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utiles de la terre qui, au moment de l'incendie, se trouvaient en nature de récoltes, c'est-à-dire qui, après avoir été détachées du sol, ne sont pas encore renfermées dans les magasins, greniers ou chantiers, où elles peuvent être l'objet d'une plus grande surveillance. Ainsi, lorsque les fruits ont passé des mains du propriétaire ou de celui qui le représente dans les mains d'un tiers, lorsque le propriétaire les conserve lui-même après le temps de la récolte, en les renfermant dans ses magasins, ils perdent leur caractère de récoltes, ils deviennent des marchandises, et le § 5 de l'article cesse d'être applicable. Il est donc nécessaire qu'il soit déclaré que les productions incendiées constituaient une récolte ou une partie de récolte, pour l'application d'une peine qui est spécialement destinée à la protection des récoltes.

La loi exige que les récoltes soient en tas ou en meules; la raison en est que, lorsque les blés, les foins ou les autres récoltes sont en tas ou en meules, le ravage de l'incendie est assez considérable pour motiver une poursuite criminelle. Mais elle n'exige point que les récoltes soient exposées à la foi publique dans les champs où elles ont été recueillies ; elle les protége dans tous les lieux où elles sont momentanément déposées, jusqu'à ce qu'elles aient perdu leur caractère de récoltes 1.

2542. Le troisième caractère du crime prévu par les troisième et cinquième paragraphes est que les objets incendiés appartiennent à autrui. Ea effet, le but de l'incendie c'est la destruction de la propriété d'autrui; la criminalité de l'action consiste non-seulement dans le dessein de profiter du crime, mais dans le dessein de nuire par la destruction. La loi suppose que l'agent est animé par la haine ou la vengeance, et non par la cupidité. Il se peut, cependant, que l'attentat soit inspiré par un autre motif, par exemple par la soif d'un pillage rendu facile par l'incendie, ou par le désir insensé de

1. V. Cass., 17 sept. 1827, Bull. n. 346; Devill. et Car., 28.1,81. V. aussi Cass., 22 mars 1832, Journ. du dr. crim., t. 4, p. 78; Pall.32.882; Dall., yo Dom. dest., n. 82.

jeter l'effroi dans une contrée. Dans ces deux cas, la destruction de la propriété d'autrui n'est plus le but, elle est le moyen; mais le résultat est le même, et, dès lors, le crime ne change pas de caractère.

Le caractère essentiel de ce crime est donc l'attentat à la propriété. Ainsi celui qui mettrait le feu à des récoltes qu'il aurait momentanément déposées comme un gage sur la propriété de son créancier, ne pourrait être l'objet de l'application des §§ 3 et 5, car le gage ne fait point passer au créancier la propriété de l'objet engagé. Ainsi celui qui mettrait le feu à des récoltes saisies sur lui, et confiées soit à sa garde, soit à celle d'un tiers, se trouverait également en dehors de cette application, car la saisie n'exproprie point le débiteur. Nous ferons observer ici que l'article 683 du Code de procédure civile ne doit avoir aucune influence sur la criminalité de l'agent; les mots : s'il y a lieu, de cet article, ne peuvent nullement atténuer la force et la précision de la loi pénale.

Mais il faudrait décider encore, comme l'a fait la Cour de cassation sous l'empire du Code de 1810, que le mari qui met le feu à des édifices ou à des récoltes appartenant à sa femme, après que la séparation de corps et de biens a été prononcée et légalement connue, se rend coupable du crime prévu par ces deux paragraphes; car ces édifices ou ces récoltes sont devenus à son égard la propriété d'autrui 1.

L'application des mêmes dispositions doit également être faite au copropriétaire qui met le feu à la chose commune, au cohéritier ou au coassocié qui incendie les immeubles de la succession ou de la société; car, lorsque la loi suppose que la chose incendiée n'appartient pas à l'agent, elle entend qu'il n'en a pas la libre et entière disposition. En détruisant une chose dont il n'a que la propriété partielle et indivise, il détruit une partie de cette chose qui ne lui appartient pas ; il se rend coupable d'attentat à la propriété d'autrui.

2543. La loi du 13 mai 1863 a ajouté au § 5 le fait d'avoir

1. Cass., 2 mars 1820, Bull. n. 38, Devill. et Car., 6.197; Dall., vo Dom. destr., n. 22.

volontairement mis le feu « à des voitures ou wagons chargés ou non chargés de marchandises ou autres objets mobiliers, et ne faisant point partie d'un convoi contenant des personnes ». Il s'agit ici, non plus d'un train de voyageurs, mais d'un train de marchandises sur les chemins de fer; il s'agit, comme dans les autres prévisions §§ 3 et 5, d'une atteinte à la propriété : les wagons ne sont plus assimilés aux lieux habités, ils sont assimilés à des magasins. La loi a ajouté chargés ou non chargés de marchandises, parce que le feu pourrait être mis à un wagon vide qui le communiquerait à un wagon chargé. Elle a ajouté encore aux marchandises les mots ou autres objets mobiliers, parce qu'on aurait pu contester la qualification de marchandises à différents objets que transportent les chemins de fer.

§ III. De l'incendie de sa propre chose.

2544. L'incendie d'un objet quelconque par le propriétaire de cet objet ne constitue ni crime ni délit, si cet incendie ne cause aucun préjudice ou n'apporte aucun péril à autrui : c'est un acte de démence ou un abus du droit de propriété; car il n'y a point de crime sans une intention criminelle. Or l'intention criminelle ne peut se puiser que dans le préjudice ou le péril que l'incendie peut produire. Un incendie qui ne peut nuire à personne, et qui n'est que la simple destruction d'un édifice, d'une forêt, d'une récolte appartenant à l'agent lui-même, ne peut donc avoir le caractère d'un crime 1.

