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de mieux à la Cour et à la Ville, ont beaucoup influé dans toute sa Piece sur cet air de dignité et de décence qui y est répandu, qui éleve et annoblit son style et les situations qui l'exigent, et lui donne, à cet égard, sur nos Écrivains Dramatiques, un avantage qu'on ne sauroit lui refuser.... Une Piece en cinq actes, qui ne laisse de prise ni à l'ennui, ni même à la langueur pendant l'espace de la plus petite scene a dû réveiller la jalousie et la cabale parmi ses confreres; cabale qui n'est jamais long-tems en◄ dormie! mais qu'il en a été bien vengé par les applaudissemens sinceres de tous les bons esprits et des cœurs vraiement estimables par leur amour du bien de la société, suffrages qui prévaudront toujours, avec le tems, sur les clameurs de ces critiques éphémeres! La plupart des critiques ont attaqué le titre du Méchant. Il est vrai que ce terme étant pris dans toute l'étendue de ses applications dans notre langue, et dans tous les degrés et les especes de méchancetés qu'il renferme, il eût été ridicule et même impossible d'en vouloir remplir l'idée. Celui du tracassier n'étoit ni assez noble, ni assez fort pour exprimer

l'odieux de son caractere, composé d'hypocrisie, d'adulation, de noire ingratitude, de trahison, d'un mépris déclaré de l'amitié et de l'estime du Public, et, sur-tout, des devoirs respectables du sang, qui ne lient que les sots et le peuple, à qui seul il pardonne d'avoir des parens (scene troisieme du second acte ). N'ayant donc point trouvé ce terme mitoyen dans notre langue, dont on peut penser que l'Auteur connoît toutes les nuances de valeur et de justesse, il a été forcé d'employer celui-ci.... J'avoue que ce titre m'avoit d'abord peu disposé en faveur de la Piece. Je n'y voyois qu'un homme affreux, et dont la correction des mœurs me sembloit plus du ressort de la Tournelle que du Théatre. J'imaginois qu'un homme présenté sous l'idée de cette odieuse qualification étoit un monstre à bannir de la société, duquel les vices ne pouvoient que soulever l'indignation du Public, et qu'il seroit même dangereux de le lui peindre avec les couleurs de la plaisanterie et du comique. Ce préjugé me rendit quelque tems insensible aux suffrages unanimes et aux applaudissemens portés à l'excès, qu'obtenoit cette

Piece, et dont le bruit me revenoit de toutes parts. D'ailleurs, l'ancienne expérience que j'ai de la passion extravagante de nos François pour la nouveauté, et de la fausseté de leurs premiers jugemens en ce genre, m'avoit déterminé à attendre tranquillement la suite de ce succès... Mais je fus voir cette Comédie à sa dixieme représentation, et j'en pensai alors bien différemment que je n'avois fait d'abord.... Quant aux défauts dont on l'accuse dans le noeud de la fable, la marche de l'intrigue et le dénouement, j'avois d'abord abandonné à la critique l'économie théatrale et le défaut d'action; mais ayant revu la Piece très attentivement et avec sévérité, je pense qu'il seroit fort aisé de justifier l'Auteur de ces accusations, et de faire voir que l'intrigue est suffisante, conduite avec art et point brouillée; qu'il n'y a nulle scene étrangere au sujet et qui n'aille au but du méchant. On prouveroit, avec la même facilité, que la Piece ne pêche point par défaut d'action, puisqu'elle n'est froide, ni languissante nulle part, et qu'il ne sauroit y avoir une continuité de chaleur dans une Piece sans action. A l'égard de l'intérêt,

si

si l'on n'y trouve point celui d'attendrissement, c'est qu'il y seroit déplacé. Le véritable intérêt doit être celui que nous prenons à l'imitation qui nous frappe des défauts et des ridicules, et aux actions qui nous rendent ces ri dicules imités, dont le but de la Comédie est de nous corriger en riant. Voyons-nous que Moliere ait mis cet intérêt d'attendrissement dans Le Misantrope, dans Tartuffe, dans Les Femmes savantes, dans Le Bourgeois Gentilhomme, ni dans aucune de ses Pieces de caractere La critique du dénouement n'est pas mieux fondée. Il m'a paru très-régulier, et préparé avec jugement, dès le premier acte. La précipitation qu'on lui reproche, dans la conversion de Géronte, étoit absolument nécessaire. Dès que le méchant est démasqué aux yeux de tous les autres personnages, toute lenteur auroit été insupportable au Spectateur qui ne soupire qu'après la confusion de Cléon et son expulsion. La façon brusque avec laquelle ce vieux campagnard, ami de la franchise, lui artache le masque., est dans le caractere que l'Auteur lui a donné, et qu'il lui fait garder jus

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qu'à la fin. Je dis donc que la Comédie du Méchant est intriguée sensément, et autant que le doit être une Comédie de caractere; que l'exposition, le noeud et le dénouement n'en sauroient être blâmés; que l'action de chaque personnage et son langage sont toujours convenables à son caractere; qu'elle est parfaitement 、 écrite, et qu'il y auroit de l'humeur ou du pédantisme à poursuivre dans un Ouvrage de cette longueur quelques vers peu exacts pour la langue, lorsqu'on en admire un grand nombre de si heureux qu'ils sont devenus proverbes pour nous, et qu'ils le seront chez la postérité; que le dialogue en est aisé, familier, et dans le ton de cette aimable négligence qui fait le charme de la conversation, et qu'enfin il y a plusieurs tirades qui peuvent être mises en parallele de beauté et de vigueur avec celles du Misantrope et de Tartuffe. Que n'y auroit-il pas à dire en faveur de l'Auteur pour ce qui regarde la morale de sa Piece? Est-il de meilleur citoyen et d'homme plus estimable que celui qui emploie ses talens et toute la force et l'agrément de son génie pour la défense du bien et du repos du public, et à décrier ces

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