouve qu'il y aurait trop de rigueur à entrer dans un pareil système. Tout le monde accorde que l'homme qui brûle sa maison pour escroquer à une compagnie d'assurances le prix de cette maison, est plus qu'un voleur ordinaire; mais il me semble qu'il y aurait de l'injustice à assimiler cet incendiaire à celui qui brûlerait la maison d'autrui. Celui qui brûle sa propre maison est souvent

entraîné par l'ignorance qui lui fait croire que brûler sa maison n'est pas un crime aussi grand que celui de brûler la maison du voisin. Il est constant d'ailleurs que la conscience publique ne le confond pas avec les autres incendiaires. Il y a cependant une protection à donner, dans le cas dont il s'agit, non-seulement à la propriété, mais à la vie de l'homme: si l'incendie a dévoré une existence, ce n'est plus la réclusion qui est appliquée, mais la peine capitale. Je craindrais que les dispositions proposées par la commission ne parussent d'une trop grande difficulté dans la pratique; que le jury, trouvant qu'il y a une différence entre celui qui brûle sa maison même assurée et celui qui brûle la maison d'autrui, ne prononçât des acquittements en faveur d'hommes véritablement coupables. » Ces sages observations ne furent point accueillies, et la proposition de la commission fut maintenue.

Nous ferons remarquer que le crime d'incendie existe, quoique, en réalité, le résultat de la condamnation puisse enlever tout préjudice, puisque les compagnies d'assurances ne sont tenues d'aucun paiement à l'égard des assurés qui mettent le feu à leurs propriétés; mais l'action civile n'est que la conséquence de l'action criminelle; c'est ainsi que la personne volée reprend sa chose après la condamnation, ou que l'héritier fait lacérer le faux testament.

2549. La deuxième distinction introduite par la Chambre des pairs concerne l'incendie des édifices, navires, bateaux, magasins et chantiers, lorsqu'ils ne sont ni habités ni servant à l'habitation, ou des forêts, bois taillis ou récoltes sur pied. L'incendie de ces divers objets, qui est puni des travaux forcés à perpétuité lorsqu'ils appartiennent à autrui, n'est puni que des travaux forcés à temps lorsqu'ils appartiennent à l'agent lui-même. La Chambre des députés n'avait proposé dans cette espèce que la peine de la réclusion. La commission de la Chambre des pairs trouva que cette peine était trop faible : <«< Le vol, disait le rapporteur, se punit, dans le Code pénal, de la réclusion, des travaux forcés à temps et des travaux forcés à perpétuité, suivant les circonstances qui l'accompagnent. Certainement il est impossible de placer dans le cas des vols les plus simples, les plus graciables, un vol commis à

l'aide du feu. Si l'aubergiste qui vole une pièce de monnaie est puni de la prison, un homme qui met le feu à une maison, à une grange qu'il avait assurée, qui frustre ainsi la compagnie d'assurance d'une somme plus ou moins considérable, doit être puni d'une peine plus forte que celle de la réclusion; nous lui avons substitué celle des travaux forcés à temps; nous avions même cru devoir adopter celle des travaux forcés à perpétuité. Cependant nous avons considéré qu'il pourrait se faire que l'objet détruit ne fût pas d'une grande valeur; nous avons cru que les travaux forcés à perpétuité étaient une peine trop forte, et qu'il était juste de s'arrêter à la peine des travaux forcés à temps. »

2550. La troisième distinction est relative à l'incendie des bois ou des récoltes abattus; la peine, qui est celle des travaux forcés à temps, quand ces objets appartiennent à autrui, n'est plus que celle de la réclusion quand ils appartiennent à l'auteur même de l'incendie; ce cas est le seul où la peine proposée par la Chambre des députés a été maintenue. La commission de la Chambre des pairs avait d'abord confondu cette hypothèse avec la précédente, et proposé dans ces deux cas la peine des travaux forcés à temps; mais l'article lui ayant été renvoyé après une première discussion, elle adopta la distinction qui se trouve énoncée dans les §§ 4 et 6.

Le crime d'incendie, lorsqu'il est commis par le propriétaire même de l'objet incendié, se compose de plusieurs éléments que nous devons examiner.

En premier lieu, et indépendamment du fait matériel qui est la base de tous les crimes d'incendie, la nature de l'objet incendié doit être considérée comme le premier élément du crime. En effet, la peine des travaux forcés ou celle de la réclusion n'est applicable qu'autant que le feu a été mis à l'un des objets énumérés dans les §§ 3 et 5 de l'article: les §§ 4 et 6 ne s'appliquent qu'à l'incendie de ces objets; en dehors de ce cercle tracé par la loi ils n'ont plus aucune force. Ainsi celui qui aurait brûlé dans un champ son mobilier, celui qui aurait mis le feu à ses propres effets, lorsqu'ils étaient le gage de ses créanciers, ne seraient passibles d'au

cune peine, car les §§ 4 et 6 n'ont prévu et puni que l'incendie des édifices, navires, magasins, chantiers, forêts, bois et récoltes.

Le deuxième élément du crime consiste dans la propriété de l'objet incendié. Cette circonstance modifie la criminalité de l'agent et l'atténue: propriétaire de la chose détruite, il puise une sorte d'excuse dans le droit de propriété qui lui permettait de disposer de cette chose; et puis, s'il a été animé par une pensée de lucre et de fraude, il n'a du moins agi ni par haine ni par vengeance. Mais il faut que cette propriété soit entière ; une propriété partielle et indivise ne serait point un élément suffisant de l'atténuation du crime d'incendie; car, en détruisant la part qui lui appartient, il détruit la part d'autrui, et il ne peut plus invoquer aucune excuse 1.

2551. Le propriétaire perd-il le bénéfice de cette disposition quand il avait baillé l'édifice incendié à ferme ou à loyer? Cette question fut soulevée dans la discussion de la Chambre des pairs, et un membre demanda que le propriétaire qui avait loué la maison qu'il brûlait, fût dans le même cas que si la maison ne lui appartenait pas; mais cette proposition, bien qu'appuyée par le garde des sceaux, ne fut point accueillie. La loi ne fait aucune distinction. Dès que l'agent est propriétaire de la chose incendiée, il jouit de l'atténuation de la peine, quelle que soit la destination qu'il ait donnée à cette chose, et quoiqu'elle soit entre les mains d'un locataire. ou d'un fermier: le bail n'aliène aucune partie de la propriété ; l'excuse n'est point détruite. Mais ni l'usufruitier ni le nu-propriétaire ne pourraient en général invoquer le bénéfice de cette disposition, car ni l'un ni l'autre ne peuvent disposer librement de la propriété, l'incendie nuirait à l'un et à l'autre, et par conséquent l'un ou l'autre détruirait nécessairement la chose d'autrui,

2552. Le troisième élément consiste à causer volontairement un préjudice quelconque à autrui; ainsi, toutes les fois que le propriétaire brûle sa propre chose sans qu'il en résulte

1. Cass., 12 août 1858, Bull. n, 228; D.P. 58. 5.114, n. 27.

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