2545. Mais l'incendie devient punissable, lors même que son auteur est le propriétaire de l'objet incendié, dès qu'il a pu en résulter quelque préjudice ou quelque péril pour des tiers. L'article 434 a prévu plusieurs cas dans lesquels le propriétaire est incriminé à raison de l'incendie de sa propriété.

2 4. Celui qui, en mettant ou en faisant mettre le feu à l'un des objets

1. Cass., 21 nov. 1822, Bull. n. 167; Devill. et Car., 7.159; Dall., yo Dom. destr., n. 24; 13 sept. 1850, Bull. n. 305; D.P.50.5.119, n. 65. 30 juill. 1857, Bull. n. 289; 3 sept. 1863, Bull. n. 242.

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énumérés dans le paragraphe précédent et à lui-même appartenant, aura volontairement causé un préjudice quelconque à autrui, sera puni des travaux forcés à temps; sera puni de la même peine celui qui aura mis le feu sur l'ordre du propriétaire. 6. Celui qui, en mettant ou en faisant mettre le feu à l'un des objets énumérés dans le paragraphe précédent et à lui-même appartenant, aura volontairement causé un préjudice quelconque à autrui, sera puni de la réclusion; sera puni de la même peine celui qui aura mis le feu sur l'ordre du propriétaire.

Les additions faites à ces paragraphes ont été proposées par la commission; on lit dans son rapport:

« Le 4o 3 de l'art. 434 punit des travaux forcés à temps le propriétaire des objets qui y sont désignés, lorsqu'il y met le feu lui-même. S'il se fait aider dans l'accomplissement de ce crime, et si le feu est mis par un tiers, celui-ci, ayant alors mis le feu à des objets qui ne lui appartiennent pas, est puni des travaux forcés à perpétuité, et le propriétaire instigateur de l'incendie encourt les mêmes peines comme complice. On arrive à un résultat analogue dans les cas prévus par le 6o 3. Ce résultat est à la fois anormal et injuste. Il est anormal, car les règles de la complicité appellent sur le propriétaire une peine plus grave que celle qu'il aurait encourue s'il avait été l'auteur du crime. Il est injuste, car celui qui met le feu sur l'ordre du propriétaire n'est pas plus coupable que s'il l'avait mis à un objet à lui-même appartenant, et le propriétaire qui provoque l'incendie ne doit pas être plus puni que s'il l'avait commis lui-même. Il était facile de tout corriger par une nouvelle rédaction qui maintienne également la peine des travaux forcés à temps pour le tiers qui met le feu et pour le propriétaire qui le fait mettre. »><

2546. Ainsi, si l'agent a mis le feu à ses édifices, navires, bateaux, magasins ou chantiers quand ils sont habités ou servant à l'habitation, même quand ils lui appartiennent, la peine est la mort.

S'il a mis le feu à ses édifices, navires, bateaux, magasins ou chantiers, lorsqu'ils ne sont ni habités ni servant à l'habitation, ou à ses forêts, bois taillis ou récoltes sur pied, et s'il a, par cet incendie, malgré sa qualité de propriétaire, volontairement causé un préjudice quelconque à autrui, la peine est celle des travaux forcés à temps.

S'il a mis le feu à ses bois ou récoltes abattus ou à des voitures de marchandises lui appartenant, et, s'il a, par ce moyen, causé un préjudice quelconque à autrui, la peine est celle de la réclusion.

Enfin, s'il a mis le feu à des objets qui lui appartiennent, mais placés de manière à le communiquer à une propriété étrangère, et si l'incendie a été communiqué, il est puni comme s'il avait directement mis le feu à cette propriété; et, dans tous les cas, la peine est la mort, si l'incendie a causé la mort d'une personne se trouvant dans le lieu incendié au moment où il a éclaté.

2547. Ces distinctions, que formulent les §§ 1er, 4, 6 et 7 de l'art. 434, n'existaient point dans le Code de 1810; elles ont été introduites par la loi du 28 avril 1832.

L'ancien article 434 punissait d'une manière générale et absolue de la peine de mort tout incendie volontaire des objets qu'il énumérait, sans rechercher si ces objets étaient ou n'étaient pas la propriété de l'agent. Il s'ensuivait que, dès que l'intention criminelle ne trahissait pas la possibilité d'un préjudice envers un tiers, par exemple en cas d'assurance de la maison incendiée, la qualité du propriétaire était indifférente et n'effaçait ni même n'atténuait le crime. C'est ainsi que la Cour de cassation déclarait, dans une espèce où l'accusé avait mis le feu à sa propre maison dans le dessein de toucher le prix d'assurance de cette maison : « qu'aux termes de l'article 434, le crime d'incendie ne consiste pas seulement à mettre le feu à des édifices ou à des choses appartenant à autrui, mais à mettre le feu à des édifices ou à des choses. qui peuvent en brûlant incendier les propriétés d'autrui ou nuire à autrui; que la loi a eu évidemment pour objet de réprimer avec une juste sévérité le moyen de nuire le plus facile, le plus nuisible et le plus effrayant pour la société ; que mettre le feu à sa propre maison assurée, dans l'intention de toucher le prix de l'estimation que les assurances se sont engagées de payer en cas de sinistre, c'est commettre le crime d'incendie, car c'est mettre le feu à un édifice dans l'intention de nuire à autrui 1.

Cette interprétation souleva de graves objections. On soutenait que l'incendie que le législateur avait voulu frapper de

1. Cass., 11 nov. 1825, Bull. n. 219; Devill. et Car., 8.211; Dall., vo Dom. dest., n. 27-1°.

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